de l’obscure concision de Moïse à l’ampleur de Basile

 

[61A] Que fais-tu là, homme de Dieu ? Que nous invites-tu à attaquer l’inattaquable, à entreprendre une œuvre dans laquelle non seulement le succès est impossible mais dont l’entreprise n’est pas, à mon sens du moins, irrépréhensible ? Parmi les enseignements philosophiques donnés par le grand Moïse sous l’inspiration divine dans la cosmogonie, certains points semblent contradictoires si l’on s’en tient au sens immédiat de ce qui est écrit : tu nous as enjoint de les mettre en liaison et de montrer que la sainte Écriture est cohérente, et cela après cette étude inspirée de Dieu qu’a déjà donnée notre père sur ce sujet et que tous les lecteurs admirent tout autant que les enseignements philosophiques de Moïse lui-même, à juste titre je crois. [61B] Car le rapport au grain de l’épi qui à la fois sort de lui et n’est pas lui, ou plutôt qui est lui en puissance mais différent de lui en taille, en beauté, en variété, en forme, on pourrait dire qu’il lie de même aux paroles du grand Moïse les pensées élaborées avec tant de soin par le grand Basile : [64A] ce que le premier a dit brièvement et fermement, notre maître l’a développé dans sa philosophie élevée pour en faire, non pas un épi, mais un arbre, suivant la comparaison du grain de sénevé avec le Royaume, ce grain qui pousse dans le cœur de celui qui le cultive, qui devient un arbre déployant en tous sens des pensées, poussant en guise de branches des points de doctrine, et qui se dresse si haut dans sa visée religieuse que même les âmes élevées évoluant dans les hauteurs, les oiseaux du ciel, dit l’Évangile, peuvent faire leur nid dans l’ampleur d’un tel branchage ; car c’est comme un refuge pour l’âme qu’un exposé conséquent sur l’objet de sa recherche : l’activité débordante et inquiète de l’esprit, semblable à un vol errant, y trouve son repos.

Grégoire, élève de Basile


[64B]Comment serait-il donc possible de planter face à l’arbre si beau et si grand de ses paroles le chétif rejet de notre pensée ? Tu ne me demandes pas, n’est-ce pas, et je ne saurais accepter de le placer en regard du labeur soutenu de notre père et maître notre propre labeur. Imitons plutôt la pratique merveilleuse des jardiniers, qui peuvent faire qu’un seul plant porte des fruits variés. Voici leur méthode d’arboriculture : ils tranchent sur un premier arbre une petite feuille avec l’écorce sur laquelle elle s’appuie, et sur un point d’un autre plan plus fort adaptent l’écorce à l’incision, afin que la greffe ainsi appliquée, nourrie par la sève du plus fort, se développe en branche. Pour moi, insérant de la même façon ma pensée, comme une petite pousse dans la sève du grand arbre, dans la sagesse de notre maître, [64C]je tenterai d’en devenir une branche, tirant vie autant que je le pourrai de sa réflexion, en étant irrigué et soutenu par le secours qui nous en viendra.

Deux objections faites à Basile


Je pense en effet que certains n'ont pas bien compris le but des travaux qu'il a menés sur les Six Jours ; c'est pour cela qu'ils lui reprochent de ne pas même leur avoir donné de connaissance sûre sur le soleil : "comment ce luminaire peut-il avoir été créé après trois jours, en même temps que les autres astres, puisqu'il est impossible que la durée du jour soit déterminée par un matin et par un soir, si le soleil ne fait vraiment pas le soir en se couchant, ni le matin en se levant ?". De même ils n’admettent pas non plus la fabrication des deux ciels, car ils disent que, si l'Apôtre en mentionne aussi un troisième, la difficulté n’en subsiste pas moins sur ce point : parce qu'au commencement un seul ciel vint à l'être, puis le firmament, et que Moïse n'a pas rapporté par écrit la création d'un autre ciel, il est impossible de prouver qu'il pensait qu'il y avait un troisième ciel au-dessus de ces deux-là, puisque aucun autre ciel n'est venu à l'être après le firmament, et que le mot de commencement ne permet pas d'en imaginer un plus ancien, apparu antérieurement. Si en effet le ciel est venu à l'être au commencement, il est clair que c'est à partir de ce moment que la création a commencé. Le commencement ne serait en effet pas nommé par ce mot s'il y avait avant lui un autre commencement ; car ce qui vient en deuxième dans l'ordre n'est pas le commencement ni ne peut être appelé tel. [65A] Mais, certes, Paul fait mention du troisième ciel, que ne comporte pas la création ; mais dans ce cas-là, c'est la mention du deuxième qui est à chercher...

Basile s'adressait à un auditoire nombreux et peu savant


Ceux qui font ces critiques et d’autres du même genre me semblent n’avoir pas examiné le but de l’enseignement de notre père : il parlait dans une église comble, devant un peuple si nombreux qu’il devait nécessairement adapter ses propos à son auditoire. Parmi tant d’auditeurs en effet, un grand nombre sans doute était à même de suivre des propos élevés, mais en bien plus grand nombre ceux qui ne pouvaient se hausser à la compréhension d’un exposé subtil de ses pensées, hommes simples et artisans dont toute l’application va aux travaux de leur atelier, peuple des femmes qui n’ont pas la pratique de telles sciences [65B], jeune troupe des enfants, hommes d’âge avancé, tous ces gens avaient besoin des discours que nous connaissons, conduisant par la main, avec un attrait facile, par l’exploitation de la création visible et des beautés qu’elle contient, à la connaissance du créateur de toutes choses, si bien que, si l’on se réfère au but de l’enseignement du grand Basile pour juger ses discours, ce qu’il a dit est sans défaut ; car il n’a pas choisi de composer un traité polémique où il se serait engagé hardiment contre les objections liées aux problèmes soulevés, mais il se donnait entièrement à une explication fort simple des Écritures où il accommodait ses propos à la simplicité de son auditoire en même temps que son exégèse s’élevait avec les auditeurs capables de mieux, en faisant référence aux divers apports scientifiques de la philosophie païenne. En conséquence, la majorité comprenait, les esprits supérieurs admiraient.

Exposé des problèmes et des objections

[65C] Mais supposons que, comme sur le mont Sinaï, laissant en bas la foule nombreuse et élevant ta pensée au-dessus des autres, tu rivalises avec Moïse pour entrer dans la ténèbre de la contemplation des mystères, où lui s'est trouvé, a vu l'invisible et écouté l'indicible, et que tu cherches à connaître l'ordre nécessaire de la création, et à savoir comment, une fois le ciel et la terre venus à l'être, la lumière attend le commandement divin pour devenir lumière, tandis que la ténèbre existait, même sans commandement. Et, si la lumière n'avait besoin de rien pour éclairer l'air en dessous d'elle et diviser le temps en nuit et en jour, quel besoin y avait-il de former le soleil ?

Et si, au commencement, la terre est venue à l'être en même temps que le ciel, comment ce qui est venu à l'être peut-il être informe? Car donner une forme et créer ne semblent pas différer en ce qui concerne l'idée exprimée ; si donc créer est équivalent à donner une forme, comment ce qui est créé peut-il être informe ?

Et il y a les questions embarrassantes sur la substance humide, à savoir qu'il n'est pas possible, au sommet de la voûte céleste, que ce qui s'écoule repose sur la forme sphérique. Comment en effet l'humidité pourrait-elle se stabiliser sur le courbe, alors que de toute nécessité, puisque la sphère a toujours une pente, l'eau s'écoule suivant la courbure de la figure ? et comment, si son support n'est pas stable, pourrait-elle trouver en elle-même la stabilité, alors qu'elle tombe sans cesse de sa propre base ? Comment ne sera-t-elle pas répandue de part et d'autre, quand le rapide mouvement circulaire de l'axe la rejette complètement ?

[68A]De plus, la consommation de nature humide paraît également incroyable à ses contradicteurs, car on voit en tout temps l'ensemble des eaux rester dans la même mesure, dans les sources, les fleuves, l'océan et les lacs, sauf dans certaines sources, qui sont alimentées par l'apport des eaux de surface et jaillissent de l'épanchement brusque des pluies d'orage ou des neiges, et, à la manière d'un torrent, soit montent, soit baissent, selon l'écoulement qui leur parvient d'en haut. mais celles à partir desquelles le courant s'épanche sans tarir, sans aucunement diminuer ou augmenter, amènent nécessairement à convenir qu'il n'y a aucune déperdition de substance humide : il est en effet impossible que ce qui est consommé demeure dans la même mesure continûment. Mais le feu non plus, si toutefois il consumait l'eau par essence, ne resterait pas sans augmenter par rapport à sa propre mesure, sans être nourri ; il est en effet impossible que la nature du feu ne s'accroisse pas en proportion de la matière consumée.

[68B] Si donc tu t'occupes de ces questions et des questions de ce genre, toi qui te tends vers toutes les hauteurs, si par toi-même, tu désires voir même ce qui se trouve dans les ténèbres de la vision de Moïse et le rendre visible au plus grand nombre, je te conseillerai alors de ne pas tourner ta pensée vers quelqu'un d'autre, mais vers la grâce qui est en toi, et, à l'aide de l'esprit de révélation qui t'apparaît dans la prière, d'explorer les profondeurs divines.


Grégoire définit le propos de son ouvrage

Mais puisque la loi apostolique nous fait un devoir d’être par amour les serviteurs les uns des autres et que le service digne de louange consiste à accomplir la tâche qu’on nous donne, brièvement, dans la mesure du possible, je tenterai d’exposer mes idées sur ce sujet en trouvant dans ta prière une alliée pour mon traité. Mais avant que je me mette à l’ouvrage, qu’on me laisse affirmer solennellement que nous ne professons rien de contraire au saint Basile sur la philosophie qu’il a développée à propos de la création du monde, pas même si le traité aboutit par un certain enchaînement à une exégèse différente de la sienne. [68C] Ce qu’il a dit doit prévaloir et occuper la deuxième place après le seul testament inspiré de Dieu. Pour notre ouvrage, que les lecteurs considèrent qu’il est une entreprise toute de conjectures, comme on en fait dans les écoles : cela ne doit troubler personne si on trouvait dans mes propos quelque chose qui ne soit pas conforme à l’opinion commune, car nous ne prétendons pas que notre traité soit une règle de vérité et donner ainsi matière aux accusateurs, mais nous convenons que nous exerçons seulement notre réflexion sur les pensées qui nous sont soumises, loin que nous livrions un enseignement exégétique dans ce qui va suivre. Que personne n’attende de mon traité qu’il engage le débat contre les objections qu’on nous fait à partir de la Sainte Ecriture [68D] ni contre ce qui, dans les interprétations excellentes données par notre maître, semble être en désaccord avec les opinions communes. Car mon propos n’est pas d’imaginer une défense pour les contradictions qu’on croit distinguer à première vue, mais qu’on accepte que j’étudie librement, dans le but que je choisis, le sens de ce qui est écrit : peut-être nous sera-t-il possible, avec l’aide de Dieu, tout en conservant à l’expression son sens propre, de concevoir une théorie liée et ordonnée de la création du monde.


Dieu peut amener ses pensées à l'existence

Il est dit : Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre et tout ce que comporte à la suite le texte de la cosmogonie. Voilà ce qui fut fait au cours des six jours de la création. Mais il faut, je crois, avant d’examiner ce qui est écrit, [69A] qu’on se mette d’accord sur ceci : dans la nature divine, la puissance accompagne l’intention, et la mesure de la puissance de Dieu est son vouloir ; son vouloir est savoir ; le propre du savoir est de ne rien ignorer pour que chaque créature puisse être faite ; à la connaissance est naturellement liée aussi la puissance ; si bien que tout ensemble il a connu ce qui devait être et la force réalisatrice des êtres, qui amène l’objet pensé en existence en acte, a accompagné cette connaissance, sans aucun retard sur elle, mais l’œuvre est manifestée en liaison avec le projet et sans retard sur lui ; car le projet est puissance : en même temps, le projet décide la création des êtres et il procure les moyens pour l’existence des objets pensés. Aussi doit-on concevoir ensemble tout ce qui concerne l’action créatrice de Dieu : le vouloir, le savoir, la puissance, l’appel des êtres à l’existence. [69 B] Cela étant, personne ne saurait plus se laisser tourmenter dans sa recherche sur la matière, par les questions sur son mode de création et son origine – car on peut entendre des gens dire par exemple : « si Dieu est immatériel, d’où vient la matière ? Comment la quantité vient-elle de ce qui n’a pas de quantité, de l’invisible le visible, de ce qui est sans grandeur et sans limite ce qui est limité absolument dans un volume et une mesure ? Et tout ce qui se voit encore dans la matière, comment et à partir de quoi les a produits celui qui ne possède rien de tel dans sa propre nature ? » – En effet nous avons une solution unique pour les objections à propos de la matière : poser comme base de raisonnement que le savoir de Dieu n’est pas sans puissance, ni sa puissance sans savoir, mais que ces attributs sont liés l’un à l’autre et que l’un et l’autre sont manifestés dans l’unité, si bien que simultanément et en même temps l’un est reconnu avec l’autre. [69C] En effet sa volonté savante a trouvé sa manifestation dans la puissance des objets actualisés, et sa puissance actualisante a trouvé son accomplissement dans sa volonté savante ; si donc dans le même être et dans le même cas se trouvent le savoir et la puissance, cet être n’ignore pas comment peut être trouvée une matière pour l’organisation des êtres et n’est pas impuissant pour amener à l’existence en acte ce qui est pensé.

