De la Pâque. — De la réception des saints mystères. — Du pardon des injures . — De la sainte et grande solennité du jeudi saint.

 

 

1. Je dois entretenir aujourd'hui brièvement votre charité ; je dis brièvement, non que la longueur des discours vous fatigue, car il n'est pas possible de rencontrer une ville où l'on soit plus avide d'assister aux entretiens spirituels. Ce n'est donc point dans la crainte de vous importuner que nous ne vous dirons que peu de choses, mais aujourd'hui nous avons une autre raison d'être court.

Je vois bon nombre de fidèles impatients de, participer aux redoutables mystères. Afin donc qu'ils puissent s'asseoir à cette table et profiter en même temps de nos paroles, nous devrons ne vous adresser que peu de mots, et ainsi vous recueillerez un double avantage, car après avoir été préparés par nos discours, vous vous approcherez ensuite de la communion redoutable et saintement terrible, avec crainte et tremblement, et avec le respect convenable.

Aujourd'hui, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ a été trahi: c'est, en effet, le soir de ce jour que les Juifs le prirent et s'en allèrent. Mais ne vous attristez pas en apprenant que Jésus a été trahi; car ce qui doit vous rendre tristes et vous faire pleurer amèrement, c'est le traître Judas mais non Jésus, sa victime. En effet, celui qui a été trahi a sauvé le monde, le traître a perdu son âme; celui qui a été trahi est assis à la droite du Père dans les cieux, le traître est maintenant dans l'enfer, en proie à des tourments sans fin. Oh ! c'est lui qu'il faut pleurer et plaindre, c'est sur lui qu'il faut verser des larmes,comme Notre-Seigneur lui-même en a versé. Car il nous apprend qu'à sa vue il fut troublé et il dit: un de vous me trahira. (Jean, XIII, 21.)

Oh ! qu'elle est grande la compassion de ce bon Maître ! celui qui est livré pleure sur le traître. Oui, à sa vue il fut troublé et il dit : un de vous me trahira. Pourquoi fut-il triste : c'était tout à la fois pour nous montrer son amour et nous apprendre à pleurer toujours, non sur celui qui souffre le mal, mais sur celui qui le fait : car c'est là le plus grand malheur. Il n'y a même pas de malheur à souffrir le mal qu'on nous fait ; mais faire souffrir, voilà le grand, l'unique malheur. En effet, endurer les maux procure le royaume des cieux, tandis que les faire endurer, c'est se préparer l'enfer et ses supplices, car il est écrit : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. (Matth. V,10.) Voyez-vous comment la souffrance et l'acceptation des maux obtiennent en retour la récompense du royaume des cieux ?

Apprenez maintenant comment le châtiment et le supplice sont la conséquence inévitable des mauvaises actions. Après avoir dit des Juifs : Ils ont tué le Seigneur, ils ont persécuté ses prophètes (I Thessal. II, 15;), saint Paul ajoute : leur fin sera conforme à leurs oeuvres. (Il Cor. XI, 15.) Remarquez-vous que ceux qui souffrent persécution reçoivent le royaume des cieux, tandis que les persécuteurs 'ne recueillent que la colère céleste ? Et ce n'est pas sans motif que je me suis exprimé de la sorte, car je veux que nous ne nous irritions pas contre nos ennemis, mais qu'au contraire nous ayons pitié d'eux, pleurant et gémissant sur leur sort; puisque ce sont eux qui endurent le véritable mal par les châtiments qu'ils se préparent.

Si nous disposons nos âmes par de telles réflexions, nous pourrons prier pour eux. Voilà en effet le quatrième jour que je vous exhorte à prier pour vos ennemis, afin que mes avis aussi fréquemment répétés se gravent plus profondément en vous. Si dans mes discours j'insiste autant, c'est pour détruire l'enflure de la colère et en calmer l'ardeur, afin qu'en (193) venant prier vous n'en conserviez plus rien. Le Christ nous a pressés à cet égard, non-seulement en faveur de nos ennemis, mais surtout dans notre intérêt, à nous qui leur pardonnons, car nous recevons plus que nous ne donnons quand nous faisons à notre ennemi le sacrifice de notre ressentiment. Et comment cela, direz-vous ?

C'est qu'en pardonnant à -votre ennemi, vous obtenez la rémission de vos fautes envers Dieu, fautes par elles-mêmes irréparables et irrémissibles, tandis que celles de votre ennemi sont pardonnables et faciles à expier. Ecoutez Héli disant à ses fils: Si un homme péché contre un homme, on priera pour lui, mais s'il pêche contre Dieu, qui priera pour lui? (I Rois, II, 15.) En sorte que sa blessure ne saurait être facilement guérie par la prière : ce que la prière seule ne pourrait faire, le pardon des fautes du prochain l'opère. C'est pourquoi Notre-Seigneur a comparé les péchés contre Dieu à dix mille talents, et à cent deniers seulement les fautes contre le prochain. (Matth. XVIII, 23 et suiv.) Remettez donc cent deniers, afin qu'on vous remette à vous-même dix mille talents.

2. En voilà bien assez sur la prière pour nos ennemis, revenons, si vous le voulez bien, à la trahison et voyons comment Notre-Seigneur a été livré. Alors s'en alla l'un des douze appelé Judas Iscariote, vers les princes des prêtres et il leur dit: que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? (Matth. XXVI, 14, 15.) Il semble d'abord que ces paroles sont claires et qu'elles ne renferment aucun sens caché. Mais si l'on examine attentivement chacune d'elles, elles offrent un vaste sujet de réflexions et un sens profond. Et d'abord, remarquons le temps. L'Evangéliste ne se contente pas de l'indiquer simplement, car il ne dit pas seulement: il s'en alla, mais il a ajouté : alors il s'en alla. — Alors ? Pourquoi, je vous le demande, dans quel but indique-t-il le temps ? Que veut-il m'apprendre? Ce n'est point par hasard qu'il a prononcé cet alors, car inspiré par l'Esprit-Saint, il n'a parlé ni au hasard, ni en vain.

Que signifie donc cet alors ? Avant ce temps, avant cette heure une femme de mauvaise vie s'approcha portant un vase de parfums qu'elle versa sur la tête du Seigneur. Elle montra un grand empressement, une grande foi, une grande obéissance, une grande piété ; elle changea sa première vie, et devint meilleure et plus sage. Et quand cette femme eût fait pénitence, quand elle eut attiré à elle le Seigneur, alors son disciple le livra. Et voilà pourquoi il est dit: alors: afin que vous n'accusiez pas votre Maître de faiblesse en le voyant livré par son disciple. Car telle était encore sa puissance qu'il attirait à lui les femmes de mauvaise vie, pour s'en faire obéir. Mais quoi, direz-vous, celui qui attirait les pécheresses publiques ne put attirer son disciple? — Il pouvait sans doute l'entraîner, mais il ne voulut pas le rendre bon par nécessité ni se l'attacher de force. Alors, s'en allant... Ce mot s'en allant, nous offre encore matière à réflexions. — En effet, il ne fut point appelé par les princes des prêtres, il ne céda ni à la nécessité ni à la violence, mais ce fut de lui-même, de son propre mouvement qu'il fit le mal et prit une détermination qui n'était inspirée que par sa malice.

Alors s'en allant, un des douze..... qu'est-ce, un des douze?... C'est en effet une circonstance bien accablante pour lui d'être appelé un des douze. Il y avait soixante-douze autres disciples de Jésus, mais ils n'avaient qu'un rang secondaire, ils ne jouissaient pas d'un honneur aussi grand, ni d'une confiance aussi étendue, ils n'étaient pas initiés dans les secrets du Maître aussi intimement que les douze. Ceux-ci étaient éprouvés par-dessus tout, ils formaient le cortége royal, le conseil du souverain., C'est d'eux que se sépara Judas. Afin donc que nous sachions que ce ne fut pas seulement un simple disciple qui le trahit, mais un de ceux qui étaient le plus à l'épreuve, on l'appelle : un des douze. Et celui qui a écrit ces choses, saint Matthieu n'en rougit pas. Pourquoi n'a-t-il pas honte? — Il faut que nous sachions que les apôtres disent toujours toute la vérité et qu'ils ne dissimulent pas même ce qui est à leur déshonneur.

