L'hexaemeron, ou Ouvrage des six jours, de St. Basile, est une production célèbre dans l'antiquité ; Grégoire de Nysse son frère Grégoire de Nazianze son ami, Photius, Suidas, et plusieurs autres, en ont fait à l'envi le plus grand éloge. Saint Ambroise, en la traduisant dans sa langue avec très peu de changements, a rendu à son auteur le plus bel hommage qu'un nomme de génie puisse rendre à un homme de génie.

Cet ouvrage en effet est plein d'une érudition profonde et variée, la diction en est grave et majestueuse, toujours noble avec simplicité, souvent pleine de figures sublimes et poétiques. La physique, de son temps, avait fait peu de progrès, parce qu'avant lui, et longtemps encore après lui, on donnait plus à l'imagination qu'à l'expérience, et qu'en physique l'expérience seule peut conduire à des connaissances certaines. La plupart de ses erreurs étaient regardées comme des vérités dans son siècle, et embellissaient son ouvrage loin de le déparer. Un riche fonds de science et d'érudition, quelques grands aperçus, des vérités physiques exprimées avec beaucoup de précision et de justesse, pourront étonner le lecteur qui se transportera dans le siècle où saint Basile écrivait. Pour moi, je suis persuadé que si cet écrivain fût né dans un temps où la physique et l'histoire naturelle auraient été plus avancées, et qu'il en eût fait une étude particulière, il aurait pu en écrire parfaitement, parce qu'il joignait une très belle imagination à un esprit fort juste. Mais ce qui touchera principalement les âmes religieuses, c'est qu'en nous faisant contempler le ciel et les astres qui le décorent, la terre et les animaux qui l'habitent, les productions qui l'embellissent, il nous élève partout au Créateur, et nous fait admirer l'ouvrier suprême par l'inspection de ses œuvres. L’hexaëméron de saint Basile n’avait jamais été traduit dans notre langue. Je n'en suis nullement surpris ; car j'y ai trouvé des difficultés qui m'ont fait repentir presque d'avoir entrepris de le traduire. Je n'ai épargné aucune peine pour le style et pour le fond des choses. Je ne savais de physique que ce que j'en avais appris dans le cours de mes études ; j'ai eu recours à un de mes amis, professeur de physique au collège royal, dont les connaissances et les talents sont connus : il a eu la complaisance de lire avec moi tout l'ouvrage, de me marquer les endroits qui avaient besoin d'être éclaircis par une traduction plus exacte et plus précise, ou par des notes courtes et substantielles. Je n'ai pas entrepris de relever toutes les erreurs physiques de saint Basile; je me suis contenté de désigner et d'expliquer les principales. L'ouvrage de l'illustre M. de Buffon, et le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, m'ont beaucoup servi pour l'histoire naturelle. Enfin, la traduction, dans l'état où elle est, pourra être lue avec quelque plaisir, si on se transporte dans le temps où a été écrit l'orignal ; si l'on fait attention que St. Basile, parlant au peuple qu'il était chargé d'instruire, a cru devoir insérer dans ses descriptions physiques beaucoup de réflexions morales, et a rapporté quelques histoires populaires sans trop les examiner. Une chose surprendra en lisant l’héxaëméron, et l'on se dira : Comment saint Basile a-t-il pu traiter de pareilles matières devant son peuple? comment ce peuple pouvait-il l'entendre? quel prédicateur chez nous voudrait traiter de pareilles matières devant des hommes qui n'ont aucune teinture de physique, qui en ignorent jusqu'aux plus simples termes. Apparemment que chez les Grecs, du temps de saint Basile, le peuple même connaissait un peu les systèmes des anciens philosophes, et qu'il avait quelques connaissances de physique et d'histoire naturelle. Saint Grégoire de Nysse, frère de saint Basile, à la tête d'un ouvrage sur la formation de l'homme qu'il avait fait pour compléter celui de son frère, dit en propres termes que l'auteur de l’hexaëméron s'était abstenu de traiter certaines questions difficiles, pour se proportionner à la faiblesse de son auditoire, composé en grande partie de simples ouvriers; il suppose donc que tout le reste était à la portée de ce même auditoire. Quoi qu'il en soit, je vais tracer en peu de mots le système de saint Basile sur la création du monde.
 

 

Système de St. Basile sur la création du monde, d'après la Genèse, d'après quelques explications qu'il en donne (explications toujours naturelles et jamais allégoriques), et après quelques opinions qui lui étaient propres.

Avant que le monde visible fût créé, il existait un monde invisible et spirituel, éclairé d'une lumière céleste, qui a commencé et qui ne doit jamais finir, un monde propre à des êtres purement spirituels, aux anges et aux archanges. C'est une conjecture de saint Basile.