 

Création de la matière par le concours des qualités

Comme il peut tout, il a, par sa volonté connaissante et puissante, fondé ensemble, en vue de la réalisation des êtres, tout ce dont la matière est constituée : le léger, le lourd, le dense, le rare, le mou, le résistant, l'humide, le sec, le froid, le chaud, la couleur, la forme, le contour, la durée ; toutes ces choses, prises en soi, sont de simples notions et pensées. En effet, la matière n'est en soi aucune d'entre elles, mais devient matière lorsqu'elles se rassemblent les unes avec les autres.

[69D] Si donc dans l’éminence de son savoir et de sa puissance il connaît tout et peut tout, nous ne sommes peut-être pas loin de la parole sublime de Moïse qui dit que en résumé – c’est la traduction qu’a donnée Aquila au lieu de au commencement – le ciel et la terre ont été créés par Dieu.

Puisqu’en effet le prophète a rédigé le livre de la Genèse pour introduire à la connaissance de Dieu et que le but de Moïse est de conduire par la main les humains soumis à l’esclavage des sens, par l’intermédiaire des phénomènes, à ce qui est au-dessus de la perception sensible, que d’autre part le ciel et la terre imposent leur limite à notre connaissance par la vue, le texte a nommé comme englobant l’universalité des êtres les derniers de ceux que nous connaissons par la sensation afin d’embrasser, en disant que ce qui constitue l’enveloppe a été fait par Dieu, tout ce qui est enveloppé à l’intérieur des extrêmes, [72A] et au lieu de dire que Dieu créa les êtres globalement, il a dit que en résumé, ou au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Les deux termes, commencement et résumé, ont la même signification : l’un et l’autre expriment également le caractère global de la création ; dans résumé l’auteur montre que tout a été fait en un seul acte et commencement exprime l’acte instantané et sans espacement, car le commencement est étranger à toute pensée d’espacement ; comme le point constitue le commencement pour la ligne, et l’atome pour le volume, ainsi l’instant pour tout l’espacement temporel.

Donc l’institution globale des êtres par l’indicible puissance de Dieu a été nommée par Moïse commencement ou résumé, terme par lequel il affirme que le tout se tient rassemblé, en citant les êtres extrêmes et en désignant par les extrêmes ce qui est entre eux sans en parler ; [72B] je dis les extrêmes par référence à la sensibilité humaine qui ne peut s’insinuer jusqu’à ce qui est sous terre ni franchir le ciel.



La création se développe selon un certain enchaînement

Le commencement de la cosmogonie nous donne donc à penser que Dieu a placé globalement, en un instant, les principes, les causes et les puissances de toutes choses, et que dans la première impulsion de sa volonté, la substance de chacun des êtres s'est constituée : ciel, éther, astres, feu, air, terre, êtres vivants, plantes. Tous ces êtres, le regard divin les contemplait, révélés par une parole de puissance, de par (ainsi que le dit la prophétie) la connaissance qu'il avait de tous avant leur création, et, de l'utilisation conjointe de sa puissance et de sa sagesse s'est ensuivi un enchaînement nécessaire, suivant un certain ordre, [72C] dans l'achèvement de chacune des parties du monde : c'est ainsi que tel être s'est présenté et révélé avant les autres êtres observables dans le tout, et après lui, de la même façon, celui qui suivait nécessairement le premier, puis un troisième, suivant ce qu'a ordonné la nature industrieuse, puis un quatrième, puis un cinquième, et ainsi de suite, suivant un enchaînement successif, non qu'ils se manifestent ainsi par quelque rencontre automatique, selon quelque impulsion sans ordre et liée au hasard, mais parce que l'ordre nécessaire de la nature recherche un enchaînement dans les faits ; voilà comment Moïse dit que toutes choses sont venues à l'être, lorsqu'il a, sous forme de récit, livré son enseignement sur les questions de la physique et a retranscrit certains mots de Dieu qui ordonnent chacune des choses venues à l'être, donnant une nouvelle marque de son intelligence et de son sens de Dieu. Car tout ce qui se produit dans une savante succession est une parole directe de Dieu car nous ne pouvons savoir ce qu’est l’essence de Dieu mais lorsque nous saisissons en esprit le savoir en soi, la puissance en soi, nous pouvons croire que nous avons saisi Dieu en pensée.



Le feu était masqué par la densité du substrat originel

Voilà pourquoi, lorsque tout est venu à l'être, avant que chacun des êtres qui remplissent le tout fût révélé en lui-même, la ténèbre était répandue sur le tout : en effet [72D] l'éclat du feu n'était pas encore visible, caché qu'il était sous les parties de la matière ; et de même que les cailloux aussi restent invisibles dans l'obscurité, bien qu'ils possèdent en eux-mêmes, par nature, un pouvoir luminescent - lorsque de leur rencontre mutuelle le feu naît, que l'étincelle en jaillit et que chacun apparaît à la lumière de celle-ci - de même, tout était invisible et caché, avant que la substance éclairante n'advienne pour le rendre visible. En effet, comme tout était venu à l'existence justement d'un seul coup, en une seule impulsion de la volonté divine, le tout subsistant sans distinction, et que tous les éléments étaient mêlés les uns aux autres, le feu, dispersé dans toutes les directions, était maintenu à l'ombre, masqué par l'excès de la matière. Mais puisque sa puissance est d'une certaine vivacité et mobilité, en même temps que fut donné à la nature le signal de la création du monde par Dieu, elle s'élança en avant de toute la nature plus lourde, et aussitôt tout rayonna de lumière.



La parole impérative de dieu est créatrice

Ce qui fut fait en raison du savoir par la puissance du créateur a été transmis par Moïse sous la forme d’une parole impérative de Dieu : Dieu dit : « que la lumière soit » et la lumière fut. Pour Dieu en effet, à notre idée, l’action est raison, puisque tout ce qui est fait, est fait par raison et, de ce qui a Dieu pour auteur, on ne peut rien penser qui soit sans raison, ni de hasard ni spontané, mais il faut [73B] croire qu’en chaque être réside une raison savante et industrieuse, même si elle surpasse notre vue. Dieu dit : puisque cette locution exprime une raison, nous en aurons, je pense, une idée recevable pour la théologie si nous rapportons ces mots à la raison qui réside dans la création. C’est en effet l’exégèse que le grand David aussi a donnée de ces locutions lorsqu’il dit : tu as tout créé dans la sagesse ; aux paroles impératives qui créent les êtres, que la rédaction de Moïse fait sortir de la voix de Dieu, David a donné le nom de sagesse contemplée dans les œuvres produites ; à partir de quoi il dit aussi que les cieux proclament la gloire de Dieu évidemment parce que le chef d’œuvre dont ils développent le spectacle dans leur révolution harmonieuse est parlant pour ceux qui possèdent la connaissance ; en effet, après avoir dit que les cieux proclament et que le firmament annonce, il remet sur la voie ceux qui entendent trop grossièrement ces expressions et attendent peut-être de la proclamation des cieux un son de voix et une parole articulée : il dit que ce ne sont pas des discours ni des paroles, on n’entend pas leurs voix, pour montrer que la sagesse qui se voit dans la création est une parole, même si elle n’est pas articulée. Et ailleurs, le passage où Moïse dit que des paroles de Dieu lui ont été adressées lors des signes miraculeux opérés en Égypte, a reçu du psalmiste une exégèse qui dépasse le niveau commun de compréhension ; celui-ci dit en effet : il a placé en eux les paroles de ses signes et de ses prodiges dans la terre de Cham. Qu’une certaine parole conduise à l’acte réel la puissance de réalisation de chacun des êtres, voilà bien ce que le psalmiste a laissé entendre par cette expression, en tant que cette parole ne consiste pas en mots prononcés mais qu’est ainsi dénommée la puissance capable de prodiges.



La manifestation du feu est une parole divine

[73D]Donc, dans ce cas aussi, par la promptitude et la mobilité de sa nature, la puissance lumineuse jaillit la première en se séparant des êtres d’une autre nature, et tout ce qui reçut à la ronde son éclairement fut illuminé par sa puissance resplendissante. Et la parole par laquelle la substance du feu réalisa cela, seul Dieu peut la prononcer, Dieu qui a déposé le principe lumineux dans la nature ; et le grand Moïse aussi en apporte le témoignage dans son style propre [76A] lorsqu’il dit : Et Dieu dit : que la lumière soit, enseignant par ces mots, je crois, que la réalisation de la lumière est une parole divine qui passe toute pensée humaine. Car pour nous, nous contemplons seulement ce qui se produit et notre sensibilité nous fait connaître l’événement merveilleux ; mais nous ne pouvons voir ni penser aucunement où le feu séjournait avant d’être produit d’un seul coup, qu’il bondisse du choc de deux pierres ou de fragments de quelque autre matière en frottement les uns contre les autres, ni ce qu’est la puissance qui dévore ce dont elle se saisit et fait resplendir l’air de sa flamme, mais nous déclarons qu’en Dieu seul réside le principe de cette action merveilleuse qui nous étonne, en Dieu qui a fait, selon le principe indicible de sa puissance, que la lumière soit produite par le feu, [76B] comme Moïse en porte témoignage dans son propre langage lorsqu’il dit : et Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut, et Dieu vit que la lumière était belle. Car c’est en vérité le fait de Dieu seul de voir comment créer quelque chose d’aussi beau tandis que la misère de notre nature considère le fait mais n’est capable, ni de voir le principe suivant lequel il est fait, ni de le louer ; car pour la louange il faut pouvoir comprendre, non pas être dans l’ignorance.



"Dieu sépara la lumière des ténèbres"

Dieu, est-il dit, vit donc que la lumière était bonne, et Dieu sépara d'un côté la lumière et de l'autre l'obscurité. [76C] A nouveau, Moïse rapporte à l'action divine ce qui est venu à l'être suivant l'enchaînement naturel, dans un certain ordre et dans l'harmonie, nous apprenant, je pense, par ses paroles, qu'a été compris d'avance par le savoir de Dieu tout ce qui va se produire suivant quelque ordre nécessaire, par enchaînement. En effet, comme la substance lumineuse était dispersée auparavant, avait concouru avec ce qui lui était apparenté et s’était rassemblée toute entière avec elle-même, il est nécessaire que ce qui était masqué par la matière restante des éléments restât obscur, et que l'ombre projetée fût obscure. Donc, pour que personne ne se réfère à une rencontre de hasard, Moïse dit que ce qui vient à l'être par enchaînement est l’œuvre de Dieu, qui a placé cette puissance dans les créatures.



La trajectoire du feu l'amène à la limite du monde sensible

Mais que la nature du feu soit vive, portée à s'élever et toujours en mouvement, les phénomènes le montrent de façon tout à fait claire ; et [76D] Moïse a rapporté par écrit la conséquence logique de ce principe, sur le mode historique, sous forme de récit : et le soir fut créé, ainsi que le matin. Qui en effet ne sait pas que, comme la création peut être conçue en deux parties, en intelligible et en sensible, tout le zèle consiste donc pour le Législateur non pas à expliquer les choses intelligibles, mais à nous montrer par l'intermédiaire des phénomènes l'ordre à l’œuvre dans les choses sensibles. Ainsi, lorsque le feu, en même temps que le tout se constituait, projeté comme une flèche hors des éléments de nature différente, s'est élancé, dans son mouvement ascendant et léger par nature, avant tout le reste, et a, pareil à une pensée, parcouru la substance sensible, il n'a pu prolonger en droite ligne son mouvement, car la partie intelligible de la création n'a rien de commun avec les êtres sensibles qui puisse permettre leurs relations réciproques ; or le feu est sensible. [77A] Voilà pourquoi le feu, parvenu aux limites extrêmes de la création, a pris nécessairement un mouvement circulaire, parce qu'il était poussé par la force inhérente à sa nature à être entraîné avec le monde entier, et que, n'ayant pas la place de se mouvoir en ligne droite - car la partie sensible de la création est déterminée par ses propres limites - il avance jusqu'à la limite extrême de la nature sensible, où il accomplit son mouvement sans difficulté, tandis que la nature intelligible, comme nous le disions auparavant, n'a pas reçu en elle la course du feu. C'est pour cette raison que Moïse, suivant par la pensée le mouvement du feu, ne dit pas que la lumière, après être apparue, est demeurée dans les mêmes parties du monde, mais qu'elle a, contournant le substrat plus épais des êtres dans la vivacité de son mouvement, apporté dans sa révolution [77B] la lumière aux choses qui n'étaient pas éclairées, les ténèbres à ceux qui l'étaient.


Création du jour et de la nuit.

Cette succession, je veux dire celle du jour et de la nuit, se déroule durant des intervalles de temps égaux, dans les régions inférieures ; Moïse attribue encore à Dieu la création des noms de jour et de nuit, afin de ne pas laisser à penser qu'aucune des choses qui se succèdent suivant l'enchaînement pourrait avoir un principe hasardeux ou dû à quelque autre cause. C'est pourquoi il dit : "Dieu appela la lumière jour et l'obscurité, il l'appela nuit." En effet, comme la puissance lumineuse est incapable de rester immobile de par sa nature, lorsque son éclat eut parcouru toute son orbite dans la région supérieure et comme son mouvement la portait vers la région inférieure, il était nécessaire que, la course du feu menant celui-ci en dessous, la zone qui était au-dessus fut obscurcie, sa nature opaque interceptant normalement la lumière ; il a donc appelé [77C]soir le retrait de la lumière. Et au contraire, lorsque le feu courait autour de l'orbite inférieure, et qu'il faisait remonter la lumière vers les régions supérieures, il nomma cet événement le matin, appelant ainsi l'aurore.