Ce qui semble ignominieux en effet , montre la bonté du Seigneur qui a daigné combler de si grands biens et supporter jusqu'à la dernière heure, un traître, un voleur et un larron. Il l'avertissait, il l'exhortait, il le comblait d'égards. S'il fut insensible à tout cela, la faute n'en est pas au Seigneur témoin la femme pécheresse qui rentra en elle-même et fut sauvée. Ne désespérez donc point en voyant cette femme, mais aussi, que l'exemple de Judas vous rende défiants envers -vous-mêmes: la présomption et le désespoir sont également funestes. La présomption renverse celui qui est debout, le désespoir cloue à terre (194) celui qui est tombé. C'est pourquoi saint Paul faisait entendre cet avertissement : Que celui qui paraît être ferme prenne bien garde de ne pas tomber. (I Cor. X, 12.) Les exemples sont là pour vous apprendre comment le disciple est tombé, alors qu'il paraissait solidement fixé, et comment la pécheresse s'est relevée de son abjection. Notre esprit est versatile, notre volonté chancelante, c'est pourquoi nous avons besoin de nous garder et de nous fortifier de toutes parts. Alors s'en allant, un des douze; Judas Iscariote. Vous avez vu quel poste d'honneur il a quitté, quelle doctrine il a méprisée, combien sont mauvaises la paresse et la négligence.

Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi me rappeler sa patrie? Plût à Dieu que je ne connusse pas même son nom ! Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi nommer sa cité ? Il y avait parmi les disciples un autre Judas, surnommé le zélé, et dans la crainte que la similitude des noms ne fit prendre l'un pour l'autre, l'Evangéliste les à distingués en appelant l'un le zélé, à cause de sa vertu; mais il a évité dans le surnom de l'autre, de faire allusion à sa perversité; c'est pourquoi il n'a pas dit : Judas le traître. Et cependant rien de plus naturel qu'après avoir désigné l'un par sa vertu, on désignât l'autre par sa malice en disant: Judas le traître. Mais il fallait nous apprendre à nous-mêmes à ne pas souiller notre langue par une accusation et voilà pourquoi le traître a été épargné. S'en allant vers les princes des prêtres, Judas Iscariote leur dit Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? O parole criminelle ! Comment est-elle sortie de sa bouche ? Comment a-t-elle fait mouvoir sa langue? Comment n'a-t-elle pas glacé le corps tout entier? Comment l'âme ne s'est-elle pas retirée?

3. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Sont-ce là, dis-moi, les enseignements du Christ? Ne voulait-il pas au contraire étouffer dans sa racine cette avarice qui te rongeait quand il disait : Ne possédez ni or, ni argent, ni pièce de monnaie dans vos ceintures? (Matth. X, 9.) N'est-ce pas là ce qu'il répétait à chaque instant, ajoutant encore : Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. (Matth. V, 39.) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? O folie ! quel motif, je te le demande, quelle accusation petite ou grande as-tu à faire valoir pour livrer ton Maître? Est-ce parce qu'il t'a donné pouvoir contre les démons? Est-ce parce qu'il t'a fait chasser les maladies ou guérir la lèpre, ressusciter les morts, triompher de la tyrannie de la mort? Voilà comment tu témoignes ta reconnaissance pour tant de bienfaits! Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? O folie ! encore une fois. Ou plutôt, ô avarice ! car c'est elle qui a produit tous ces maux, qui t'a poussé à livrer ton maître. Telles sont en effet les conséquences de ce mal funeste : plus que le démon il rend insensées les âmes qu'il envahit, il engendre l'ignorance la plus complète ; on ne connaît plus rien, ni soi-même, ni le prochain, ni les lois de la nature; on ne se possède plus, on devient fou. Voyez un peu ce qu'elle a fait oublier à Judas: la société, l'intimité, la compagnie de la table, les miracles, la science, les exhortations, les avertissements ; l'avarice lui a fait oublier tout cela. Oh ! que saint Paul avait bien raison de s'écrier : L'avarice est la source de tous les maux. (I Timoth. VI, 10.) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Parole insensée ! Peux-tu livrer, je te le demande, celui qui renferme tout, qui commande aux démons et à la mer et qui est le maître de toute la nature? Aussi, pour mettre un frein à une pareille arrogance et montrer que s'il ne l'eût pas voulu, jamais il n'aurait été livré, que fait-il? — A l'instant même où on le livrait, alors que ses ennemis l'entouraient avec des bâtons, des lanternes et des torches allumées, il leur dit : Qui cherchez-vous ? (Jean. XVIII, 4), et ils ne connaissent plus celui qu'ils sont venus prendre. Judas lui-même était si peu capable de le livrer qu'il ne le reconnaissait pas même devant lui, malgré l'éclat des torches et des flambeaux. C'est ce que veut nous faire comprendre l'Evangéliste quand il dit : Ils avaient des lanternes et des flambeaux, et ils ne le voyaient pas.

Tous les jours le Christ l'avertissait, lui montrant soit par ses oeuvres, soit par ses paroles qu'il ne pouvait lui cacher son dessein de le trahir. Il ne le reprenait pas publiquement, en présence de tous, dans la crainte de le rendre plus impudent, mais il ne gardait pas un silence absolu de peur que la pensée de n'être pas découvert ne lui fît accomplir son crime en toute sécurité. Il disait donc sou. vent : Un de vous me livrera, mais sans indiquer ouvertement de qui il s'agissait. Il parlait souvent du ciel et de l'enfer et il manifestait ainsi sa puissance par la manière dont les (195) pécheurs étaient punis et les justes récompensés. Mais Judas fut sourd à ces avertissements et Dieu ne l'attira point par force. Comme il nous a laissé le choix des bonnes et des mauvaises actions, il veut que nous soyons bons librement. Si nous nous y refusons, il ne nous force pas, il ne nous fait pas violence, car être bon par nécessité ce n'est plus être bon.

Judas était donc le maître de sa résolution et il pouvait lui aussi résister à l'avarice et ne ,pas se laisser entraîner par elle ; mais parce que son esprit était aveuglé il trahit son Sauveur et il dit : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Pour mieux nous convaincre de l'aveuglement d'esprit, de la folie de Judas, l'Evangéliste nous le montre présent au moment même où on vient saisir son Maître, lui qui avait dit : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Et pour mieux faire éclater la puissance du Sauveur, Judas ne le voit pas. Mais ce n'est pas tout; à la voix de Jésus tous les satellites reculent et sont renversés par terre; seulement, comme rien ne pouvait les faire renoncer à leur projet impudent, il se livra à eux, comme s'il eût dit: J'ai fait tout ce qui dépendait de moi, j'ai manifesté ma puissance, j'ai montré que vous tentiez des choses impossibles. Je voulais réprimer votre malice, mais puisque vous n'avez pas voulu m'entendre et que vous persévérez dans votre folie, je me livre moi-même.

Je suis entré dans tous ces détails de peur que quelques-uns n'accusassent le Christ de n'avoir pas changé Judas, de ne l'avoir pas arrêté dans ses desseins. — Mais comment l'arrêter?-En lui faisant violence ou en changeant sa volonté ? Dans le premier cas, il n'aurait pas mieux valu, car la nécessité ne rend pas meilleur: d'autre part, rien de ce qui pouvait changer son esprit et arrêter ses mauvais desseins n'avait été négligé. S'il ne voulut pas recevoir le remède ce ne fut pas la faute du médecin, mais de celui qui refusa sa guérison. Voyons un peu ce que tenta le Seigneur pour le ramener à une vie meilleure et au salut. Par ses paroles et par ses oeuvres il lui apprit toute science, il lui donna le pouvoir sur les démons et la faculté d'opérer bon nombre de miracles; il l'effraya par la menace de l'enfer, l'exhorta par la promesse du ciel ; il lui reprocha assidûment ses desseins secrets, tout en évitant de les rendre publics : il lui lava les pieds comme aux autres apôtres; il le fit asseoir à sa table, partager sa nourriture, il ne négligea aucune circonstance, petite ou grande, et malgré tout le malheureux persévéra volontairement dans le mal. Et afin que vous soyez bien convaincus qu'il aurait encore pu changer, mais qu'il ne le voulut pas et que sa lâcheté fut seule la cause de son malheur, écoutez : Après qu'il l'eût livré il jeta les trente pièces d'argent et il dit : J'ai péché en livrant le sang du Juste. (Matth. XXVIII, 4.) Qu'est-ce que cela signifie ? Lorsque tu voyais opérer des miracles tu ne disais pas: J'ai péché en livrant le sang du Juste, mais bien: Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Mais quand le mal est arrivé à son comble, quand la trahison a été accomplie et que la faute a été consommée, alors tu as reconnu ton crime. Quel enseignement trouvons-nous là? — Tant que nous restons dans l'engourdissement et la lâcheté, les avertissements sont inutiles; mais avec de l'application et des soins, nous pouvons nous élever au-dessus de nous-mêmes. Voyez Judas : son Maître l'avertit, et il est sourd à sa voix; ensuite personne ne l'exhorte, et sa propre conscience est ébranlée; et sans que personne l'instruise il se transforme, il condamne son crime, il jette les trente pièces d'argent. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Et ils s'engagèrent ci lui donner trente pièces d'argent. Ils fixèrent le prix d'un sang qui n'a pas de prix. Pourquoi reçois-tu trente pièces d'argent, ô Judas ? Jésus-Christ est venu répandre gratuitement son sang pour le monde et tu fais de ce sang l'objet d'une convention et d'un pacte infâme! Quoi de plus indigne qu'un tel marché !

4. Alors s'approchèrent les disciples. — Alors: Quand ? Tandis que ces choses se préparaient, qu'on réglait les conditions de la trahison, que Judas se perdait, les disciples de Jésus s'approchèrent de lui en disant : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? (Matth. XXVI,17 et 14.) Avez-vous remarqué un disciple ? Voyez-vous les autres disciples ? Celui-là livre le Seigneur, ceux-ci s'occupent de la pâque. Le premier fait un marché, les autres se disposent à servir. Tous avaient vu briller les mêmes miracles, reçu le même enseignement et la même puissance. D'où vient cette différence ? — De leur volonté. Telle est partout la cause de tout bien et de tout mal. Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? C'était le soir, à pareil jour, (196) et parce que le Seigneur n'avait pas de maison, ils lui disent: Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? Nous n'avons rien de fixe, ni hôtellerie, ni habitation, ni maison. Quelle leçon pour ceux qui construisent des maisons splendides, de vastes portiques, de larges cours ! Le Christ n'eut pas où reposer sa tête. (Matth. VIII, 20.) C'est pourquoi ses disciples lui demandent : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? Quelle pâque? Ce n'était point encore la nôtre, mais celle des Juifs qui ne devait durer qu'un temps. Celle-ci fut préparée par les disciples, Jésus-Christ lui-même fit les préparatifs de la nôtre. Il ne se contenta pas de la préparer, il fut lui-même notre pâque. Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? C'était la pâque des Juifs, cette pâque qui avait été instituée en Egypte. — Pourquoi le Christ la mangea-t-il? Parce qu'il accomplit toutes les prescriptions de la loi. C'est ainsi qu'à son baptême il disait: Il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. (Matth. III, 15.) Je suis venu racheter l'homme de la malédiction de la loi, car Dieu a envoyé son propre Fils, formé d'une femme et assujetti fi la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi et abroger la loi. (Gal. IV, 4, 5.) Afin donc qu'on ne l'accusât pas d'avoir aboli la loi, faute de pouvoir l'accomplir parce qu'elle était pénible, difficile et intolérable, il commença par en observer tous les points, puis il la détruisit. Il fit donc la pâque, parce que la pâque était une prescription de la loi. Pourquoi la loi ordonnait-elle de manger la pâque? Les Juifs étaient ingrats et aussitôt qu'ils avaient été comblés de bienfaits ils oubliaient la loi divine. Ainsi, ils étaient à peine sortis d'Egypte, ils venaient de voir la mer se séparer devant eux et se réunir ensuite, sans compter une foule d'autres miracles, et ils disaient déjà : Faisons-nous des dieux qui nous précèdent. (Exod. XXXII, 1.) Que dites-vous ? Les miracles sont encore dans vos mains et voilà que vous oubliez votre bienfaiteur? Parce qu'ils étaient insensés et ingrats à ce point, Dieu établit les fêtes, comme des monuments destinés à rappeler ses dons et alors il ordonna d'immoler la pâque, afin, dit-il aux Juifs, que si vos fils vous demandent ce que signifie cette pâque, vous leur disiez : Autrefois nos pères en Egypte ont marqué leurs portes du sang d'un agneau, afin qu'en le voyant l'ange exterminateur passât sans oser les frapper ni leur infliger de plaie. (Exod. XII, 27.) Et dès lors cette fête fut un témoignage perpétuel de leur salut. Elle n'avait pas seulement l'avantage de rappeler le souvenir des bienfaits passés, elle en offrait un autre bien plus grand qui était de figurer l'avenir. Cet agneau en effet était la figure d'un autre agneau spirituel qu'il montrait d'avance. D'abord ce n'était que l'ombre, puis vint la réalité. Mais quand le Soleil de justice eût apparu, l'ombre cessa, comme le soleil à son aurore chasse les ténèbres. C'est pourquoi sur la même table sont célébrées les deux pâques, celle de la figure et celle de la vérité. De même que les peintres sur une même toile commencent par esquisser les figures et par marquer les ombres avant d'appliquer les couleurs qui donnent la vérité et la vie, ainsi fit le Christ. Sur la même table il représenta la pâque figurative et il célébra la nouvelle : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque. Jusque-là c'était la pâque des Juifs, mais voici le Soleil, que la lampe s'éteigne ! Voici la vérité, que les ombres disparaissent !

5. Disons quelques mots des Juifs qui prétendent célébrer la pâque, de ces coeurs incirconcis qui, dans un dessein pervers, nous objectent les pains azymes. Comment, je vous le demande, pouvez-vous célébrer la pâque, ô Juifs? Votre temple a été renversé, votre autel détruit, le saint des saints foulé aux pieds, toute espèce de sacrifice aboli, et vous osez commettre de pareilles illégalités? Vous avez été autrefois à Babylone, et ceux qui vous avaient emmenés en captivité vous disaient : Chantez-nous des cantiques de Sion (Ps. 136, V, 3), et vous refusiez. C'est l'auteur des psaumes qui nous l'apprend en ces termes : Nous nous sommes assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous avons pleuré. Aux saules qui sont au milieu de cette contrée nous avons suspendu nos instruments de musique (Ps.136, V, 1, 2.), c'est-à-dire notre harpe, notre cythare, notre lyre et le reste : car on se servait autrefois d6 ces instruments pour s'accompagner en chantant les psaumes. Emmenés en captivité, ils les avaient portés avec eux, en souvenir des habitudes de leur patrie, mais non dans l'intention d'en user. Alors, dit le psalmiste, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient de chanter des cantiques, — et nous avons répondu : (197) comment chanterons-nous un cantique du Seigneur dans une terre étrangère ? Que dites vous? Vous ne chantez pas les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère et vous célébrez la pâque du Seigneur sur une terre étrangère? Quelle ingratitude ! quelle injustice ! Alors que leurs ennemis voulaient les forcer, ils n'osaient pas même chanter un psaume sur une terre étrangère, et maintenant qu'ils sont libres, sans que personne les contraigne ou leur fasse violence, ils se tournent contre Dieu. Comprenez-vous combien sont impurs les azymes? combien illégitime cette tête? comment enfin il n'y a réellement plus de pâque judaïque? Autrefois , il y avait la pâque des Juifs, mais elle a été détruite, et remplacée par la Pâque spirituelle que Notre-Seigneur a établie. Car, pendant qu'ils mangeaient et buvaient, Jésus prit le pain, le rompit et dit : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous, pour la rémission des péchés. (Matth. XXVI, 26, 27, 28.) Ceux qui sont initiés savent ce que ces paroles signifient. — Et prenant ensuite le calice, il dit : Ceci est mon sang qui est répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés. (Ibid.) Judas était présent quand Jésus parlait de la sorte. C'est ce même corps que tu as vendu, ô Judas, pour trente pièces d'argent; c'est ce sang au sujet duquel tu viens de faire un marché infâme avec les perfides pharisiens. O bonté du Christ ! ô démence, ô folie de Judas ! Tu as vendu tory Maître pour trente deniers, et Lui a consenti, (car tel était son bon plaisir) à livrer ce sang pour la rémission de nos péchés. Judas était présent, il participait à la table sainte. Après lui avoir lavé les pieds comme aux autres disciples, le Sauveur voulut encore l'admettre au banquet divin, afin qu'il n'eût aucun motif d'excuse, s'il persévérait dans sa malice. Le Seigneur avait produit et employé tous les moyens en son pouvoir; malgré tout Judas fut inébranlable dans son dessein pervers.