"le ciel et la terre" : par les extrêmes, l'Écriture désigne l'ensemble de la création

Mais reprenons notre propos un peu plus haut pour que les citations que nous ferons de l’Ecriture nous confirment l’ordre du commentaire que nous avons proposé. Les premiers mots du récit de la création sont : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Notre interprétation a été que ce passage exprime le caractère global de l’institution des êtres en désignant par l’enveloppe également l’intérieur : le milieu est toujours contenu dans les extrêmes et les extrêmes sont, pour la connaissance sensible, le ciel et la terre, puisqu’ils arrêtent dans les deux sens la vue des hommes. [77D] De même que celui qui a dit dans sa main les limites de la terre a compris également le contenu que les limites enveloppent, de même que Moïse a décrit l’acte qui fondait la matière du monde entier en citant ses limites.



"la terre était invisible et informe" : elle était en puissance, non en acte

Nous disons que la phrase qui fait transition confirme une telle interprétation. Il est écrit en effet que la terre était invisible et informe ; aussi apparaît-il clairement d'après ceci que, d'une part, tout était en puissance dans la première impulsion de Dieu pour la création, comme si quelque puissance séminale avait été répandue en vue de la naissance de toute chose, et que d'autre part chaque être en lui-même n'était pas encore en acte.

La terre, est-il dit, était invisible et informe ; cela revient précisément à dire qu'elle était et qu'elle n'était pas, car ses qualités ne s'étaient pas encore rassemblées autour d'elle ; et, preuve de cette pensée, le récit dit qu'elle était invisible : en effet la couleur est visible ; or la couleur est quelque chose qui émane de la forme à sa surface ; et il n'y a pas de forme sans corps ; si donc elle était invisible, elle était entièrement dépourvue de couleur ; d'où s'ensuit l'absence de forme ; et de là la non-corporéité ; donc, dans la globalité de la fondation de l'univers, la terre faisait partie des êtres, au même titre que tous les autres, mais elle attendait de devenir ce qu'elle est par la mise en forme des qualités. Car en disant qu'elle était invisible, le récit montre qu'aucune autre qualité n'était visible en elle, et en l'appelant informe, il donne à comprendre qu'elle n'avait pas été encore modelée avec ses propriétés corporelles.



80B : Les traductions de Symmaque, Théodotion, et Aquila.

Cette pensée est plus clairement encore exprimée par l'Écriture d'après Symmaque, Théodotion et Aquila ; chez le premier, quand il dit que la terre était inactive et confuse, chez le second un vide et un rien, chez le dernier quelque rien. Il apparaît en effet chez ces auteurs, à mon avis, dans l'emploi de « inactive », que la terre n'était pas encore en acte, mais qu'elle possédait l'être seulement en puissance ; dans l'emploi du confuse, il apparaît que chacune des qualités ne s'était pas encore séparée des autres ni n'était connue en elle-même distinctement, mais que le tout apparaissait dans la confusion et l'indistinction, et qu'il n'y avait ni couleur, ni forme, ni volume, ni poids, ni quantité, ni rien d'autre du même ordre, qui fût visible en soi, possédant son principe propre, dans le substrat ; c'est la même pensée qu'exprime le un vide et un rien : en effet, la puissance capable de contenir les qualités a été donnée à entendre par le mot vide, de sorte que l'on apprend par là que la création de toutes choses a produit la puissance capable de recevoir les qualités, qui est vide et ne contient rien en elle avant d'être remplie par les qualités. Quant à la troisième expression, je pense qu'il convient de l'abandonner sans examen, comme trouvée dans la philosophie d'Epicure, car celui-ci dit quelque chose de semblable à propos du premier principe des êtres, disant là une parole vide de sens et montrant par ces mots que la nature absurde des atomes est un néant, ce qui est semblable à quelque rien.



Le firmament est le nom de la limite du monde sensible

Mais revenons à ce qui concerne notre étude : comment, quand le feu eut fait une fois le tour de la limite extrême de la nature sensible, il s'ensuivit la venue à l'être du [80D] firmament, lui dont le texte dit précisément qu'il est la ligne de partage entre les eaux d'en haut et celles d'en bas. Car pour ma part, je crois qu'on ne peut aucunement voir dans le firmament un corps solide et résistant, que ce soit l'un des quatre éléments ou quelque autre différent, comme l'imagine la philosophie, mais que c'est la limite de la substance sensible, que précisément la nature du feu parcourt dans sa puissance toujours mobile, que l'Écriture dit être le firmament, par comparaison avec la propriété d'être perpétuel, incorporel et intangible.

Qui en effet ne sait pas que tout ce qui est solide a été rendu tout à fait dense par quelque résistance ? et que ce qui est dense et résistant n'est pas sans prendre aussi la qualité du poids ? et que ce qui est pesant par nature ne peut être porté à s'élever ? Or le firmament est assurément situé au-dessus de toute la nature sensible ; aussi l'enchaînement de notre discours ne donne-t-il pas à comprendre dans le firmament quelque chose de dense et de corporel, mais, comme on l'a dit, par distinction avec ce qui est seulement intelligible et incorporel, on peut dire de tout ce qui est de l'espèce du sensible qu'il est solide, même s'il échappe à la compréhension de par sa nature très subtile. Il s'ensuit donc que toute la séparation effectuée par la course du feu - et c'est ainsi que la limite du monde matériel a été distinguée, déterminée une fois pour toutes par une borne propre - d'une part a été appelée firmament à cause de la nature matérielle, par comparaison avec ce qui est au-dessus, et d'autre part a reçu le nom de ciel, de même que l'on a donné le nom de jour à la lumière et de nuit à l'obscurité.



81B : Le firmament sépare des eaux

La séparation des eaux opérée par l’interposition du firmament, d’une part n’est pas incompatible avec cette façon de voir, d’autre part s’enchaîne logiquement si l’on considère l’Ecriture. Le texte de l’Ecriture enchaîne en effet, après avoir parlé de la terre : une ténèbre était au-dessus de l’abîme et l’Esprit de Dieu était porté au-dessus de l’eau. Nous pouvons conjecturer que l’Esprit de Dieu est aussi loin d’être ténèbre qu’il est étranger à tout mal et on peut citer à ce propos mille paroles de la Sainte Ecriture : Dieu est lumière véritable et habite une lumière inaccessible ; l’Esprit de Dieu est par sa nature ce qu’est Dieu lui-même ; si Dieu et l’Esprit ont une seule et même nature et si Dieu est lumière, il faut bien conclure que l’Esprit de Dieu aussi est lumière ; d’autre part la lumière met immanquablement dans la lumière ce sur quoi elle est portée. Donc l’eau sur laquelle l’Esprit de Dieu était porté était immanquablement dans la lumière et à l’abri de l’ombre, et ce qui n’était pas dans la ténèbre n’avait absolument pas besoin d’un être qui l’illuminât.



L’eau : un nom, deux substances

Si ces idées sont recevables, l’eau sur laquelle l’Esprit de Dieu était porté est autre chose que la nature portée à descendre des eaux qui coulent ici-bas ; elle est séparée par le firmament de l’eau pesante et portée à descendre. Si est également nommée eau par l’Ecriture cette substance dons nous conjecturons, en élevant le niveau de notre étude, qu’elle désigne le plérôme des puissances intelligibles, il ne faut pas qu’on se laisse abuser par l’homonymie. Car aussi bien Dieu est un feu dévorant, mais le terme est exempt de la signification matérielle du mot feu. Donc, comme quand tu entends dire que Dieu est un feu, tu penses qu’il est autre chose que le feu d’ici-bas, de même quand tu reçois l’enseignement d’une eau soumise à l’Esprit de Dieu, tu ne dois pas penser qu’il s’agit d’un élément porté à descendre à descendre qui vient s’écouler sur la terre ; car l’Esprit de Dieu n’est pas porté sur les êtres terrestres et instables.



81C : Le firmament : résumé de ce qui vient d'être exposé

Donc, afin d'éclairer cette pensée et de la rendre plus claire, nous reprendrons avec concision le sens de ce que l’Ecriture a dit : le firmament, qui a été appelé ciel, est la limite de la partie sensible de la création. Ce qui la remplace au-delà de cette limite, c'est la création intelligible, dans laquelle il n'y ni forme, [81D] ni grandeur, ni position en un lieu, ni mesure par intervalles, ni couleur, ni figure, ni quantité, ni aucune autre des choses visibles sous le ciel.



84A : Grégoire pense que l’abîme représente la masse des eaux

Que personne ne me soupçonne, parce que je prends les mots dans un sens figuré, d’introduire de la confusion dans l’interprétation du texte, de soutenir ainsi les opinions de ceux qui ont avant nous donné de telles interprétations et de dire que les puissances rebelles sont appelées abîme et que le prince de la ténèbre est conçu comme la ténèbre qui est au-dessus de l’abîme. Je ne saurais commettre le crime de penser que le mal soit une création de Dieu, quand le livre divin dit clairement dans une formule de résumé : et Dieu vit tout ce qu’il avait fait et il vit que tout était très beau. Si tout ce qu’a fait Dieu est beau et si l’abîme et ce qui s’y rapporte n’est pas exclu du nombre des œuvres de Dieu, ces œuvres aussi sont belles dans leur ordre, quoique abîme et quoique n’ait pas encore brillé sur elles la lumière qui réside dans les êtres. Donc, lorsque j’entends le mot abîme dans l’Ecriture, je dis qu’est désignée la masse des eaux, car c’est ainsi que le définit aussi le psaume : les abîmes furent troublés, masse du retentissement des eaux ; et lorsque j’entends la ténèbre qui l’accompagne, je pense que c’est que la puissance lumineuse qui réside dans la nature des êtres n’est pas encore apparue.



Le firmament sépare deux sortes d'eaux bien distinctes

Pour l’enseignement que nous donne l’Ecriture lorsqu’elle parle d’une séparation d’eaux opérée au moyen du firmament, je ne crois pas que je propose quelque chose d’inadmissible ni que je trahisse le sens des mots que j’ai d’une séparation de l’eau une [84B] conception qui me fait penser et être convaincu que la nature de chacun, de part et d’autre, est différente : l’une est ascensionnelle et légère et plus agile que la légèreté du feu, au point que, demeurant au-dessus de la substance chaude, elle ne se laisse pas entraîner par le mouvement de ce qu’elle a sous elle et n’est pas mise par la chaleur à un rang égal mais demeure la même sans perte et ne laisse au feu qui court sous elle aucune possibilité de la traverser – comment en effet l’immatériel pourrait-il constituer un lieu pour ce qui est matériel ? – l’autre eau est celle dont nous connaissons la nature par la vue, le toucher, le goût : pour ce qui est porté à descendre, se voit distinctement, se reconnaît au goût grâce à la qualité qui y réside, la nature de ce qui est ainsi reconnu ne nous oblige pas à l’appliquer à un autre concept.



L'eau d'en haut est hors de l'espace et de la sensibilité

[84C] Ce qui porte ainsi le nom d’eau, qui ne se voit pas, ne coule pas, n’est enfermée par absolument rien de ce par quoi la substance liquide exige par nature d’être maintenue, mais qui est hors de l’espace et ne partage aucunement la qualité connue par la sensibilité, je pense que personne, si on a tout bien pesé pour en juger, considérant que cette substance est placée sous l’esprit de Dieu, convaincu qu’elle est au-dessus des cieux, considérant qu’elle demeure étrangère à tout ce qui peut connaître la sensibilité, que personne ne saurait refuser d’y voir autre chose que l’eau commune, car on est conduit par ce qu’on a ainsi admis, à penser à la substance intelligible. Notre examen en effet nous a fait admettre que tout ce qui est en mouvement [84D] est enfermé à l’intérieur de la nature intelligible et accomplit sa révolution sur lui-même ; que pour les êtres en mouvement la limite de la nature étendue constitue une frontière au-delà de laquelle on trouve la puissance intelligible et inétendue, sans caractérisation par localisation ni distanciation.



Même à l'origine, les deux sortes d'eaux étaient distinctes

Nous déclarons donc que la limite extrême de l’être sensible au-delà de laquelle existe quelque chose qui n’a rien de semblable à ce que nous connaissons dans les phénomènes, est désignée de façon suggestive par le terme de firmament, et l’Ecriture confirme ce que nous admettons ainsi, quand elle dit : Dieu mit une séparation entre l’eau qui était au-dessus du firmament et l’eau qui était au-dessous du firmament. Ces formules montrent en effet que pas même à l’origine l’une et l’autre eau ne se sont trouvées mélangées, [85A] mais que, malgré l’identité de leur nom, leurs natures n’étaient pas confondues, puisque l’expression n’est pas qu’elles passèrent au-dessous ou au-dessus du firmament, mais celle qui était au-dessous du firmament et celle qui était au-dessus du firmament. Si l’une s’est trouvée aussitôt projetée dans la ténèbre pour occuper la position inférieure, tandis que l’autre n’était pas dans la ténèbre – car ce qui est dans l’Esprit est totalement dans la lumière et sans contact avec la ténèbre – et était en même temps au-dessus du firmament qui est décrit entre les deux, que l’auditeur intelligent juge si notre raison a émis, dans nos propos, des conjectures qui soient en désaccord avec la façon convenable de concevoir les choses.



Apparition du nombre : un jour représente une révolution du feu

Voilà donc ce que nous avons compris sur l'organisation des êtres, et sur la manière dont la lumière n'accéda pas après les autres êtres dans l’état de puissance de la substance, même si l'Écriture dit que l'obscurité était observable avant la lumière. Voilà aussi tout ce que [85B] nous avons pensé par conjectures sur le firmament et sur la diversité des eaux, dont la nature, divisée en eau tombant vers le bas et en eau légère, nous a inspiré des pensées nuancées sur chacune des deux eaux mises sous le même nom.

Après que les eaux, la mesurable et l'intelligible, ont été séparées l'une de l'autre, et que le ciel a montré la limite séparant les deux natures d'eau, lui qui, dit-on, est apparu au commencement après la terre et tout ce qui avait été déposé pour la création de l'univers, et a été alors achevé, nommé sous la désignation de firmament et délimité par la course circulaire du feu, la seconde révolution de la lumière assombrit et éclaira [85C] à nouveau le substrat par parties, fait qui, nommé aussi selon la même logique que précédemment, fut appelé jour, et par un enchaînement nécessaire, la nature du nombre advint aussi à la création. En effet le nombre n'est rien d'autre que la combinaison d'unités, et tout ce qu'on observe dans une limite déterminée, est appelé unité. Puisque donc le cercle est en tout point continu, limité en lui-même, c'est avec raison que la parole appelle un le premier parcours du cercle, en disant il y eut un soir et il y eut un matin, premier jour, et encore le suivant, de la même manière, un ; en les additionnant l'un et l'autre, elle créa le deux. Et c'est ainsi que la parole introduit en même temps que les parties de la création l'apparition du nombre, lorsqu'elle signifie l'enchaînement de l'ordre par des noms de nombre ; en effet, elle dit il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour.



85D : L'air n'est pas mentionné par Moïse

Ainsi, après ces évènements, la nature des êtres suivant de nouveau son enchaînement, ce qui devait nécessairement suivre les premiers événements s'accomplit ; l'ordre divin précède aussi cette réalisation, Moïse nous fortifiant là complètement dans la pensée qu'aucun être que ce soit n'a été mis en place sans l'aide de Dieu, pour que l'émerveillement, suscité par chacun des êtres créés, revienne à leur créateur. En effet, après que toute la substance lumineuse et brûlante a été distinguée des autres par ses qualités propres, il passe sous silence la formation de l'air. Il était cependant vraisemblable que celui-ci fût cité en seconde place dans son histoire de la nature, après la révolution du feu, parce qu'il y a une certaine parenté, sous le rapport du léger, entre lui et la très grande légèreté que l'on constate dans le feu, et qu'ensuite on décrive de même la nature pesante ; Moïse parle de cette dernière, mais il néglige dans son exposé l'air, non pas comme ne contribuant nullement à l'achèvement de tout l'univers, ni comme distinct de la puissance des éléments, mais vraisemblablement parce que, de par sa mollesse et l'absence de résistance de sa nature, l'air est destiné à recevoir chacun des êtres, laissant voir en lui les êtres, n'ayant quant à lui ni couleur propre, ni forme, ni surface, mais se modifiant autour de couleurs ou de formes étrangères ; en effet, il devient lumineux sous l'action de l'éclat de la lumière, et s'obscurcit en revanche quand il est à l'ombre, mais il n'est en soi ni lumineux ni sombre. Il s'attache à toute forme, et est contaminé par tout type de couleur et s'approprie tout mouvement de ce qu'il porte en lui, car il s'écarte facilement de chaque côté de ce qu'il porte, et lorsqu'il [88B] s'est divisé spontanément de part et d'autre de la masse du corps en mouvement, il se rassemble ensuite à l'identique. De même, quand l'eau se répand d'une amphore dans laquelle elle se trouvait, il est divisé par son écoulement et revient de lui-même en place à l'intérieur du vase, à la place laissée vide. Et mille exemples analogues font apparaître la mollesse et l'absence de résistance de la nature de l'air ; Par suite c'est en lui que prend place la vie des hommes, puisque presque toute la puissance de vie ainsi que le fonctionnement des sens trouvent leur force dans l'air, car nous voyons et nous entendons à travers lui, et avons de même en lui la perception des odeurs - or l'inspiration du souffle est la chose la plus importante parmi celles qui contribuent à la vie, car lorsque nous cessons de respirer, nous cessons aussi de vivre. [88C]C'est pour cette raison que le sage Moïse a laissé sans mention dans son récit de la création l'élément qui nous est familier et qui fait partie de notre nature, dont nous nous nourrissons dès après notre naissance, parce qu'il a pensé que suffisait pour cette partie l'apprentissage que nous faisons du lien qui rapproche naturellement notre nature et l'air ; mais les êtres qui apparaissent dans l'air pendant la création sont détaillés par son récit comme il convient à chacun d'eux.



Les autres éléments : l'eau et la terre

En effet, passé le deuxième jour, de nouveau, l'ordre sage et tout à fait heureux des événements, qui sépare l'eau de la terre, est rapporté sous forme d'une parole impérative de Dieu. Car en vérité, tout ce qui advient dans la sagesse est une parole de Dieu, parole qui n'est pas articulée par des organes vocaux, mais prononcée à travers les merveilles visibles dans les phénomènes ; car alors, lorsque la qualité terrestre était mêlée à la nature humide, qui d'autre que lui était à même de rendre dense la terre dans ses propres qualités, de sorte que, toutes ses parties comprimées suivant leur nature commune, elle exprimât hors d'elle, par pression et condensation, l'humidité qu'elle contenait, et que l'eau qui était mêlée à la terre s'en distinguât et se rassemblât sur elle-même en emplissant les creux de la terre ? Un tel événement est bien en vérité du domaine d'une puissance et d'une sagesse divines ; c'est pourquoi Moïse dit que c'est la sagesse de Dieu, lorsqu'elle prononce quelque parole impérative, qui explique cette merveille. Mon avis, à ce sujet, est qu'il donne à voir la raison inhérente à la nature de la création par l'intermédiaire de cette parolequi ordonne de sortir ; Moïse dit en effet : "Dieu dit : que les eaux se réunissent dans leur lieu de rassemblement, [89A] et que le sec soit visible." Tu vois l'ordre nécessaire de la nature : comment, lorsque l'eau a été retirée de la terre, ce qui a été séparé de l'humidité devient sec, et comment, l'humide n'étant plus mélangé avec la terre comme dans l'argile, l'eau est nécessairement enveloppée dans des réceptacles, afin qu'elle ne vienne pas à disparaître à cause de la fluidité de sa nature, si rien ne fait autour d'elle obstacle à son épanchement.



L'eau ne peut être identique à l'eau d'en haut

Mais il me semble que le moment n'est pas mal choisi de faire à nouveau mention des eaux hypercélestes. Si en effet ici-bas il est nécessaire que la terre prenne forme pour recevoir les eaux, enfermant leur écoulement dans des sortes de replis, et procure la stabilité, par sa propre fixité, à la nature instable des eaux, comment l'eau d'en haut, si toutefois elle est par essence de l'eau, resterait-elle sur ce qui est instable, et demeurerait-elle sur ce qui est courbe sans se répandre ? [89B] Car si nous supposons une seule et même nature aux deux sortes d'eaux, il faut de toute nécessité croire que tout ce que nous voyons en l'une est identique en l'autre aussi ; eh bien donc, la voûte du ciel est fendue en ravins, formant des trous par l'ouverture de précipices, afin que l'eau soit retenue dans les creux... qu'ira-t-on dire, pour les moments où la révolution circulaire du pôle incline vers le bas ce qui est maintenant au-dessus ? N'ira-t-on pas imaginer que les creux ont des couvercles, pour que l'eau maintenant suspendue ne s'écoule pas hors des cavités ?



Les rapports du feu et de l'eau : la transmutation des éléments

 

Le feu est-il destructeur ? Grégoire s'excuse de devoir contredire Basile.

Mais on dit que le feu consume, et qu'il a besoin que quelque matière entretienne toujours sa flamme, afin qu'il ne soit pas affaibli par le manque de combustible, [89C] en se consumant lui-même ; mais pour moi, même si la grande voix de notre maître soutient une telle pensée, je demande aux lecteurs de ne pas m'en vouloir si, veillant à l'enchaînement logique, je ne me soumets pas absolument à ceux qui se sont consacrés avant moi à l'observation des êtres. Car aussi bien, le but de notre maître était non pas de présenter à ses auditeurs ses propres pensées comme des lois, mais de faire apparaître pour ses disciples, par son enseignement, une voie d'accès à la vérité ; pour nous donc, après avoir été formés par les enseignements qu'il a laissés, nous veillons à l'enchaînement logique : et si cet exposé avait par hasard quelque vraisemblance, ce devrait être aussi rapporté à la sagesse de notre maître.

 

Les qualités s'opposent mais ne se nourrissent pas de leur opposé

Quel raisonnement tenons nous donc devant l'objection soulevée ? Ce n'est pas seulement dans le feu et l'eau que nous observons [89D] des qualités opposées symétriquement, mais on peut également trouver dans chacun des éléments, d'une façon générale, un conflit de ses particularités avec celles qui leur sont opposées. En effet de même que, dans les éléments dont nous avons fait mention, la chaleur lutte contre le froid, la sécheresse contre l'humidité, de même encore dans l'autre opposition, celle de la terre et de l'air, il existe en chaque élément des qualités opposées les unes aux autres, la solidité et la mollesse, la compacité et la porosité, le poids et la légèreté, et toutes les autres que l'on peut découvrir par opposition, dans leur originalité, en chacun d'eux. De même donc qu'on ne peut pas dire qu'en eux l'un se nourrisse de son contraire, car ni la légèreté de l'air ne s'augmente en consumant ce qui est lourd, ni la densité de la terre n'agit sur la porosité de l'élément opposé, [92A] ni le reste des particularités de la terre ne nourrit par sa propre destruction les qualités aériennes, de même, on pourrait dire que l'humide et le froid sont opposés à la chaleur et au sec, mais pas cependant que les premiers sont nourris par la destruction des seconds, ni que chacun d'eux trouve sa puissance d'exister dans le fait que l'autre n'est pas. En effet, ni l'un ni l'autre n'existeraient, si vraiment la permanence de l'un et de l'autre trouvait sa puissance dans la destruction des deux ; car en chacun il y a la même puissance de détruire l'autre, et l'élimination du vaincu dépend toujours de la supériorité du vainqueur.



Preuve par l'expérimentation : le brandon enflammé

Nous pouvons vérifier que ce raisonnement est vrai à partir de cette expérience : chaque fois en effet que le feu s'empare de quelque matière, puis qu'on y jette de l'eau, on peut clairement constater la destruction mutuelle des deux éléments : car celui des deux qui l'emporte fait disparaître l'autre, chacun cédant pareillement sous [92B]la domination de celui qui est en surabondance. Mais aussi longtemps que la puissance est équilibrée de part et d'autre, l'élimination mutuelle agit à égalité chez les deux, et l'un ne se nourrit pas de l'autre, mais les deux s'éliminent mutuellement.

Donc, de même que chez les animaux qui se mangent les uns les autres, il n'est pas dans l'ordre naturel que les uns vivent par les autres, puisqu'ils se détruisent les uns les autres, de même aussi l'opposition de l'humide et du sec ne saurait conserver l'existence d'aucun des deux, si vraiment la déperdition de l'un nourrissait l'autre.



Preuve par l'Écriture : les créatures sont "tout à fait" belles

Mais il me semble qu'il serait bon que nous reprenions ainsi le récit en suivant plutôt son enchaînement : puisque toutes les créatures que Dieu a faites sont tout à fait belles, j'affirme qu'il faut voir en chacun des êtres la perfection du beau ; en effet l'ajout du tout à fait montre clairement [92C] par son sens intensif le fait qu'il ne manque rien pour aboutir à la perfection. Car on peut voir par exemple dans la genèse des animaux mille différences d'espèces, mais nous affirmons que le fait qu'elles sont tout à fait belles se réfère pour chacune d'elles, dans une égale mesure, à ce que recouvrent pour le langage commun ces êtres, et ce qu'ils recouvrent ne se rapporte certainement pas à l'apparence, car la scolopendre et la grenouille terrestre et les bêtes qui tirent vie de la putréfaction des boues seraient tout à fait belles. Mais l'œil divin, qui ne regarde pas la surface des créatures, ne définit pas le beau par la beauté des couleurs et de la forme, mais par le fait que chacune possède en elle-même une nature parfaite en son genre. En effet, ce n’est pas dans la non-existence du bœuf que réside l’existence du cheval, mais en chacun d'eux la nature se conserve elle-même, possédant ses propres principes en vue de sa propre permanence, mais ne trouvant pas la puissance d'exister dans la destruction d'une autre nature.

De la même manière, même si les éléments sont différents les uns des autres, chacun est cependant en lui-même tout à fait beau ; car en lui-même, suivant son principe propre, il a reçu l'achèvement de la beauté ; la terre est belle, car elle n'a pas besoin de la destruction de l'air pour être terre, [92D] mais demeure dans ses propres qualités, se conservant elle-même grâce à la puissance naturelle placée en elle par Dieu. L'air est beau, non pas en ce que la terre n'existe pas, mais en ce qu'il est, suffisant à sa permanence par les capacités qui lui ont été fournies par la nature. De même, et l'eau est tout à fait belle, et le feu est tout à fait beau, car chacun des deux est entièrement achevé dans ses qualités propres et demeure pour toujours, par la puissance de la volonté divine, dans les mesures de sa création première ; la terre, dit-on, est fixée pour tous les temps, sans diminuer, sans augmenter. L'air est conservé dans ses limites propres ; le feu ne diminue pas. Comment, seule entre tous, l'eau peut-elle être un élément consumable ?



Preuve par l'absurde

[93A] De plus nous constatons à ce propos l'importance, en comparaison avec les autres êtres, de la substance et de la puissance ignées, et il est clairement démontré par ceux qui font la description physique des météores que le soleil est plusieurs fois aussi grand que la terre, de sorte que l'ombre de celle-ci ne s'étend pas loin dans l'air, resserrée en forme de cône dans la projection des rayons lumineux par la supériorité de la taille du soleil. Si donc l'eau et toute la terre représentent si peu quand on les compare avec lui qu'ils sont une part minime de la grandeur du soleil, en combien de temps cette petite quantité serait-elle suffisante à la combustion opérée par un feu si grand ? Mais nous voyons la mer fluctuer toujours d'une manière égale, et le cours des fleuves rester dans les mêmes mesures. [93B] Aussi le fait que l'eau ne subit aucune déperdition du tout est-il attesté par ce fait d'expérience ; mais de même qu'au commencement ce n'est pas de la destruction de l'humidité que le feu est né, mais qu'il a été institué lui aussi selon la même puissance qu'elle, de même, en vertu de la constitution première de l'élément, sa persistance aussi sera assurée pour toujours, sans que la nature humide soit troublée par la permanence du feu.