6. Mais il est temps enfin de s'approcher de cette table terrible. Approchons-nous donc tous avec le calme et la vigilance convenables Qu'on ne voie plus de Judas, plus d'esprits pervers, d'âme empoisonnée affichant des sentiments qu'elle n'a pas. Le Christ est là : c'est lui qui a préparé cette table, c'est lui qu'on y reçoit. Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement. le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est ce même Christ qui a été crucifié pour nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles n'est que la figure de Jésus-Christ; la vertu et la grâce viennent de Dieu qui agit quand le prêtre dit: Ceci est mon corps. Ces mots transforment ce qui est offert. Et, de même que cette parole : Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre (Gen.I, 28), quoique n'ayant été prononcée qu'une fois, donne à jamais à notre nature la force de se reproduire, ainsi cette autre parole dite une seule fois opère à chaque autel et dans toutes les églises du monde, depuis la première Pâque jusqu'à ce jour, et opérera jusqu'au dernier avènement le sacrifice parfait. Arrière donc les hypocrites, arrière les coeurs pleins de malice, les âmes empoisonnées, car en s'approchant, ils trouveraient leur condamnation. Ce fut en effet après la réception des saints mystères que le démon se précipita sur Judas, non par mépris pour le corps du Seigneur, mais pour Judas, à cause de son impudence, afin de nous apprendre que ceux-là surtout qui participent indignement aux divins mystères sont souvent assaillis et envahis par le diable , comme il arriva à Judas. C'est que les honneurs profitent à ceux qui en sont dignes, tandis qu'ils tournent à la perte de ceux qui en jouissent indignement. En vous parlant ainsi je ne veux point vous effrayer, mais seulement vous rendre plus vigilants. Qu'il n'y ait donc parmi vous ni Judas, ni coeur empoisonné par la malice. Le saint sacrifice est une nourriture spirituelle, et de même que la nourriture corporelle reçue dans un estomac rempli d'humeurs malsaines augmente la maladie, non de sa nature, mais à cause de la mauvaise disposition de l'estomac; ainsi en est-il pour les mystères spirituels : reçus par une âme pleine de malice, ils la corrompent et l'affaiblissent davantage, non par leur nature, mais par l'effet de la maladie de l'âme.

Que personne ne conserve donc de pensées mauvaises à l'intérieur, mais purifions nos âmes. Nous nous approchons du sacrifice sans tache, rendons notre âme sainte; nous pouvons y parvenir, même dans un seul jour. Comment? par quel moyen? — Si vous avez quelque chose contre votre ennemi, chassez la colère, guérissez cette plaie, faites cesser toute inimitié , afin de recevoir la guérison à la table sainte, en participant au sacrifice terrible et saint. Respectez la matière de cette (198) oblation : c'est le Christ mis à mort qui est présent. Mais à cause de qui et pourquoi a-t-il été tué? C'était pour apporter la paix au ciel et à la terre, pour nous rendre les amis des anges, pour nous réconcilier avec le Maître de toutes les créatures; c'était pour nous rendre ses amis, nous, ses adversaires et ses ennemis. Il a donné sa vie pour ceux qui le haïssaient et vous conserveriez de l'inimitié contre votre frère ! Et comment pourriez-vous ensuite vous asseoir à la table de la paix? Il n'a pas reculé devant la mort à cause de vous, et vous refusez de déposer pour lui la colère que vous avez contre votre semblable? Y a-t-il un pardon pour une pareille conduite? Il m'a fait du tort, direz-vous , il m'a blessé profondément. Et qu'est-ce que cela. Ce n'est qu'une perte d'argent : car il ne vous a pas encore offensé comme le Christ l'a été par Judas : ce qui n'a pas empêché ce divin Sauveur de verser son sang pour le salut de ceux-là mêmes qui le répandaient. Que pourrez-vous m'objecter de semblable? Si vous ne pardonnez pas à votre ennemi, ce n'est pas lui que vous blessez, mais vous-même. Vous l'avez blessé souvent dans cette vie, mais vous vous êtes rendu indigne de pardon pour le jour du jugement futur. Dieu ne hait rien tant que l'homme qui conserve du ressentiment, que le coeur gonflé ou l'âme enflammée par la colère. Ecoutez donc ce qu'il dit : Lorsque vous offrez votre présent à l'autel, si vous vous souvenez en ce moment que votre frère a quelque chose contre vous, laissez votre offrande à l'autel et allez vous réconcilier avec votre frère, après quoi vous viendrez offrir votre présent. (Matth. V, 23, 24.) Qu'hésitez-vous à pardonner, puisque ce sacrifice a été institué pour la paix avec votre frère? Si donc le but de ce sacrifice est de vous conserver en paix avec votre frère et que vous ne vouliez pas de cette paix, vous participez en vain au sacrifice, votre action est rendue inutile. Commencez donc par accomplir ce pourquoi le sacrifice a été offert et alors vous en recueillerez abondamment les fruits. Le Fils de Dieu est descendu pour réconcilier notre nature avec son Seigneur, et de plus, pour nous faire participer à son nom si nous voulions imiter son action. Ecoutez : Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu. (Matth. V, 9.) Ce qu'a fait le Fils unique de Dieu, faites-le selon votre pouvoir, afin de vous concilier la paix à vous-mêmes en même temps qu'aux autres. C'est pour cela que vous êtes appelés pacifiques, enfants de Dieu, c'est pour cela qu'au temps du sacrifice on ne vous rappelle aucun autre précepte que celui de la réconciliation avec votre frère, pour vous faire comprendre que c'est le plus grand de tous. Je désirerais m'étendre davantage, mais en voilà bien assez pour ceux qui sont attentifs, s'ils veulent s'en souvenir. C'est pourquoi; mes bien-aimés, rappelons-nous toujours ces paroles, et ces saints baisers de paix et cette communion terrible. Rien. n'est plus propre à unir nos âmes et à faire de nous tous un seul corps que cette participation au corps de notre Sauveur. Confondons-nous donc tous en un seul et même corps, non dans une union charnelle, mais par le lien mutuel de la charité qui réunira nos âmes. Ce sera le moyen de recueillir avec confiance le fruit de ce banquet. Quand même nous aurions pratiqué à l'infini des oeuvres de justice, si nous conservons le souvenir des injures, tout cela s'évanouit et ne nous sert de rien; nous n'en pourrons retirer aucun profit pour le salut.

Après ces enseignements , laissons toute colère, et la conscience purifiée, approchons-nous avec toute la douceur et la modestie possibles de la table du Christ, à qui gloire, honneur, empire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

Suite en une seconde homélie.

1. Nous célébrons dans ce jour une fête solennelle, mes très-chers frères, dans ce jour où Notre-Seigneur est mort, attaché à la croix. Et ne soyez pas étonnés que nous nous réjouissions d'un événement qui semble aussi triste; les choses spirituelles sont toujours en contradiction avec nos idées charnelles. Pour vous convaincre de ce que je dis, la croix, qui auparavant était un titre de condamnation et de supplice , est devenue un objet précieux et désirable. La croix, qui auparavant était un sujet de honte et d'opprobre, est devenue une source de gloire et d'honneur. Jésus-Christ lui-même nous apprend que la croix est un titre de gloire : Mon Père, dit-il, glorifiez-moi, comme j'étais glorifié dans votre sein avant que le monde existât. (Jean, XVII, 5.) Il appelle la croix un titre de gloire. La croix est le principe de notre salut, la source d'une infinité de biens. Par elle, nous sommes admis au nombre des enfants, nous qui auparavant étions rejetés et avilis. Par elle, nous ne sommes plus livrés à l'erreur, mais nous connaissons la vérité. Par elle, nous qui adorions le bois et la pierre, nous reconnaissons le Maître et le Créateur du monde. Par elle, nous qui étions esclaves du péché, nous sommes élevés à la liberté de la justice. Par elle, la terre désormais est devenue le ciel. La croix nous a affranchis de nos erreurs, elle nous a conduits à la vérité, elle a réconcilié l'homme avec Dieu, elle nous a arrachés de l'abîme du vice pour nous porter au comble de la vertu. Elle a détruit les ruses du serpent antique, et nous a ramenés de l'égarement où il nous avait jetés. Par elle, les temples ne sont plus remplis de la fumée et de l'odeur des victimes : on n'y voit plus couler le sang des animaux; mais partout domine un culte spirituel, partout retentissent des hymnes et des prières. Grâce à la croix, les démons sont mis en fuite. Grâce à la croix, la nature humaine le dispute à la condition angélique. Grâce à la croix, la virginité habite sur la terre; car depuis qu'un Dieu né d'une vierge a parti' dans le monde, l'homme a connu la pratique de cette vertu. Nous étions assis dans les ténèbres, la croix nous a éclairés; nous étions ennemis, elle nous a réconciliés; nous étions éloignés de Dieu, elle nous en a rapprochés; nous avions encouru sa haine, elle nous a rendu son amour; nous étions étrangers, elle nous a fait citoyens du ciel. Elle a fait cesser pour nous la guerre, et nous a assuré la paix. Par elle, nous (223) ne craignons plus les traits enflammés du démon, parce que nous avons trouvé la source de la vie. Par elle, nous ne gémissons plus dans une triste viduité, parce que nous avons recouvré l'Epoux. Par elle, nous n'appréhendons plus le loup cruel, parce que nous avons connu le bon Pasteur: Je suis, dit Jésus-Christ, le bon Pasteur. (Jean, X, 11.) Par elle, nous ne redoutons plus le tyran, parce que nous sommes accourus au Prince légitime. Vous voyez de quels biens la croix est pour nous le principe. C'est donc avec raison que nous célébrons ce jour comme un jour de fête. Et c'est à quoi nous exhorte l'apôtre saint Paul. Célébrons la fête, dit-il, non avec l'ancien levain, avec le levain de la perversité et de la malice, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Et pourquoi, bienheureux Paul, nous exhortez-vous à nous réjouir comme dans un jour de fête. Dites-nous-en la raison. C'est que le Fils de Dieu, notre pâque, a été immolé pour nous. Vous voyez une fête véritable dans le mystère de la croix : vous comprenez pourquoi l'Apôtre nous exhorte à en célébrer la fête. Jésus-Christ a été immolé sur la croix; or, partout où il y a sacrifice, il y a rémission des péchés, il y a réconciliation avec le Seigneur, il y a fête et allégresse.