Cycle de l'eau ; comparaison avec les plantes

Mais nous constatons, dit-on, que souvent la terre, rendue humide par une forte pluie, puis placée sous le fort échauffement du soleil, devient sèche alors qu'elle était, il y a peu, imprégnée d'eau ; où est donc, demande-t-on, l'humidité qu'elle contenait, si vraiment ce n'est pas la chaleur des rayons du soleil qui la consume entièrement ? Est-ce donc aussi que si l'on transférait l'eau qui se trouve dans un vase dans un autre et que celui qui était plein soit entièrement vide, on pourrait dire, parce qu'elle n'est pas dans le premier, qu'elle n'est pas non plus du tout dans le second ? [93C] Le fait est que si quelqu'un trouve ce qui se passe dans ce cas semblable à notre question, il ne se trompera pas ; en effet, il revient au même qu'il y ait écoulement de liquide d'un premier récipient à un second, et que l'humidité de la terre, chassée de celle-ci, monte vers le ciel, car l'humidité, par nature, lorsque la chaleur de ce qui est au-dessus d'elle l'attire vers elle, est filtrée de façon microscopique hors de la terre, vers le haut. Preuve de ce qui arrive là, le fait que souvent, quand des vapeurs denses sont produites par les profondeurs de la terre, il semble qu'une masse nuageuse en jaillisse, et la densité des vapeurs devient telle qu'elle est même perceptible par les yeux ; mais il se pourrait aussi qu'il y ait quelque exhalaison de l'humidité en de plus subtiles particules, de sorte qu'elle se montre [93D] d'une certaine façon semblable à l'air par sa subtilité, et que cette exhalaison de telles humeurs ne soit d'abord pas visible aux yeux avant qu'elle se réunisse sur elle-même et devienne ainsi, par condensation, un nuage ; c'est pourquoi les substances humides subtiles et semblables aux vapeurs, s'élèvent d'abord dans l'air, à cause de leur légèreté, et sont mues par les vents, mais si l'ensemble de l'humidité est rendue plus lourde par un mouvement de confluence, alors, tombant des airs sur la terre, elle devient goutte. La chaleur ne détruit donc pas ce qu'elle a précisément tiré de la terre et façonné : mais à partir de ces exhalaisons, le nuage se forme ; puis le nuage comprimé devient de l'eau ; celle-ci, mêlée à nouveau à la terre, s'élève en vapeur, et la vapeur formant un nuage, devient de la pluie ; à partir de celle-ci la terre produit à nouveau des vapeurs ; celles-ci, lorsqu'elle se condensent dans la [96A] constitution des nuages, s'écoulent ; et l'écoulement est à nouveau rendu vers le haut sous forme de vapeurs, et ainsi il se produit un cycle fermé sur lui-même, etdont les phases toujours se succèdent et restent les mêmes.

Mais si on parle des plantes, et des pousses, tout se passe suivant ce même cycle : en effet la substance humide parcourt les plantes et les semences jusqu'aux bourgeons ; puis quand elle a introduit dans la masse de ce qu'elle nourrit toute la part terrestre qui l'accompagne, lorsque son support est asséché par l'air qui l'entoure, elle s'évapore à nouveau pour rejoindre ce qui est de même nature qu'elle ; l'air étant peu dense dans ses parties, et ayant une plus grande subtilité que celle des vapeurs, il laisse aller tout ce qui vient à être en lui vers ce qui est de même espèce. Ainsi en effet la poussière, même si elle a été dispersée loin dans l'air, est à nouveau rendue à la terre, et la substance humide n'est pas détruite, mais rencontre quelque chose qui est tout à fait de même espèce et de même nature qu'elle [96B] et qui erre dans l'air, à quoi elle s'unit, s'accroît de la rencontre avec ce qui lui est semblable, et s'enfle à nouveau en constituant un nuage ; et elle revient ainsi, sous forme de gouttes, à sa propre nature, de sorte que partout les parties du cosmos, que l'on observe dans le tout sous forme d'éléments, sont conservées dans la même proportion que celle que la sagesse du Démiurge a fixée à l'origine pour chacun des êtres en vue de la belle harmonie du tout.



Objection : disparition de nuages ; la frontière supérieure du ciel ; les étoiles filantes

Mais je connais l'argument contradictoire : souvent en effet on peut voir, par très forte chaleur, des nuages se dissoudre dans l'air, phénomène dont l'observation plus attentive permettra de réfuter en quelque manière l'affirmation qui dit que rien ne se perd de la substance humide ; en effet les portions floconneuses des nuages, maintes fois dispersées dans l'air, d'abord diminuent de volume, consumées par l'extrême importance du rayonnement, puis disparaissent complètement, desséchées par la chaleur, [96C] de sorte qu'il n'en subsiste pas même un reste peu important, quand le rayonnement a desséché l'humidité.

On ne peut pas répondre à cela en parlant encore des vapeurs : en effet la constitution de ce qui est au-dessus des vapeurs, de ce qui surplombe cet air troublé et venteux, n'admet, dans la légèreté de sa propre nature, rien de plus lourd, mais toutes les vapeurs et toutes les exhalaisons ont pour limite à leur ascension l'épaisseur de l'air qui entoure la terre dans ces parages, au-dessus desquels leur nature ne leur permet pas de s'infiltrer, car rien de plus épais ne saurait être accueilli dans ce qui est subtil et éthéré. C'est ainsi que les savants disent que les sommets de certaines montagnes très élevées sont toujours au-dessus des nuages et hors d'atteinte du vent, et qu'il est impossible aux oiseaux de voler au-dessus d'eux, [96D] tout autant qu'il est impossible aux habitants des eaux de vivre dans l'air.

Tout cela montre clairement qu'il y a dans l'air une frontière avec la région supérieure, qui délimite la place assignée à celles des exhalaisons de la terre qui sont trop épaisses ; c'est pourquoi, même jusqu'à la saison d'été, la neige reste sans fondre sur les sommets, car la condensation des vapeurs refroidit sans cesse l'air dans cette région. Quant aux traînées de feu que certains appellent étoiles filantes, ceux qui sont savants dans cette matière disent dans leur physique qu'elles adviennent de la même cause : lorsque, de par la violence de certains vents, de l'air plus épais et chargé de matière est poussé vers le lieu éthéré, il s'enflamme aussitôt arrivé en haut, et suivant l'impulsion donnée par le vent, la flamme est emportée en glissant ; [97A] lorsque le vent s'est apaisé, la flamme aussi dépérit avec lui. S'il n'est donc plus possible de dire que des vapeurs se reforment dans la disparition d'un nuage, par similitude avec ce que l'on observe ici-bas - le retour de l'humidité enlevée - il est nécessaire de nous accorder avec ceux qui soutiennent que l'humidité est détruite par le feu et devient néant. Mais quant à moi, d'une part, je crois que l'humidité contenue dans les vapeurs disparaît à cause de la supériorité du feu, car je considère que c'est une controverse stérile que de résister aux faits évidents, d'autre part, puisqu'il convient que ceux qui recherchent la vérité de tous côtés ne peinent pas, je n'en affirme pas moins malgré tout que la quantité de la nature liquide est conservée sans diminution, et que ce qui en a été consommé retourne toujours complètement à ce qui en subsiste.



L'huile se change en sécheresse

Voici ce qui rend, à mon avis, [97B] cette conjecture forte : dans l'action du feu qui nous intéresse, nous apprenons par expérience que le feu ne dévore pas toutes les qualités de la matière qu'il saisit. Par exemple, pour la nature de l'huile, puisque l'humidité, dans cette matière, est distincte de la qualité de froid, elle se laisse facilement extraire par la chaleur du feu, et une flamme apparaît. Mais non seulement l'huile est changée en flamme par le feu, mais l'humidité issue de l'huile aussi, une fois que le feu est survenu, devient une poussière sèche, ce que montre clairement la fumée qui sort de la lampe et noircit ce qui est au-dessus de la flamme ; et si cela dure plus longtemps, un certain volume se développe même à l'endroit noirci par la fumée. Ceci montre de façon sûre que l'huile asséchée par le feu est changée en particules subtiles et invisibles et, de cette matière, passe dans l'air, et de là se condense sur la terre. On peut montrer qu'il y a dispersion dans l'air de la fumée en particules subtiles, à partir du fait que les narines de ceux qui respirent cet air noircissent, et que souvent, ce que l'on crache de l'intérieur de la poitrine apparaît noir, parce que teinté aussi par la couleur de la fumée, qui se dépose là par l'intermédiaire de l'air inspiré. [97C] Il est donc clair d'après ces faits que d'une part l'humidité de l'huile a été changée en sécheresse, et que d'autre part la masse propre à la matière n'a pas disparu dans le néant, puisqu'elle est dispersée dans l'air sous forme de particules subtiles et invisibles.



Rien ne se perd : l'eau se change en sec, elle ne disparaît pas

Celui qui applique au tout ce que nous avons appris sur le liquide en observant les faits, à savoir que seule l'humidité est changée en sécheresse, que ce qui est matériel ne subit pas une disparition complète, celui-là ne s'écartera pas du vraisemblable. Car il est clair que le tout est constitué de parties ; et ce que nous apprenons pour une partie nous donne un enseignement à propos du tout. Que l'humidité soit une par le genre, aucun des amateurs de controverses ne le contredirait. Or l'humidité, brûlée par le feu, est devenue une poussière subtile. [97D] Par suite, tout corps humide mis dans le feu change la qualité présente en ses parties, passant de l'humide au sec, et ne subit pas une disparition complète. Donc, puisque le nuage est une concentration de vapeur, que la vapeur est une exhalaison en particules subtiles de l'humidité, de toute nécessité, lorsque le nuage est asséché par la flamme, cette masse subtile et indivise de la vapeur, même si elle ne conserve pas sa qualité humide, ne va certainement pas jusqu'à disparaître dans son principe même en se dissolvant dans le néant.



La vapeur change l'humide et le froid, mais conserve quantité et poids

On peut observer en effet quatre qualités dans la vapeur,[100A] l'humide, le froid, le lourd, la quantité ; parmi elles, celles qui sont opposées au feu disparaissent sous l'effet de la domination de l'élément qui l'emporte ; en effet, ni l'humide, ni le froid, ne demeurent inchangés lorsqu'ils sont mis au feu. Cependant la quantité aussi est liée à la substance du feu. Car le feu aussi est observable dans une certaine quantité ; et la quantité ne s'oppose pas à une mesure de quantité ; si donc la quantité de la vapeur, distincte des qualités d'humide et de froid, est conservée, et si la qualité de poids, qui est par essence présente dans la nature de la vapeur, est conservée avec la quantité, car le poids se trouve par nature à égalité dans l'humide et dans le sec, notre esprit ne saurait plus avoir de peine à suivre l'enchaînement des faits, pour connaître comment l'eau, [100B] devenue terre par le changement de qualité de la vapeur, prend la nature qui lui ressemble. En effet, le sec et le poids sont propres au domaine qualitatif qu'on observe dans la terre, en quoi la vapeur, quand elle est brûlée, est changée.



La continuité de la mer, l'évaporation et l'action des sels

Et il me semble qu'il est bon, après avoir saisi ce principe, de ne pas laisser échapper l'enchaînement logique de notre recherche, auquel parvient notre étude en nous conduisant par la main à la vérité. En effet il apparaît, d'après cette conclusion, que l'océan aussi reste continuellement dans ses limites propres, parce qu'insensiblement, le prélèvement de ce qui lui est constamment apporté par les eaux se produit, sous forme de vapeurs, en direction de la région supérieure, quand la chaleur en la réchauffant tire vers le haut à la manière d'une ventouse la part subtile de la nature des substances humides. Dans les lieux situés à l'intérieur des terres et plus au nord, cependant, le froid de l'environnement semble contredire notre exposé, puisque comme le réchauffement de l'océan dans ces régions n'est pas intense, l'évaporation des vapeurs ne se produit pas.

[100C] Il est possible, au moyen de deux arguments, d'écarter cette objection : d'abord parce que l'océan est un et entièrement continu par rapport à lui-même, même s'il est divisé en de nombreuses mers, jamais séparé de sa réunion avec lui-même, de sorte que s'il est davantage brûlé par la présence constante de la chaleur au sud, dans les régions refroidies, la diminution qui s'y produit est imperceptible, car le déplacement des eaux les fait refluer spontanément, de par le caractère descendant de leur nature, vers l'endroit qui subit sans cesse une diminution. D'autre part, le fait que tout l'océan soit salé témoigne de ce que la production de vapeur s'effectue à partir de toute l'eau dans la même mesure ; car la sécheresse est propre à la nature des sels, et si cette qualité est mêlée dans la même mesure à tout l'océan, alors le sel en lui agira dans toute partie de la même façon. En effet, toute nature agit conformément à [100D] sa propre puissance de façon universelle : comme le feu brûle, la neige refroidit, le miel adoucit, ainsi aussi les sels assèchent, puisque la nature asséchante des sels est mêlée partout aux mers ; le savoir divin a prévu cela pour faciliter la production des vapeurs, car le sel expulse et chasse en quelque manière de l'océan tout ce que l'eau comporte de subtil, dominant sur l'eau à cause de la sécheresse présente en sa nature ; il n'est nullement invraisemblable de penser que la déperdition en eau a lieu partout dans la même mesure, [101A] l'air puisant dans l'océan par l'intermédiaire des vapeurs. Mais certes, que toute l'humidité qui est dans l'air devienne nuage et que de là les pluies se répandent sur la terre, ce que notre exposé a montré précédemment, la prophétie l'enseigne aussi, en rapportant cette action à Dieu, quand elle dit : lui qui appelle à lui l'eau de la mer et la déverse à la face de la terre; et il y a de nombreux autres exemples. Et que tous les nuages sont consumés par la chaleur qui les domine, et complètement brûlés, nous l'avons appris aussi de leur activité.