Jésus-Christ, notre pâque, dit l'Apôtre, a été immolé pour nous. (I Cor. V, 7.) Et où a-t-il été immolé ? sur la croix. L'autel est extraordinaire et nouveau, parce que le sacrifice n'est pas ordinaire, et ne ressemble pas aux autres. Jésus-Christ était en même temps la victime et le prêtre; la victime selon la chair, le prêtre selon l'esprit. Il offrait en même temps, et il était offert. Ecoutez encore saint Paul qui dit : Tout pontife, pris parmi les hommes, intercède pour les hommes auprès de Dieu : il faut donc nécessairement qu'il ait de quoi lui offrir. (Héb. V, 3; VIII, 3.) Ici Jésus-Christ s'offre lui-même. Jésus-Christ, dit ailleurs le même apôtre, a été offert une fois pour expier le péché de plusieurs. (Héb. IX, 28.) Il dit donc qu'il a été offert, après avoir dit qu'il s'est offert lui-même. Vous avez vu comment Jésus-Christ était en même temps prêtre et victime, et que la croix était l'autel.

Mais il est nécessaire d'examiner pourquoi le sacrifice n'est pas offert dans un temple (je dis dans le temple des Juifs), mais hors de la ville, hors des murs. Jésus-Christ a été crucifié hors de la ville comme un scélérat condamné au supplice, afin que cette parole du prophète fût accomplie : Il a été confondu avec les scélérats. (Is. LIII, 12.) Pourquoi donc a-t-il été crucifié hors de la ville, dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé? Cela ne s'est pas fait non plus sans cause; c'était afin de purifier la nature de l'air. Voilà pourquoi, dis-je, il est mort dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé. Il est mort à la face du ciel, afin que tout le ciel fût purifié, la victime étant immolée dans un lieu élevé. Le ciel a donc été purifié; la terre l'a été aussi, puisque le sang du Sauveur a coulé de son côté sur la terre, et l'a purifiée de toutes ses souillures. Telle est donc la raison pour laquelle le sacrifice n'a pas été offert dans un lieu enfermé. Et pourquoi n'a-t-il pas été offert dans le temple même des Juifs? Cela ne s'est pas fait encore sans une raison particulière : c'est afin que les Juifs ne prétendissent pas s'approprier le sacrifice. 11 a été offert hors de la ville, hors des murs, afin qu'on ne crût pas qu'il fût propre à cette seule nation, afin que l'on sût qu'il était universel, afin que l'on sût que l'oblation était faite pour toute la terre, pour sanctifier toute la nature humaine. Dieu a ordonné aux Juifs de choisir dans toute la terre un lieu unique où on lui offrit des sacrifices, où on lui adressât des prières, parce que toute la terre alors était souillée par la fumée, par l'odeur, par le sang des victimes offertes aux idoles, et par les autres abominations des gentils. Voilà pourquoi il leur a marqué un lieu unique. Mais Jésus-Christ étant venu dans le monde, et ayant subi la mort hors de la ville, a purifié toute la terre, a rendu tous les lieux propres aux prières. Voulez-vous apprendre comment toute la terre est devenue désormais un temple, comment tous les lieux ont été rendus propres aux prières? écoutez encore le bienheureux Paul, qui dit : Elevant en tout lieu des mains pures, sans écouter la passion ni de faux raisonnements. (I Tim. II, 8.) Vous voyez comment Jésus-Christ a purifié le monde; vous voyez comment nous pouvons en tout lieu élever des mains pures. Oui, toute la terre est désormais devenue sainte, et même plus sainte que ce que les Juifs avaient de plus saint. Comment cela ? C'est que dans le temple des Juifs on n'immolait que les animaux déraisonnables, au lieu qu'ici une victime douée d'une raison supérieure a été immolée. Or, autant ce qui est doué de raison l'emporte sur ce qui en est (224) dépourvu, autant toute la terre a été plus sanctifiée que le temple des Juifs. C'est donc bien véritablement que le mystère de la croix est une fête.

2. Voulez-vous connaître un autre bienfait de la croix, bienfait insigne qui surpasse toutes les idées des hommes? Elle a ouvert aujourd'hui le ciel qui était fermé en y introduisant aujourd'hui un brigand. Ouvrir le ciel, y introduire un brigand, tels sont les deux miracles qu'elle opère. Elle a rendu à un brigand la céleste patrie, dont il s'était exclu par ses crimes, elle l'a introduit dans la cité d'où il tirait son origine : Vous serez, lui dit Jésus, vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. (Luc, XXIII, 43.) Quoi donc ? vous êtes crucifié, vous êtes cloué sur une croix, et vous promettez le ciel ! comment pouvez-vous accorder cette faveur précieuse? Jésus-Christ, dit saint Paul, est mort par un effet de la faiblesse humaine. Ecoutons ce qui suit : Mais il vit, ajoute le même apôtre, par un prodige de la puissance divine. (II Cor. XIII, 4.) Ma puissance, dit-il encore ailleurs, se signale dans la faiblesse. (II Cor. XII, 9.) Si je promets maintenant sur la croix, c'est afin que vous connaissiez ma puissance par la croix. Comme par elle-même la croix est quelque chose de triste, afin que vous ne rougissiez pas en faisant attention à la nature de la croix, mais que vous soyez satisfaits et joyeux en considérant la puissance du Crucifié; voilà pourquoi Jésus-Christ montre toute sa force sur la croix. Non, ce n'est pas en ressuscitant les morts, en commandant à la mer, en menaçant les démons, mais crucifié, cloué, méprisé, injurié, outragé, bafoué, qu'il a pu fléchir et attirer à lui le coeur pervers d'un brigand. Voyez comme sa puissance éclate de toute part. Il a ébranlé les créatures inanimées; il a brisé les pierres, et le coeur d'un brigand, plus dur que la pierre; il l'a amolli, il l'a rendu plus souple que la cire : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Quoi donc ! les chérubins armés d'une épée flamboyante gardent la porte du ciel, et vous promettez à un brigand de l'y faire entrer ! Oui, sans doute, parce que je suis le maître des chérubins; que j'ai en mon pouvoir l'enfer et ses feux, la vie et la mort. Jésus-Christ dit donc: Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Dès que les anges et les archanges verront leur Seigneur, ils se retireront aussitôt et se rangeront par respect. Un prince qui fait son entrée dans une ville, ne placerait jamais auprès de lui sur son char un brigand ni aucun de ses serviteurs. C'est ce que fait néanmoins le Fils de Dieu plein de bonté. En retournant dans sa patrie sainte, il y fait entrer avec lui un brigand, sans prétendre, oui, sans prétendre déshonorer le ciel, mais l'honorant davantage par cela même, puisque la gloire du ciel est d'avoir un maître assez puissant et assez bon pour avoir pu rendre un brigand digne du bonheur céleste. Ainsi lorsqu'il appelait au royaume des cieux les publicains et les courtisanes, loin de le déshonorer par là, il l'honorait surtout, en faisant voir que le Maître du royaume des cieux est capable de sanctifier les courtisanes et les publicains, de les rendre dignes des honneurs et des récompenses suprêmes. Comme donc nous admirons un médecin, lorsque nous le voyons guérir de leurs maux et rappeler à une santé parfaite des hommes affligés de maladies incurables : de même, mes très-chers frères, admirez Jésus-Christ, soyez frappés de sa puissance, parce que, trouvant des hommes affligés de maladies spirituelles, de maladies supérieures à tous les remèdes, il a pu les guérir de leurs vices, il a pu les rendre dignes de son royaume, quoiqu'ils fussent parvenus au comble de la perversité. Vous serez aujourd'hui avec moi dans le ciel. Honneur insigne, comble infini de bonté, excès inouï de miséricorde; car entrer dans le ciel avec le souverain Maître du ciel, est un plus grand honneur que d'y entrer simplement.

Qu'est-il donc arrivé , me direz-vous? et qu'est-ce que le brigand de l'Evangile a fait de si extraordinaire pour passer de dessus la croix dans le ciel? Je vais vous le dire en peu de mots, et vous faire comprendre toute sa vertu. Lorsque le chef des disciples, Pierre, le niait chez le grand prêtre, lui le confessait étant sur la croix. Ce n'est pas, non ce n'est pas pour injurier Pierre que je le dis, mais je veux montrer quel fut le courage et la sagesse peu commune du brigand crucifié. Tandis que Pierre ne pouvait soutenir les menaces d'une simple servante, lui qui voyait tout un peuple furieux environner la croix de Jésus, l'outrager par des défis insolents, ne considéra point Il insultes faites au divin compagnon de son supplice; mais, rompant tous les voiles avec ! yeux de la foi, passant par-dessus toutes marques extérieures de faiblesse et d'humiliation, il reconnut le Maître des cieux, et (225) prononça ces paroles précises qui le proclamaient digne du ciel : Souvenez-vous de moi dans votre royaume. (Luc, XXIII, 42.) Ne passons point légèrement sur ces paroles, et ne rougissons point de prendre pour maître un brigand que Notre-Seigneur n'a point rougi de faire entrer le premier dans le ciel. Ne rougissons point de prendre pour maître un homme qui a été jugé digne de jouir du bonheur céleste avant tous les autres humains. Pesons toutes ses paroles, afin de connaître aussi par là la vertu de la croix.

Jésus-Christ n'avait pas dit à ce brigand, ainsi qu'à Pierre et à André: Venez, et je vous ferai pêcheurs d'hommes. (Matth. IV, 19.) Il ne lui avait pas dit, ainsi qu'aux douze apôtres Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. (Matth. XIX, 28.) Il ne lui avait pas adressé un seul mot. Le brigand n'avait pas vu les prodiges qu'il avait opérés, les morts ressuscités, les démons chassés, la mer obéissant à ses ordres; il ne l'avait pas entendu raisonner sur le royaume des cieux. Comment donc avait-il appris ce nom de royaume ? Connaissons sa rare intelligence. Un des deux brigands, dit l'Evangile, accablait Jésus-Christ d'injures; car il y avait un autre brigand crucifié avec lui, afin que l'on vît s'accomplir cette parole du Prophète : Il a été confondu avec les scélérats. (Isai. LIII, 12.) Les Juifs ingrats et insensés cherchaient tous les moyens d'obscurcir sa gloire, d'avilir sa puissance; mais la vérité perçait malgré eux, et tous leurs efforts pour l'étouffer ne faisaient que la montrer dans un plus grand éclat. Jésus-Christ était donc accablé d'injures par un des deux brigands, et même par tous les deux, suivant le témoignage d'un des évangélistes (Marc, xv, 32) ; ce qui est vrai, et ce qui manifeste surtout la vertu du brigand dont nous parlons; car il est probable que lui-même injuriait d'abord Jésus-Christ, mais qu'il ne tarda pas à changer de langage. Un des deux brigands accablait Jésus-Christ d'injures, dit l'Evangile. Vous voyez brigand et brigand : tous deux sur la croix, tous deux expiant les crimes d'une vie perverse ; mais n'éprouvant pas tous deux le même sort, puisque l'un a obtenu le royaume des cieux, et que l'autre a été précipité dans les enfers. Ainsi nous avons vu hier disciple et disciples. L'un se préparait à trahir son Maître, les autres se disposaient à le servir. L'un disait aux pharisiens : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Les autres approchant de Jésus, lui disaient: Où voulez-vous que nous vous préparions la pâque? (Matth. XXVI, 15 et 17.) De même ici l'on voit brigand et brigand l'un accablait Jésus d'injures, l'autre fermait la bouche à celui qui l'injuriait; l'un blasphémait contre lui, l'autre lui reprochait ses blasphèmes, et cela quoiqu'il vît Jésus condamné, crucifié; quoiqu'il vît le peuple l'attaquer par ses railleries outrageantes. Mais rien ne put l'ébranler, rien ne put changer ses sentiments, ni l'empêcher de faire à son compagnon de vifs reproches, et de lui dire : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? (Luc, XXIII, 40.)

3. Vous voyez la sainte liberté d'un brigand, vous voyez comment sur la croix, fidèle, pour ainsi dire, à son métier de brigand, il emporte de force par sa confession et ravit le royaume céleste. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? dit-il. Vous voyez sa liberté sur la croix, vous voyez sa sagesse, vous voyez sa modération. Toujours maître de lui-même, jouissant de toute sa raison, quoique percé de clous, quoiqu'essuyant au milieu de son supplice les douleurs les plus affreuses, ne mérite-t-il pas d'être admiré pour ses sentiments magnanimes? Quant à moi, je ne le trouve pas seulement admirable, mais je le trouve bienheureux. Insensible à ses propres douleurs, et s'oubliant lui-même, il s'occupait d'un autre, il cherchait à le détromper, à lui donner des leçons même sur la croix. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? lui disait-il. Il semblait lui dire : Ne faites pas attention au tribunal des hommes, ne jugez point par ce que vous voyez, ne considérez point seulement ce qui se passe sous vos yeux. Il est un autre juge invisible, dont le tribunal suprême est inaccessible à la corruption et à la séduction. Ne pensez donc pas qu'il a été condamné par les hommes, mais songez aux jugements de Dieu qui sont bien différents. Ici-bas, dans les tribunaux humains, les innocents sont souvent condamnés, tandis que les coupables sont absous; les justes subissent la peine , tandis que les injustes y échappent. La plupart des hommes jugent mal ou par mauvaise volonté ou malgré eux. Ils trahissent la vérité et condamnent l'innocence, ou parce qu'on les trompe et qu'ils ignorent la justice, ou parce que,-corrompus par argent, ils agissent contre leurs propres lumières. Mais il n'en est pas ainsi de Dieu: C'est un juste juge, et ses jugements sont aussi purs, aussi (226) brillants que le soleil. Jamais obscurcis par les ténèbres, ils ne se cachent pas dans l'obscurité, et ne s'écartent pas de la voie droite. Afin donc que son compagnon ne pût pas lui dire: Il a été condamné par les hommes, pourquoi le défendez-vous ? il le rappelle aux jugements de Dieu, à ce tribunal redoutable et incorruptible, à ce juge que rien ne peut tromper et séduire; il le fait souvenir des arrêts formidables que ce Juge prononce. Regardez en haut, lui dit-il; et vous ne condamnerez pas Celui que le ciel absout, et, sans vous arrêter aux jugements humains, vous n'approuverez, vous n'adopterez que les jugements célestes. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? lui dit-il. Vous voyez la sagesse du brigand, vous voyez son intelligence, vous voyez : il instruit son compagnon, et comme de dessus la croix où son corps est attaché, son esprit s'envole dans le ciel. Oui, il remplit déjà la loi apostolique; peu occupé de lui-même, il ne s'étudie et ne travaille qu'à tirer son frère de l’erreur et à le ramener à la vérité. Après lui avoir dit : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? il ajoute: Nous subissons la même sentence. Considérez combien cet aveu est parfait. Qu'est-ce à dire : Nous subissons la même sentence ? c'est-à-dire: nous sommes condamnés à la même peine, puisque nous sommes également sur la croix. Les reproches injurieux que vous lui faites tombent donc sur vous plus que sur lui. Et comme un pécheur qui condamne son semblable, se condamne plutôt lui-même; ainsi reprocher à un autre la disgrâce que soi-même on éprouve, c'est se faire plutôt un reproche à soi-même. Nous subissons, dit-il, la même sentence. Il présente à son compagnon la loi apostolique, formée de ces paroles de l'Evangile : Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés. (Matth. VII, 1.) Nous subissons la même sentence. Quoi donc, pourrais-je lui dire ! prétendez-vous par-là associer Jésus-Christ à votre état de criminel? Non, dit-il, je corrige ces paroles par celles qui suivent : Mais nous, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Car, de peur que ces paroles Nous subissons la même sentence, ne vous fassent croire qu'il associe Jésus-Christ à leurs forfaits, il ajoute cette correction : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Vous voyez sur la croix un parfait aveu, vous voyez comme par des paroles le brigand expie ses attentats, vous voyez comme il accomplit cet avis du Prophète: Confessez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié. (Is. XLIII, 26.) Personne ne l'a accusé, personne ne l'a forcé, personne ne l'a pressé, et il devient lui-même son propre accusateur. Aussi par la suite n'a-t-il trouvé aucun accusateur, parce qu'il s'est hâté de s'accuser lui-même, qu'il s'est empressé de s'avouer coupable : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes; au lieu que celui-ci n'a rien fait de mal. Vous voyez quelle est sa grande modération. Ce n'est qu'après s'être accusé et s'être chargé lui-même, après avoir justifié le Sauveur du monde par ces paroles: Mais nous, nous souffrons justement, au lieu que celui-ci n'a rien fait de mal; ce n'est qu'après cela qu'il lui a adressé avec confiance cette prière : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez retourné dans votre royaume. Il n'a pas osé lui dire: Souvenez-vous de moi, avant de s'être lavé de la souillure de ses péchés par une confession sincère, avant de s'être justifié en se condamnant lui-même, avant de s'être déchargé de ses crimes par sa propre accusation.