Objection : si l'eau se change en terre, il devrait y avoir des réservoirs pour compenser la perte qui en découle

Il reste donc à ne pas passer outre à l'objection qui ressort logiquement pour nous de ce qui vient d'être dit : en effet on dira, en suivant ce que nous avons précédemment examiné avec attention, que, d'après ce que nous avons appris de l'exemple de l'huile, la matérialité du support [101B] n'est pas détruite, même après la combustion, mais passe dans l'air, changée en terre sous l'action du feu ; mais, puisque l'humidité disparaît sous l'effet de la qualité contraire, comment est-il possible que la nature humide demeure toujours sans diminution, alors que de tous temps la substance chaude assèche l'humidité contenue dans les vapeurs et la change en qualité de sécheresse, comme notre étude l'a montré par des recherches attentives, en suivant la logique ? Si donc l'humide s'évapore, et que l'humidité se laisse facilement prendre par la chaleur, fractionnée en de subtils et indivisibles fragments par l'intermédiaire des vapeurs, de toute nécessité, l'humide se changeant en qualité de sécheresse, il faut croire plus vrai le raisonnement selon lequel il y a une réserve d'eau qui toujours compense ce qui est consumé par le feu.



Réfutation à partir de l'Écriture (I Rois 17-18)

Peut-être aussi pourrait-on tirer de l'Écriture quelque témoignage en faveur de cette conjecture :[101C] l'ouverture des cataractes du ciel, lorsqu'il fallait que la terre fût submergée, l'eau dominant sur une très grande profondeur tout sommet de montagne. Mais pour ma part j'affirme qu'il est possible d'écarter cette objection fondée sur l'Écriture à partir d'un autre passage de l'Écriture : je sais en effet ce que la catachrèse des paroles divines, suivant l'habitude scripturaire, signifie par ouvrir et ce qu'elle montre par fermer ; car il est évident que ce qui est fermé s'ouvre, et que ce qui est ouvert se ferme ; puisque donc, lorsqu'un jour, au temps d'Elie, la sécheresse régna, l'Écriture dit que le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois, je pense que cette parole, les cataractes du ciel furent ouvertes, parle de ce ciel, qui fut fermé à l'occasion de la sécheresse ; mais, à ce moment, grâce à la prière d'Elie, un nuage apparut, montant de la mer, et ouvrit pour eux le ciel par l'intermédiaire de la pluie ; cela montre alors clairement que même alors le firmament du ciel ne fut pas divisé [101D] pour laisser se répandre la pluie des eaux qu'on dit au-dessus de lui. Mais on appelle ciel l'air environnant la terre, qui délimite l'espace propre aux vapeurs, espace qui est précisément la limite de la nature très subtile de ce qui se trouve au-dessus, au-delà de laquelle rien de ce qui a une pesanteur n'a la puissance de s'élever, ni nuage, ni vent, ni vapeur, ni exhalaison, ni l'espèce des oiseaux. Ainsi, l'Écriture dit habituellement du ciel pour qui est au-dessus de notre tête, parlant d'oiseaux du ciel pour les animaux qui volent dans cet air.



D'après l'Écriture (Isaïe 40,12), chaque élément est circonscrit ; il y a nécessairement transmutation

Mais même s'il en est ainsi, notre exposé n'a pas encore résolu l'autre question, celle de savoir [104A] comment le changement des vapeurs en sec ne diminue pas l'humide alors qu'il est consumé par la domination de la substance chaude. A ce sujet, il serait bon de trouver un autre enchaînement logique qui s'accorde avec l'étude de la Parole. Peut-être en effet que, par une assiduité laborieuse, il nous deviendrait possible de ne pas nous tromper sur la conception qui convient le mieux à ce sujet d'examen. Tu as entendu la prophétie qui expose la magnificence de la puissance divine à travers les miracles de la création, dans laquelle il est dit : Qui a mesuré l'eau de la main, et le ciel d'un empan, et toute la terre du poing ? Qui a placé les montagnes sur une balance et les vallées sur le fléau? C'est par ces mots, je crois, que le prophète enseigne clairement que chacun des éléments a été délimité dans ses propres mesures, car la puissance universelle de Dieu, qu'il appelle main, poing et empan, [104B] enferme chacun des êtres dans la mesure qui lui correspond en propre. Si donc le ciel a été mesuré par la puissance divine, et l'eau par sa main, et toute la terre par son poing, si les vallées sont placées sur le fléau de la balance, et si un poids précis est déterminé pour les montagnes, de toute nécessité, chacun demeure dans sa mesure et son poids propre, car ni augmentation ni diminution ne sont possibles dans ce qui a été mesuré par Dieu et protégé par lui. Si donc la prophétie atteste que ni ajout ni retrait ne peuvent arriver aux êtres, chacun demeure pour toujours absolument dans ses mesures propres, car la nature variable que l'on observe dans les êtres, transforme tout en autre chose et change chaque être en un autre, et de nouveau, par transformation et changement, [104C] le ramène aussitôt de celui-ci vers celui d'origine.



Les particules sèches retombent sur la terre où elles sont assimilées

Mais si le fait que telle vapeur humide, mise au contact du feu, se change en qualité de terre, se transformant en sec sous l'effet de la combustion, a été suffisamment examiné dans les raisonnements précédents, dans l'exemple qui concernait l'huile, il convient ensuite d'examiner ce qui en découle, c'est-à-dire si, quand la matière de la vapeur a été changée en la qualité opposée, il est possible que ce résidu de vapeur, que notre exposé comprend alors comme ce qui a accédé par la combustion à un état plus subtil et invisible, demeure en haut. Mais je crois bien qu'il est possible de faire une conjecture, dans ce cas aussi, à partir des exemples que nous connaissons : en effet, ici-bas, la part subtile de la fumée ne demeure pas toujours en suspens dans l'air, mais le manque de densité de l'air la laisse aller vers ce qui lui est semblable, en colorant à l'entour la terre, les murs et les boiseries de la toiture ; il s'ensuit donc que dans notre cas aussi, [104D] nous pouvons comprendre de même que la vapeur, lorsqu'elle est élevée par les vents vers la région supérieure et brûlante, malgré la transformation de sa qualité humide, conserve sa matérialité, et devenue sèche, est attirée vers le bas, vers ce qui lui est semblable, et se dépose sur la terre ; car la puissance d'attraction des êtres apparentés se trouve en chacun des êtres par nature, en sorte que cette conception, qui veut que la vapeur, devenue quelque chose de sec et de terrestre, est mêlée à la sécheresse de la terre, n'est en rien illogique. Si donc toute la nature de la substance humide était semblable à l'huile, en général, dans le caractère dense de sa qualité, la combustion ferait virer au noir la teinte de ces vapeurs ; et ce fait serait tout à fait clair pour tous, parce qu'on percevrait l'apparence qu'elles offriraient. [105A] Lorsque la part la plus subtile et la plus diaphane de la nature des eaux passe dans les vapeurs, et que celles-ci, selon le raisonnement donné plus haut, laissent dans le feu leur qualité humide, et se changent en sec, il faut de toute nécessité croire que ce sec, dont la réflexion conçoit aussi l'existence, bien qu'à cause de sa subtilité, il échappe à la perception, est pur et semblable à l'air.

Si quelqu'un croit que la perception est plus digne de confiance que la compréhension du raisonnement et cherche à observer de ses yeux les atomes indivisibles et invisibles, il est possible à celui qui le veut de voir l'air rempli de ces particules, chaque fois qu'un rayon lumineux se répand à travers une ouverture, et permet de rendre plus claire la partie de l'air que son éclat illumine ; car ce qui est inaccessible aux yeux dans le reste de l'air, [105B] on le voit, grâce au rayon lumineux, tourbillonner dans l'air en une multitude infinie. Celui qui dirige alors son regard vers elle découvrira que le mouvement de ces êtres subtils s'écoule toujours vers le bas ; Ce qu'on voit dans une partie de l'air prouve que cela se passe aussi dans sa totalité, puisque sa totalité est constante en elle-même, et que le tout est rempli de parties. Si, de tous temps, le mouvement de ces corps subtils et indivisibles s'écoule dans l'air vers la terre, s'il apparaît que ce n'est pas une espèce de l'éther qui est dispersée de côté et d'autre, broyée de manière à former ces corps, car la nature du feu ne peut subir ni broyage en corps subtils ni dispersion, il faut de toute nécessité croire que c'est la matière de ces corps, dont notre exposé a observé la montée par l'intermédiaire des vapeurs, qui tombe, de sorte qu'étant d'abord humides, ils sont attirés par la nature chaude, puis, brûlés et devenus terrestres, [105C] ils ne sont plus au pouvoir du feu mais se répandent à nouveau sur la terre.

Par exemple, en nous, la nourriture est changée en quelque qualité subtile par la digestion, et vient s'ajouter à la partie du corps où elle va, et comme la différenciation des organes dans l'organisation du corps est d'une grande variété, en sec, humide, chaud et froid, une part de nourriture peut y venir, et devenir ce que son support est par nature, car ce qui est dominant accueille facilement en lui la répartition produite par la digestion ; de la même façon, l'apport constant fait à la terre sous forme de ces particules indivisibles demeure insensible, parce qu'en se fondant dans tout ce qui est en dessous, qui est précisément par essence ce qui le reçoit, [105D] il se change en une autre nature, et devient terre dans de la terre, sable dans du sable, pierre dans de la pierre, et dans chaque chose celle-ci, car quel que soit le corps solide qui le reçoit, il se change en ce qui est dominant. Et si l'on pense, bien que notre raisonnement soit logique, que la solidité de la pierre peut difficilement accueillir un ajout de cette nature, je pense néanmoins, pour ma part, qu'il ne faut rien rétorquer à ceux qui sont de cet avis. En effet, notre observation n'en sera en rien moins vraisemblable, dans la mesure où le flux de l'élément terrestre retombe vers le bas sous l'effet des vents, en allant du lieu qui ne peut l'accueillir vers ce qui est de même nature que lui.



Objection : cela n'empêche pas qu'il y ait diminution de l'eau

Mais peut-être quelqu'un dira-t-il que notre raisonnement ne vise pas un but précis, mais qu'il se propose de montrer que la nature humide demeure de tous temps dans sa mesure initiale, et ne remarque pas qu'il établit le contraire : [108A] en effet, soit que ce qui est monté dans le feu y demeure, soit que, asséché aussi, il revienne à nouveau sur la terre, dans chaque cas la diminution d'eau sera égale. Cette explication n'en rend pas moins nécessaire la réserve d'humidité, parce qu'il y a une déperdition continuelle et générale. Il serait donc nécessaire, pour notre raisonnement, de considérer à nouveau la nature des êtres, de sorte qu'à travers elle notre sujet d'étude soit heureusement conduit vers le but proposé.



La loi de la transmutation des éléments

Quelle est donc la nature ? Rien de ce que nous observons sous forme d'éléments dans l'organisation du monde circum terrestre n'a été fait immuable ni invariable par l'artisan de toutes choses, mais tous les éléments sont les uns dans les autres et se maintiennent les uns les autres, [108B] s'éloignant les uns des autres et revenant à nouveau les uns dans les autres dans une égale mesure. Comme cette transmutation s’exerce sans cesse dans les éléments, il faut de toute nécessité qu’ils passent les uns dans les autres en se séparant les uns des autres et en revenant dans les mêmes quantités s’unir les uns aux autres. Aucun d'eux en effet ne pourrait se conserver de lui-même, si le mélange avec ce qui ne lui est pas apparenté ne maintenait pas sa nature. Comment donc, pourrait-on demander, se représenter la puissance cyclique changeante et transformante des quatre éléments ? en effet tous les éléments ne naissent pas les uns des autres, et le cycle de transmutation ne passe pas non plus semblablement par chacun des êtres, mais l'eau s'élève en l'air par l'intermédiaire des vapeurs, les vapeurs, [108C] lorsqu'elles ont nourri la flamme, reviennent à la terre à nouveau, devenues une sorte de cendre après avoir été reçues par le feu ; la terre, quand elle a reçu celle-ci, arrête en elle la course de la transmutation ; en effet, il n'a pas encore été examiné si la nature de l'eau peut naître de la terre.



Cas d'humidification d'êtres secs : les sels, le miel

Notre réflexion n'a donc pas encore examiné la question de savoir s'il est possible que la terre soit changée en la nature de l'eau. Dans tous les cas, personne ne nous fera le reproche de bavarder, alors que nous cherchons de toutes les façons possibles la logique dans ce que nous disons. Nous voyons donc que beaucoup d'êtres secs s'humidifient spontanément du fait d'une particularité de nature, comme on peut le voir pour les sels, pour ceux qui sont extraits des mines comme pour ceux qui sont produits par le dessèchement d'un liquide, sels dont la particularité est la sécheresse, mais qui, si quelque humidité les atteint, deviennent humides et changent la sécheresse présente en eux en qualité humide. [108D] C'est ainsi que j'ai remarqué que la nature du miel devient sèche en quelque sorte par cuisson, et de nouveau revient à l'humidité dans une certaine condition.



Compatibilités de qualités entre éléments ; mais qu'en est-il de la terre et de l'eau ?

Mais laissons cela ; il est en effet plus important de donner à notre étude un enchaînement qui parte de quelque principe nécessaire. Nous ne connaissons pas une qualité unique en chacun des éléments, par laquelle son substrat serait entièrement rempli et qui le distinguerait de l'élément opposé, mais chacun d'eux est maintenu dans une diversité de qualités, dont les unes n'ont rien de commun entre elles, les autres sont observables ensemble, réunies et accordées à des qualités qui se combattent mutuellement. Ainsi, dans la terre et l'eau, la sécheresse et l'humidité ne se mêlent pas entre elles, tandis que le froid se trouve dans la même mesure dans chacune d'elles, [109A] unifiant en quelque sorte par son intermédiaire des éléments qui se combattent. De plus, l'eau se distingue de l'air dans une opposition entre pesant et léger, mais le froid qu'on observe dans la même mesure dans la nature de chacun les concilie aussi. En outre, l'air diffère du feu, à cause du combat qui oppose chaud et froid, mais il lui est apparenté par la qualité de légèreté, et leur communauté de qualité est en quelque sorte conciliatrice de leur opposition naturelle. Enfin, le feu est distinct de la terre à cause du lourd et du léger, mais la sécheresse leur est commune à chacun, et par elle, ces éléments différents sont comme alliés entre eux.

Quel est le dessein qui me fait commencer là mon exposé ? C'est que le froid s'observe pareillement dans la terre, dans l'eau et dans l'air, mais est établi en plus grande part dans l'eau, conservant presque en lui-même la nature de l'eau, amoindrissant le dommage causé par le sec par son antagonisme avec le chaud. De même donc que la sécheresse est liée par nature à la chaleur, et qu'il n'est pas possible que le feu soit expliqué par une seule de ces deux qualités, de même il est vraisemblable de dire que le froid fait un avec l'humide, [109B] parce qu'il faut que pour chaque qualité, parmi celles qu'on observe dans le feu, il y ait une qualité élémentaire opposée dans l'eau, de sorte que l'humidité combatte le sec, et la chaleur le froid. Aussi, si l'on a montré que le froid aussi, à égalité avec l'humide, participe à l'achèvement de la nature de l'eau, il serait logique de conclure que, la qualité de froid se trouvant aussi par nature dans la terre, l'eau aussi est en puissance dans la terre, et la terre dans l'eau. En effet, l'union naturelle de l'humide avec le froid ne permet pas que l'un soit entièrement séparé de l'autre, mais même si à un moment donné l'un des deux se retrouve seul avec lui-même, il n'est pas exactement seul, mais la présence des deux est visible en puissance dans un seul ; car de même que, quand l'eau se dissout dans l'air, [109C] le principe refroidissant accompagne les particules des vapeurs, de même à l'opposé, comme le froid réside dans les profondeurs de la terre, l'humidité n'abandonne pas non plus la qualité à laquelle elle est liée, mais la puissance froide qui se trouve par nature dans la terre devient comme une semence de la nature de l'humide, produisant toujours par elle-même la qualité qui lui est liée, car l'action refroidissante change la terre, par un très fort refroidissement, en une production d'eau. Mais si l’on nous demandait la cause de ces faits, c'est-à-dire comment la transmutation opère le changement du solide en liquide, nous serions autant dans l'embarras que pour tous les autres cas. [109D] Comment en effet l'eau est-elle dissoute dans l'air, ce qui est porté vers le bas se déplaçant à travers le léger, ou bien comment la transmutation a-t-elle changé le lourd en léger ? Que cela arrive, nous le saisissons par la perception, mais nous sommes incapables de rendre par le raisonnement les actions de la nature.



Les puisatiers : la transmutation de la terre en eau est un fait d'expérience

Si l'on veut bien accepter l'expérience pour preuve de cette conjecture, nous en montrerons une sur le champ, en introduisant les puisatiers comme témoins de notre exposé. En effet lorsqu'ils creusent, au-dessus des eaux retenues en profondeur, la terre privée d'humidité, en progressant vers le bas par leur travail, ils ne rencontrent pas directement le lieu de rassemblement de l'eau, mais ils conjecturent d'abord au toucher que la terre contient une certaine part d'humidité ; ensuite, avançant vers l'endroit rendu plus froid par la profondeur, ils rencontrent un terreau plus boueux ; après cela, leur travail gagnant en profondeur vers un endroit plus froid, une certaine humeur apparaît faiblement ; ensuite, [112A] lorsqu'un conduit a été taillé dans le fond de la pierre, là où il est le plus vraisemblable que la chaleur solaire ne s'infiltre plus, arrêtée par l'épaisseur de la pierre, alors leur travail ouvre de subtils vaisseaux d'eau, à partir desquels se forme un épanchement circulaire vers la profondeur, et le puits se remplit d'eau.

Donc, ce qui se produit là, quand l'humidité comprimée autour du puits s'épanche vers la région vidée à la main, il est vraisemblable que cela arrive en tout lieu, et que ce qui est continuellement produit par l'humidité subtile dérive à travers certains vaisseaux vers des conduits plus gros, l'écoulement subtil s'unissant alors à lui-même ; c'est donc ainsi que l'eau est engendrée : d'une part, le froid liquéfie la terre, d'autre part, l'humidité se forme à partir du froid, achevant en elle-même toute la nature de l'eau ; de là, en s'assemblant, [112B] elle devient alors un courant et ouvre la terre là où elle passe : c'est ce qu'on appelle une source. On a une preuve de ce que le froid conduit à la création des eaux dans le fait que les régions nordiques plus soumises au froid abondent en eaux ; en effet, les régions exposées au soleil et situées au sud seraient également imprégnées d'eaux, si l'absence de froid n'empêchait pas totalement la création des liquides. De même que l'eau de pluie forme des torrents à partir du rassemblement des gouttes, alors que si l'on observe ces gouttes en elles-mêmes, il apparaîtra qu'il n'y a en chacune que très peu de liquide, presque rien, de même, quand une quantité de liquide se réunit continuellement vers le bas sous forme de particules subtiles, à chaque fois que le rassemblement des parties subtiles forme un courant unique à partir d'une multitude, un tel courant s'épanche en source et constitue la nature du fleuve.



La logique interdit de penser à des réserves d'eau souterraines


[112C] Si l'on refuse ces conceptions, d'où pensera-t-on que proviennent ceux des fleuves qui coulent en permanence ? Est-ce qu'on ne supposera pas qu'il y a des lacs à l'intérieur des entrailles de la terre ? Mais ceux-ci aussi, s'il n'y a aucun écoulement d'appoint, seront sous peu complètement vides, de sorte qu'on sera nécessairement amené à penser qu'il en existe d'autres au-dessus de ceux-ci ; la logique du raisonnement recherchera encore ce qui remplit ces autres : et si l'on suppose qu'il existe d'autres lacs au-dessus de ceux-ci, on cherchera encore nécessairement de quelles sources procède le remplissage de ces autres. Et le raisonnement, se poursuivant ainsi à l'infini, ne finira jamais de placer des lacs au-dessus de lacs, pour que les lacs ne fassent pas défaut aux sources, [112D] jusqu'à ce qu'on parvienne aux ressources des dernières, à l'endroit où la création des eaux prend son principe. C'est précisément pour cela qu'il convient de rechercher maintenant la cause de la nature première de l'eau ; il serait beaucoup plus logique de considérer qu'elle est liée à la constitution des sources, et de ne pas s'imaginer des lacs souterrains, que le caractère descendant de la nature de l'eau rend immédiatement contraires à la logique. Comment en effet pourra couler vers le haut ce qui par nature a comme caractéristique propre de se porter vers le bas ? En outre, quelle sera la taille que l'écoulement continuel de ces eaux donne à conjecturer pour ces lacs, pour qu'en coulant pendant des temps si longs, cet écoulement demeure dans une telle abondance, alors que rien ne vient se substituer à ce qui en sort ? Mais nos explications rendraient plus clair, d'une part, que l'apport d'eau ne fait pas défaut au fleuve, [113A] puisque la terre se change en cet apport d'eau, d'autre part, que la masse de la terre ne diminue pas à cause de ce retrait, puisque la transformation des vapeurs en sec a lieu partout, compensant la diminution continuelle de sa masse.



Cohérence de la théorie de la transmutation

Cela étant, la transmutation des éléments les uns en les autres ne saurait plus nous sembler boiteuse, mais le raisonnement poursuivra par enchaînement en considérant le changement de chaque élément en un autre comme la création de celui en lequel il s'est transformé, et le retour de ce dernier au stade d'origine ; par exemple l'eau, s'élevant dans l'air sous forme de vapeurs, devient de l'air ; l'air humidifié est asséché par le rayonnement très fort du soleil ; la partie terrestre du liquide est séparée par la nature du feu ; cette partie, revenue sur terre, est changée en eau par la qualité de froid ; et ainsi, le cycle de transformation mutuelle des éléments est ininterrompu et sans entraves, sans qu'aucun d'eux subisse de perte ni qu'aucun n'augmente, chacun demeurant continuellement dans ses proportions originelles.

Ainsi, l'enchaînement de nos explications donne à penser que les eaux situées au-dessus du firmament sont autre chose que la nature humide, puisque nous avons compris, grâce à ce que nous avons dit, que la nature du feu ne se nourrit pas de la consommation de l'humide. Il a en effet été montré par nos explications que le chaud ne se nourrit pas du froid mais est affaibli par lui, et que le sec disparaît sous l'effet de l'humide, et n'en devient pas prédominant.



La lumière et les luminaires

 

le développement dans le temps

[113B] Mais il serait temps de faire notre examen sur la seconde des questions posées ; comment la création de tous les luminaires du ciel est-elle postérieure au troisième jour ? Une parole impérative de Dieu précède chacune des merveilles de la création et Moïse nous livre ainsi, sous forme de récit, le sommet de son enseignement : telle fut la conclusion à laquelle nous sommes arrivés plus haut quand nous avons reconnu que la phrase mise dans la bouche de Dieu n’est pas un commandement qui s’exprime en mots, mais que la puissance réalisatrice de chacun des êtres, puissance pleine de science, selon laquelle existent en acte les merveilles de la nature, c’est cela qu’est la parole de Dieu et qui est ainsi désigné ; nous disions aussi que la totalité du créé [113C] s’étant constituée dès le principe de la décision de Dieu, l’ordre qui s’ensuivit nécessairement pour la manifestation de chacun des éléments, conformément à la science qui réside dans les êtres, a l’enchaînement des commandements mis dans la bouche de Dieu.

En effet, en donnant un résumé au début de l’institution de la création sensible par une expression collective, Moïse a désigné le tout lorsqu’il dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; donc, après avoir dit de la totalité des êtres qu’Il l’a créée, il distingue ensuite d’un signe particulier, dans son exposé, l’apparition de chacun des êtres, qui se déroule dans un ordre naturel.

La lumière apparaît en premier et se diversifie suivant son intensité

La lumière advint donc avec les autres êtres, mais n'apparut pas aussitôt au devant de tous les autres, tant que les parties obscures de la création restaient en place, masquant sa puissance lumineuse ; mais au moment où fut donné [113D] par Dieu à la création le signal de sa mise en ordre, la puissance ignée et lumineuse apparut la première au sein de la création, projetée en avant des autres éléments par la légèreté et la mobilité de sa nature ; et jusqu'alors, elle était toute rassemblée sur elle-même et tournait autour du tout ; mais ensuite, elle se divise à son tour dans ses parties, conformément à leurs affinités et à leurs correspondances ; en effet, il est clair, d'après les phénomènes, que la puissance de la nature lumineuse n'est pas unique, mais qu'on ne se tromperait pas en nommant, du terme générique, une seule lumière, celle qui provient du rassemblement de toutes les lumières, puisque la parole divine aussi désigne le tout au commencement par un mot singulier, ordonnant que la lumière soit, et non les lumières. Mais si l'on observe les phénomènes, on s'apercevra qu'il y a une grande diversité de puissance lumineuse dans les êtres ; [116A] c'est pourquoi le Psalmiste dit celui qui a fait seul les grandes lumières ; et l'Apôtre : autre est l'éclat du soleil, et autre l'éclat de la lune et autre l'éclat des étoiles : car une étoile diffère, par son éclat, d'une autre étoile, puisqu'il y a vraiment une grande diversité dans la lumière ; car si tous les êtres que Paul a énumérés sont par nature lumineux, et si chacun est saisi dans une puissance et un éclat propres, il serait bon de nommer toutes les lumières une lumière unique, selon le terme générique, et de considérer la diversité présente en elles comme distincte et différenciée.

Le processus de diversification

S'il en est ainsi, je pense que ma conjecture ne s'éloignerait pas de la logique, si nous étions d'avis que Moïse a pensé qu'au commencement toute la puissance lumineuse, en se rassemblant sur elle-même, est devenue une lumière unique ; et puisque la diversité visible dans la nature de l'univers était grande, en fonction du degré plus ou moins grand de subtilité et de mobilité, [116B] l'intervalle de temps de trois jours suffit pour faire la distinction de chacune de ces parties de façon claire et sans confusion entre elles, de sorte que ce qui était au plus haut degré subtil et léger dans la substance brûlante, et qui était purement immatériel, se trouva au point le plus haut de la nature sensible, auquel succède la nature intelligible et incorporelle, tandis que tout ce qui était plus inactif et plus endormi se rassembla sur lui-même à l'intérieur de l'enveloppe de ce qui était subtil et léger. Tout ceci, à son tour, conformément à la diversité des éléments particuliers déposés en lui, fut divisé en sept parties, puisque toutes les parties de la lumière correspondantes et de même nature s'assemblaient entre elles par affinités et se distinguaient de ce qui était de nature différente. [116C] Ainsi, après que toute la part de nature solaire a été disséminée dans la substance lumineuse, toutes ces particules, se rassemblant les unes avec les autres, formèrent une grande unité. De même également pour la lune, et pour chacun des astres errants et des astres fixés dans des constellations, le rassemblement des particules de chacun avec celles de même genre constitua une unité parmi les phénomènes ; et tous évoluèrent ainsi. Le grand Moïse s'est contenté de nommer seulement parmi eux les plus connus, le grand et le petit luminaire, et d'appeler tous les autres, de manière générique, du nom d'astres.