Vous voyez quel est le pouvoir de la confession même sur la croix. Apprenez de là, mes très-chers frères, à ne point désespérer de vous-mêmes ; ne perdez jamais de vue la bonté infinie de Dieu, et hâtez-vous de corriger vos fautes. S'il a traité avec tant de distinction un brigand sur la croix, à plus forte raison encore nous fera-t-il éprouver les effets de sa grande miséricorde, si nous voulons faire l'aveu de nos péchés. Afin donc de ressentir ces effets, ne rougissons pas de faire cet aveu. Oui, la confession a beaucoup de force et de vertu. Le brigand a confessé ses crimes, et il a trouvé le paradis ouvert; il a confessé ses crimes, et malgré ses brigandages, il a osé demander le royaume céleste; demande qu'avant cela il n'avait osé faire. Et comment, lui dirai-je, parliez-vous de royaume? qu'avez-vous vu qui vous inspirât cette idée ? des clous, une croix, des reproches, des railleries; des injures, des outrages, voilà tout ce qui s'offre à vous. Eh bien! dit-il, c'est la croix même qui me parait le signe et la marque d'un royaume. C'est parce que je vois Jésus crucifié, que je l'appelle roi, puisqu'il est d'un roi de mourir pour ses sujets: Le bon pasteur, a-t-il dit lui-même, donne sa vie pour ses brebis, (Jean. X, 11.) Ainsi un bon roi donne sa vie pour ses sujets. Je l'appelle (227) donc roi parce qu'il a donné sa vie. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous, serez retourné dans votre royaume.

4. Voulez-vous savoir comment la croix est la marque et le signe d'un royaume, combien elle est auguste et vénérable ? c'est que Jésus-Christ ne l'a point laissée sur la terre, mais qu'il l'a transportée avec lui dans le ciel. Et qu'est-ce qui le prouve? il doit paraître avec elle dans son second avènement. Mais voyons comment il doit paraître avec elle ; écoutez Jésus-Christ lui-même, qui s'exprime ainsi : S'ils vous disent: le Christ est retiré à l'écart, il est dans le désert, ne sortez pas. (Matth. XXIV, 26.) Il parle de son second avènement, à cause des faux christs, des faux prophètes, de l'Antechrist, dans la crainte qu'on ne se trompe, et qu'on ne le prenne pour le Christ. Comme l'Antechrist doit paraître avant le Christ, de crainte qu'en cherchant le pasteur vous ne rencontriez le loup, je vous donne les marques certaines de l'avènement du Pasteur; car, si son premier avènement a été sans éclat, ne croyez pas que le second sera de même. Son premier avènement a dû être obscur, parce qu'il venait chercher ce qui était perdu ; mais il n'en sera pas de même du second. Dites-nous donc , apprenez-nous comment Jésus-Christ paraîtra. Comme l'éclair, dit l'Evangile, brille depuis l'orient jusqu'à l'occident, il en sera de même de l'avènement du Fils de l'Homme. Il paraîtra en même temps aux yeux de toute la terre , sans qu'il soit besoin de demander s'il est venu. Et comme il n'est pas besoin que l'on examine si l'éclair a paru lorsqu'il se montre, ainsi nous n'aurons pas besoin d'examiner si le Christ s'est montré, lorsqu'il se montrera réellement. Mais nous n'avons pas dit encore ce que nous voulons apprendre , s'il viendra avec sa croix. Ecoutez-le donc s'expliquer lui-même, en termes clairs et formels. Alors, dit-il, c'est-à-dire lorsque je viendrai, le soleil sera obscurci, la lune ne donnera pas sa lumière ; car la lumière sera tellement répandue partout, que les astres les plus brillants seront éclipsés. Les étoiles, dit l'Evangile, tomberont, et alors on verra paraître dans le ciel le signe die Fils de l'Homme. Vous voyez quelle est l'excellence de ce signe , quel est son éclat et sa splendeur. Le soleil est obscurci, la lune est sans lumière, les étoiles tombent, lui seul paraît, afin que vous appreniez qu'il est plus brillant que la lune, et plus éclatant que le soleil. Lorsqu'un roi fait son entrée, il est précédé d'une troupe de soldats qui portent devant lui des étendards, et qui annoncent l'entrée du prince. Ainsi, lorsque le Maître de l'univers descendra des cieux, il sera précédé d'une troupe d'anges et d'archanges, qui porteront devant lui l'étendard de la croix, et qui annonceront l'arrivée du Roi suprême. Alors, dit l'Evangile, les puissances des cieux seront ébranlées; il parle des anges, des archanges, de toutes les puissances invisibles, qui seront dans le tremblement, dans la crainte et dans la frayeur. Et pourquoi ces puissances seront-elles dans la frayeur? c'est, sans doute, qu'alors s'ouvrira ce tribunal redoutable devant lequel paraîtront tous les mortels pour être jugés et rendre compte de leurs oeuvres. Pourquoi donc les anges trembleront-ils alors? pourquoi ces puissances spirituelles seront-elles dans la crainte , puisque ce ne sont pas elles qui doivent être jugées? Lorsqu'assis sur son trône, un juge condamne les coupables, non-seulement les coupables, ceux mêmes qui assistent au jugement, qui n'ont à se reprocher aucun crime, sont tremblants, sont effrayés par la présence du juge : de même, lorsque le genre humain sera jugé et rendra compte de ses fautes, les anges qui n'auront rien à se reprocher, et toutes les puissances célestes, saisies de frayeur, trembleront en présence du Juge suprême. C'est une circonstance du dernier jugement, dont nous devons sentir la raison. Mais pourquoi Jésus-Christ viendra-t-il avec sa croix? apprenez-en la cause. C'est afin que ceux qui l'ont crucifié soient convaincus de leur ingratitude par le fait même; c'est pour cela qu'il leur montre l'objet qui dénonce et condamne leur folie. Et afin que vous sachiez que c'est pour les confondre qu'il leur présentera sa croix, écoutez encore l'Evangéliste, qui dit : Alors paraîtra le signe du Fils de l'Homme, et toutes les tribus de la terre seront dans la consternation en voyant leur accusateur, et en reconnaissant leurs fautes. Et pourquoi seriez-vous étonnés que Jésus-Christ vienne avec sa croix, puisqu'il viendra même avec ses plaies? Qu'est-ce qui prouve qu'il viendra avec ses plaies? écoutons le prophète: Ils verront, dit-il, celui qu'ils ont percé. (Zach. XII, l0.) Car, de même que lorsqu'il voulut guérir l'incrédulité de Thomas, son disciple, et lui apprendre que son maître était vraiment ressuscité, il lui montra les places des clous et les plaies mêmes, (228) en lui disant: Portez ici votre doigt et votre main, et voyez qu'un esprit n'a point, de chair et d'os (Jean, XX, 27) : ainsi, dans les derniers jours, il présentera aux Juifs ses plaies et sa croix, afin de leur apprendre que c'est lui-même qu'ils ont crucifié.

La croix est donc un grand, bien, c'est un objet utile et salutaire, un témoignage évident de la bonté divine.

5. Mais non-seulement la croix, les paroles mêmes que le Sauveur du monde prononce sur la croix, manifestent sa miséricorde infinie. Voici ces paroles : environné de ceux qui le crucifiaient , en butte à tous les outrages d'une multitude furieuse: Mon Père, disait-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. (Luc, XIII, 34.) Vous voyez la bonté du Seigneur, c'est lorsqu'il était crucifié, qu'il priait pour ceux mêmes qui le crucifiaient. Cependant ils lui adressaient alors leurs railleries insolentes : Si tu es le Fils de Dieu, lui disaient-ils d'un ton moqueur, descends de la croix. (Matth. XVII, 40 et 42.) Mais c'est parce qu'il était le Fils de Dieu qu'il n'est pas descendu de la croix, lui qui était venu afin d'être crucifié pour nous. Qu'il descende de la croix, disaient les Juifs, afin que nous puissions croire en lui. Entendez-vous le langage de l'endurcissement, et les prétextes de l'incrédulité! Il a fait quelque chose de plus que de descendre de la croix, sans qu'ils aient cru en lui; et ils disent maintenant : Qu'il descende de la croix, et nous croirons en lui. N'était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de faire sortir un mort de son tombeau, dont une pierre fermait l'entrée? n'était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de tirer de son sépulcre, avec le linceul dont il était enveloppé, Lazare mort depuis quatre jours? vous entendez le langage de l'extravagance, vous voyez l’excès de la folie ! Mais écoutez avec la plus grande attention, afin de connaître la bonté infinie de Dieu, et comment Jésus se sert de leur folie même, comme d'un motif pour leur pardonner : Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. C'est comme s'il disait : C'est parce qu'ils sont insensés, qu'ils ignorent ce qu'ils font. Les Juifs disaient à Jésus-Christ : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même. Et Jésus-Christ s'empressait de sauver les Juifs, qui l'accablaient de reproches, de railleries et d'injures : Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quoi donc! leur a-t-il pardonné? oui, il a pardonné à tous ceux qui ont voulu se repentir. S'il ne leur eût pas pardonné, Paul ne serait pas devenu apôtre; s'il ne leur eût pas pardonné, trois mille, cinq mille Juifs n'auraient pas cru en lui sur-le-champ, et tant de milliers par la suite. Ecoutez ce que saint Jacques dit à saint Paul dans Jérusalem : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs croient en Jésus-Christ. (Act. XXI, 20.)

Imitez donc, je vous en conjure, imitez le Seigneur, et priez pour vos ennemis. Je vous y exhortais hier, je vous y exhorte encore aujourd'hui, parce que je sens toute l'importance de cette vertu. Imitez votre Maître. Il était crucifié, et il priait pour ceux qui le crucifiaient. Et comment, direz-vous, puis-je imiter le Seigneur : vous le pouvez, si vous le voulez . Si chose n'était pas possible, il n'aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. (Matth. II, 29.) S'il n'était pas possible à l'homme d'imiter un Dieu, saint Paul n'aurait pas dit aux fidèles : Soyez mes imitateurs , comme je le suis de Jésus-Christ. (I Cor. II, 1.) Mais si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins son disciple; je parle d'Étienne, qui, le premier, a ouvert les portes du martyre, et qui a marché sur les pas de son Maître. Le Maître, suspendu à la croix, au milieu des Juifs qui l'avaient crucifié, priait pour eux; le disciple, au milieu des Juifs qui le lapidaient, accablé d'une grêle de pierres qu'ils faisaient pleuvoir sur lui, sans penser aux douleurs de son supplice, s'écriait : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. (Act. VII, 59.) Vous entendez les paroles que prononcent le Maître et le disciple : l'un dit : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font; l'autre dit : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. Et afin que vous sachiez quel zèle animait Etienne, c'est qu'il ne priait pas froidement, avec indifférence, ni debout, mais les genoux en terre, avec l'intérêt le plus vif et la charité la plus ardente. Voulez-vous que je vous montre un autre disciple du Fils de Dieu, qui fait pour ses ennemis une prière encore plus généreuse? écoutez le bienheureux Paul. Après avoir rapporté tout ce qu'il a souffert, après avoir dit qu'il a reçu des Juifs mille mauvais traitements (II Cor. II , 23), qu'il a été trois fois battu de verges, une fois lapidé, qu'il a fait trois fois naufrage , après avoir détaillé toutes les persécutions qu'il éprouvait chaque jour de (229) leur part, il ajoute enfin: J'ai désiré d'être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair, qui sont Israélites. (Rom. IX, 3 et 4.)

Voulez-vous voir encore d'autres exemples pareils, pris, non dans le Nouveau, mais dans l'Ancien Testament; car, ce qu'il y a de plus admirable, c'est que ceux à qui il n'était pas ordonné d'aimer leurs ennemis, mais de donner oeil pour mil, dent pour dent, de rendre le mal pour le mal, ceux-là mêmes ont devancé la perfection évangélique? Ecoutez donc ce que dit à Dieu Moïse si souvent outragé par les Juifs : Si vous leur pardonnez , faites-moi grâce à moi-même; sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. (Exod. XXXII, 32.) Vous voyer, que tous les justes sont prêts à sacrifier leur propre salut pour le salut de leurs frères. Vous n'avez commis aucune faute, dirais-je à Moïse, et vous voulez avoir part à la punition ! ah! répond-il, c'est que je ne sens pas mon bonheur lorsque je vois les autres dans le malheur. On peut encore citer un autre saint, qui fait une prière semblable; car je multiplie les exemples, afin que nous soyons excités de plus en plus à nous corriger nous-mêmes, à nous délivrer de cette maladie de l'âme si dangereuse, de ce penchant qui nous porte à souhaiter du mal à nos ennemis. Ecoutez le bienheureux David. Dieu étant irrité et ayant envoyé son ange pour punir le peuple, que dit le prince, lorsqu'il voit l'ange faire étinceler son glaive, et se disposer à porter des coups funestes ? C'est moi qui suis le pasteur et qui ai fait le mal; ceux-ci, qui sont les brebis, qu'ont-ils fait? que votre bras s'étende sur moi et sur la maison de mon père. (II Rois, XXIV, 17. ) Vous voyez donc dans ce saint roi la vertu que je vous prêche. Voici encore un saint animé des mêmes sentiments. Le prophète Samuel avait été si fort méprisé, outragé, insulté par les Juifs, que pour le consoler Dieu lui dit : Ecoutez, mes frères, écoutez avec attention : C'est moi,lui dit Dieu, et non pas vous qu'ils ont méprisé. (I Rois, VIII, 7.) Et cet homme accablé de mépris, d'injures et d'outrages, que dit-il? A Dieu ne plaise que je commette la faute de manquer à prier le Seigneur pour vous ! Il regardait comme une faute de ne pas prier pour ses ennemis. A Dieu ne plaise, dit-il, que je commette la faute de manquer à prier pour vous. (I Rois, XII, 23.) Vous voyez combien tous les justes, marchant

sur les traces du Seigneur, se sont montrés jaloux de se signaler dans la vertu à laquelle je vous exhorte. Reprenons les paroles que nous venons de citer : Pardonnez-leur, dit le Fils de Dieu, car ils ne savent ce qu'ils font. Seigneur, s'écriait Etienne, ne leur imputez pas cette faute. J'ai désiré, dit saint Paul, d'être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair. Si vous leur pardonnez, disait aussi Moïse, faites-moi grâce à moi-même, sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. Que votre bras, dit David, s'étende sur moi et sur la maison de mon Père. A Dieu ne plaise, dit de même Samuel, que je commette la faute de manquer à prier pour vous !

Lors donc que tous les saints, tant du Nouveau que de l'Ancien Testament, nous excitent à prier pour nos ennemis, quel pardon obtiendrions-nous par la suite, si nous ne montrions le plus grand empressement pour pratiquer cette vertu ? Ne balançons point , mes frères; car plus nous avons d'exemples, plus nous serions sévèrement punis, si nous ne les imitions pas. Il est beaucoup plus important de prier pour ses ennemis que pour ses amis ; l'un nous est plus utile que l'autre. Ecoutez Jésus-Christ qui dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel sera votre mérite ?, les publicains ne le font-ils pas? (Matth. V, 46 .)

Lors donc que nous prions pour nos amis, nous ne sommes pas meilleurs que les publicains, mais si nous aimons nos ennemis, si nous prions pour nos ennemis, nous devenons semblables à Dieu, autant qu'il est possible à l'homme. Soyez semblables, dit l'Evangile, â votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Matth. V, 45.) Puis donc que nous avons de si grands modèles, et dans le Seigneur et dans ses disciples, soyons jaloux de nous distinguer par une vertu dont ils nous ont donné l'exemple, afin que nous soyons jugés dignes de jouir du royaume des cieux, et qu'après avoir purifié notre âme, nous puissions approcher avec confiance de la table sacrée et redoutable, et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'honneur et l'empire soient au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.