Pourquoi trois jours ?

Si la lourdeur de notre esprit l'empêche de pouvoir suivre la subtilité de la sagesse divine, il ne faut en rien qu'il s'étonne en voyant la pauvreté de notre nature, qui doit s'estimer heureuse non de ne se tromper sur rien, mais de pouvoir atteindre son but au moins une fois. [116D] Je dis cela en examinant la question suivante : quelle est la raison de cet intervalle de trois jours, qui rend cette quantité de temps suffisante pour que s'opère la séparation de chacune des parties visibles dans la lumière ? Car il est clair qu'il y a vraiment une raison, même si elle dépasse notre vue, qui fait que la mesure de ce temps convient à la différenciation de la substance lumineuse : la durée de temps fixée et la force de l'action du feu pour ce qui regarde le mouvement ont accompli la distinction des lumières dans la particularité des luminaires, de sorte que ces innombrables différences de lumières ont été séparées en direction de la place propre à chacune, ordonnées selon leur particularité de nature [117A] là où la puissance présente en leur nature a conduit chacune, sans qu'aucun désordre ou aucune confusion se produise en elles, parce que la sagesse divine leur avait attribué un ordre inviolable en fonction de la particularité de nature placée en chacune. C'est pour cela que la région la plus élevée retint ces êtres plus ascensionnels que toute substance ascensionnelle, et que parmi eux encore, certains furent placés au centre, ou se trouvèrent au nord ou au sud, occupèrent la région intermédiaire ou remplirent la Voie Lactée, ou le cercle du Zodiaque, et dans ce dernier encore, formèrent telle ou telle configuration de constellation ; et dans cette constellation encore, chacune des étoiles qui se trouvaient dans sa figure ne prit pas telle ou telle place au hasard, mais, à l’endroit où elle avait été conduite par sa particularité interne, c’est là que chacune resta, dans une fixité immuable, contrainte par la puissance de sa propre nature, conformément à la sagesse du Créateur.

C'est devant ces faits et d'autres semblables que l'esprit qui les observe est pris de vertige et condamne sa propre lenteur, parce qu'il ne peut découvrir la raison qui rendit la durée de temps de trois jours suffisante à la différenciation des astres ou la raison pour laquelle, à cause de l'infinie distance séparant la sphère des fixes des régions circumterrestres, la grande sagesse de Dieu a placé la nature solaire au milieu de tout cet espace, afin que nous ne passions pas notre vie dans une ténèbre absolue, s'il se trouvait que l'éclat qui brille en provenance des astres, avant de parvenir jusqu'à nous, était consommé par l'espace intermédiaire - c'est pourquoi il a placé la puissance éclairante de la nature solaire à une telle distance de nous que son rayonnement n'est pas rendu difficile à voir par l'importance de la distance, et qu'il n'est pas non plus pénible à cause de sa trop grande proximité ; de même, pour la raison qui fait que ce qui est plus matériel et plus épais parmi les êtres d'en haut, je veux dire le corps lunaire, a été attiré davantage vers le bas et tourne autour de la région circumterrestre : sa nature peut être considérée en quelque sorte comme intermédiaire, participant dans la même mesure à la puissance opaque et à la puissance lumineuse ; en effet d'une part l'épaisseur de sa substance [117C] a affaibli l'éclat qui vient d'elle, d'autre part, par la réflexion du rayonnement solaire, elle n'est pas totalement étrangère à la nature lumineuse. Mais la pauvreté de notre nature est incapable de voir la cause de la sagesse qui apparaît dans chacun des êtres. Cependant, s'agissant de reconnaître un certain enchaînement des événements, selon l'ordre fixé par le Législateur pour la création des êtres, je crois qu'il est possible, pour ceux qui savent observer avec mesure l'enchaînement logique, par certaines conjectures, de le concevoir en quelque façon.



Récapitulation


Reprenons donc l'enchaînement des événements. Le voici : la lumière, prise en tant que genre universel, s'étant montrée avant les autres êtres, à cause de sa grande mobilité, la délimitation du firmament s'ensuivit, définie par la course circulaire du feu. [117D] Lorsque la nature légère eut été séparée des natures plus lourdes, les qualités lourdes, par enchaînement, se distinguant les unes des autres, se séparèrent en terre et en eau ; une fois la nature d'en bas organisée, la substance subtile, légère et élevée, à cause du fait qu'elle n'était pas totalement homogène en elle-même, se différencie dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre-temps, passant du rassemblement en commun à des particularités de même type. En elle, la multitude infinie des étoiles se déploie selon la particularité naturelle présente en chacune de ses parties, s'élève jusqu'au point le plus haut de la création et chaque partie trouve son lieu propre, sans que cesse sa course toujours en mouvement ni qu'elle quitte la place où elle est fixée, mais l'ordre en elles possède l'immobilité, tandis que leur nature possède la mobilité constante ; et successivement, celle qui vient en second après le mouvement le plus rapide [120A] prend dans sa course particulière le cercle inférieur ; et à nouveau depuis la troisième et la quatrième jusqu'à la septième, selon le principe de la chute en fonction de la vitesse, chacune descendant d'autant plus bas, par rapport à celle qui est plus haut, qu'elle a une nature plus lente à se mouvoir que celles qui sont au-dessus d'elle. Cela arrive donc le quatrième jour, non parce que la lumière a été fabriquée alors, mais parce que la particularité lumineuse s'est assemblée autour de ce qui en elle-même se correspondait par nature.

Les autres astres apparurent, même ceux que l'on voit être d'un volume plus important que les autres, le soleil et la lune, dont la création a trouvé ses principes dans la fondation première de la lumière, mais dont la mise en ordre fut achevée durant les trois jours, puisque tout ce qui est en mouvement se meut forcément dans le temps et qu'il faut à la course des parties les unes vers les autres [120B] un certain intervalle de temps. Ainsi, rien n'a été écrit par le grand Moïse qui sorte de la logique dans la disposition des êtres, si, quand tous les êtres eurent d'abord été répandus en masseà l'état de matière par la puissance du Créateur, en vue de la mise en ordre des êtres, l'apparition individuelle de chacun des êtres visibles dans le monde a été achevée dans un certain ordre naturel et logique, dans l'intervalle de temps qu'on a dit, l'ensemble de la lumière étant alors apparu, et toute la nature lumineuse apparaissant maintenant dans ses particularités, dont le soleil et la lune.



Comparaison avec les liquides


De la même façon, pour les êtres qui ont une puissance d'écoulement, ils ne constituent pas, les uns et les autres, un ensemble complètement homogène, même si tous coulent, mais il y a en chacun quelque chose qui le différencie d'avec l'autre, comme pour l'huile, [120C] le mercure et l'eau, car précisément, si, en les versant tous les uns sur les autres, on les recueille dans un même récipient, peu de temps après on verra d'abord le mercure, parce qu'il est plus lourd et plus porté à descendre que les autres, rassembler ses parties propres, même si elles se trouvaient dispersées de tous côtés, ensuite l'eau se rassembler sur elle-même, puis les parties de l'huile venir au-dessus de toutes celles qui se trouvent en dessous et se regrouper sur elles-mêmes. Je pense qu'il faut faire une conjecture semblable à propos de notre recherche précédente, en changeant seulement un peu par rapport à notre exemple, de sorte que ce qui arrive pour les liquides à cause de leur poids, on l'observe cette fois à propos de la nature ascensionnelle. En effet, quand toutes les lumières se furent élevées, à cause de leur légèreté, dès la première fondation des êtres, en sorte que chacune avait la vitesse correspondant à la puissance présente dans toutes par nature, il s'ensuivit que toutes celles qui avaient la même vitesse se réunirent les unes avec les autres et qu'elles se distinguaient ainsi, suivant la différence de leurs vitesses, de ce qui avait même nature et même puissance. [120D] De même donc que dans notre exemple la distinction de ces liquides n'a pas créé les matières par une séparation, mais, alors qu'elles avaient été créées et qu'elles étaient répandues les unes dans les autres, a montré chacune d'elles séparée des autres, de même après l'intervalle de temps de trois jours, la nature et la puissance lumineuses du soleil ne sont pas apparues, mais, alors qu'elles étaient répandues dans le tout, elles furent distinguées en elles-mêmes.



Le troisième ciel : Paul a pénétré le monde intelligible ; le troisième ciel est le sommet du monde sensible


Si on nous demandait maintenant de rendre compte aussi du troisième ciel, que Moïse n’a pas mentionné mais que Paul a connu et où il a entendu, comme transporté dans un sanctuaire de la sagesse, des secrets indicibles, notre réponse est que ce troisième ciel a bien sa place dans ce que nous avons exposé. [121A] Il me semble en effet que le grand apôtre qui va droit de l’avant, tendu de tout son être, passant les frontières de toute la nature sensible, a pénétré dans la condition de l’intelligible, sans que la contemplation des intelligibles ait été pour lui strictement corporelle. Lui-même en effet note dans son propre langage : était-ce en son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps ? je ne sais, Dieu le sait, cet homme fut ravi jusqu’au troisième ciel.

Je pense donc que Paul a donné le nom de troisième ciel au sommet du monde sensible ; il divisait tout le visible en trois et, selon l’habitude de l’Ecriture, donnait le nom de ciel à chacune de ces divisions. Car la langue de l’Ecriture, par une sorte de catachrèse, appelle d’abord ciel la limite de l’air assez dense qu’atteignent dans leur ascension [121B] les nuages, les vents et la famille des oiseaux qui volent haut ; elle dit en effet nuées du ciel et oiseaux du ciel. Et elle ne le nomme pas seulement ciel mais y joint firmament ; elle dit en effet : que les eaux produisent des bêtes aux âmes vivantes et des oiseaux volant au-dessus de la terre au firmament du ciel. En second lieu elle dénomme ciel et firmament l’espace qu’on observe à côté de la sphère des fixes vers l’intérieur, où se déplacent les astres errants ; elle dit en effet : et Dieu fit les grands luminaires et les plaça dans le firmament du ciel, de telle sorte qu’ils brillent sur la terre, et tout examen de l’organisation de l’univers fait bien voir combien ces astres se déplacent selon une translation supérieure. [121C] Et le sommet même du monde sensible, qui forme frontière avec la création intelligible, il le nomme aussi firmament et ciel.

L’homme donc qui désirait ce qui dépasse la parole et ne considérait, comme il nous exhorte nous aussi à le faire, aucune des choses visibles parce que les choses visibles n’ont qu’ un temps, les invisibles sont éternelles, fut élevé là où l’emportait son désir par la puissance de celui qui lui montra l’objet de son désir. Et au lieu de dire : je connais un homme qui a traversé toute la création sensible et s’est trouvé dans le sanctuaire de la nature intelligible, parce qu’il a appris enfant les saintes Écritures, il exprime son idée avec le langage scripturaire et nomme troisième ciel la limite où l’on quitte les trois divisions observées dans le tout. Il a en effet laissé l’air derrière lui, il a franchi de sa course la zone intermédiaire où les astres ont leur déplacement circulaire, il a dépassé l’enveloppe extrême des limites de l’éther et arrivé dans la nature stable et intelligible, il a vu les beautés du Paradis et a entendu ce qu’une nature humaine ne peut prononcer.



Grégoire a résolu les contradictions proposées ; mais son projet reste à améliorer


Telles sont les solutions que nous apportons aux demandes que nous a proposées ton intelligence, sans aucune transposition du texte de l’Ecriture en allégorie figurée, sans refus d’examiner aucune des objections qui nous ont été faites, mais en conservant dans la mesure du possible au texte sons sens propre, nous avons suivi l’ordre de la nature en examinant les mots à la lettre, et nous avons montré ainsi, autant qu’il était possible, qu’il n’y a aucune [124A] contradiction entre les termes qui, en première lecture, semblaient ne pas s’accorder entre eux. Nous avons jugé vain de passer en revue le reste de ce qui fut fait dans les six jours de la création puisque la grande voix de notre maître n’a laissé aucun problème à examiner, sauf la création de l’homme, sur laquelle nous avons travaillé antérieurement dans un livre à part que nous avons envoyé pour ta perfection, en priant, dans ce premier ouvrage comme dans celui-ci, toi-même et tous nos lecteurs, de ne pas croire que nous nous dressons contre les efforts de notre maître, mais que tout d’abord en comblant dans la mesure de nos moyens la lacune qu’il avait laissée, nous avons ajouté l’étude sur l’homme à son travail sur les six jours et qu’ici, sollicité par ceux [124B] qui recherchent l’enchaînement des pensées de l’Ecriture, nous nous sommes efforcés de rédiger ces pages en sorte que à la fois l’expression soit respectée à la lettre et l’étude de la nature soutienne l’Ecriture.

Si ce que j’ai dit présente des lacunes, rien n’interdit que les points omis soient traités par ton intelligence et celle de mes lecteurs. La veuve, en offrant ses deux oboles, n’empêcha pas les riches de faire leurs présents. Ceux qui ont apporté à Moïse des peaux, des bois et du poil pour l’édification de la tente ne s’opposèrent pas à ceux qui offraient de l’or, de l’argent et des pierres précieuses. Nous serons bien heureux si on regarde comme du poil de chèvre ce que nous livrons ici, pourvu que grâce à votre pourpre tissée d’or soit posé sur l’ouvrage le voile qui a nom Raison, Compréhension et Vérité, comme dit encore Moïse qui les donne pour vêtements aux prêtres sur l’indication de Dieu, à qui reviennent gloire et puissance en union avec le Fils unique et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles, amen.