Premier jour. Dieu crée le ciel et la terre, et par conséquent, dit saint Basile, les êtres intermédiaires, les éléments de l'eau, de l'air et du feu. Il les crée dans un moment indivisible. La matière n'est donc pas éternelle ; elle a eu un commencement. La voûte du ciel était comme une vaste enveloppe qui ôtait au monde visible toute communication avec la lumière du monde invisible, qui le laissait dans les ténèbres ; les ténèbres répandues sur la face de l'abyme n'étaient autre chose qu'une privation de lumière. L'esprit de Dieu, porté sur les eaux, les préparait à être fécondes. On ne peut dire que la terre soit appuyée sur aucun fondement ; c'est la main de Dieu qui la soutient. La lumière est créée ; elle dissipe les ténèbres et embellit le monde. Distinction de la nuit et du jour, par l'absence et le retour de la lumière que Dieu soustrait et qu'il renvoie. Le premier jour de la création n'est pas appelé premier jour, mais le jour, considéré par honneur comme seul et n'ayant aucun rapport avec les autres.

Deuxième jour. Création du firmament distingué du ciel ; appelé firmament, parce que ses parties, quoique déliées, sont plus solides que celles du ciel supérieur. L'Ecriture lui donne aussi le nom de ciel. Il y a donc plusieurs cieux ! Oui, sans doute, puisqu'il en est un troisième dans lequel a été transporté saint Paul. Les eaux supérieures sont suspendues sur le firmament, comme sur la plate-forme d'une voûte. Les eaux supérieures et inférieures sont dans une quantité immense pour fournir un aliment au feu jusqu'à la consommation des siècles. C'est un sentiment de saint Basile dont je dirai en son lieu ce que je pense.

Troisième jour. Les eaux qui couvraient la terre s'écoulent et sont rassemblées dans un même espace, dans un réservoir creusé par Dieu moine, pour qu'elles s'y réunissent. Ce sont les eaux de la mer qui sont la cause unique des fontaines : ce qui n'est pas vrai, comme je le dirai par la suite. La terre, dégagée des eaux, se revêt bientôt de verdure; elle montre et étale toutes ses productions.

Quatrième jour. Création de deux corps lumineux pour éclairer la terre, pour séparer le jour de la nuit, pour marquer les temps, les jours et les années. Suivant saint Basile, la lumière, être pur, simple et immatériel, créée avant le soleil, s'est mêlée à la substance de cet astre qui ne la dépose plus. Je dirai par la suite ce qu'il y a de faux et de vrai dans cette opinion. Il attribue à la lune plusieurs effets détruits ou non confirmés par l'expérience.

Cinquième jour. L'Ecriture fait sortir des eaux successivement les poissons et les oiseaux. La raison qu'en donne l'orateur, c'est que les oiseaux nagent dans le fluide des airs comme les poissons dans le fluide des eaux. Cette raison paraît faible; mais quand on n'en trouverait pas de meilleure, il suffirait de dire que Dieu a agi de la sorte, parce qu'il l'a voulu. St. Basile, selon l'usage des anciens, met les insectes volants au nombre des oiseaux,

Sixième jour, marqué par la création des animaux terrestres et par la formation de l'homme. La première partie n'offre rien de particulier, sinon le préjugé alors reçu, que la terre produisait d'elle-même des animaux sans œuf et sans germe. La seconde partie manque. J'y suppléerai par une dixième homélie où elle sera traitée. Je dirai d'où j'ai pris cette homélie, et j'en donnerai le sommaire après celui des neuf autres, qui sont incontestablement de St. Basile.   

 

HOMÉLIE PREMIÈRE.

AU COMMENCEMENT DIEU CRÉA LE CIEL ET LA TERRE.

(Genèse. 1. 1)

SOMMAIRE.

Saint Basile a prononcé ces homélies le matin et le soir. Dans cette première, prononcée le matin, après avoir fait un bel éloge de Moïse auteur de la Genèse, il entreprend d'expliquer ces mots : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Il détruit en passant les principales erreurs des philosophes qui attribuaient le monde à différentes causes ; il fait voir que Dieu seul est la cause du monde ; qu'il a été créé par Dieu ; qu'il a eu un commencement, et qu'en conséquence il aura une fin; que le monde n'est donc pas éternel, quoique des philosophes aient prétendu le contraire. L'orateur conjecture qu'avant ce monde visible, il existait un monde invisible, éclairé d'une lumière céleste, propre à des êtres purement spirituels : il dit qu'à ce monde a été ajouté un monde visible, propre à des êtres qui s'engendrent et se dissolvent. Il expose les différentes acceptions du mot grec arche, commencement ou principe, et il prouve que ces acceptions diverses conviennent toutes aux premières paroles de Moïse. Le monde est un ouvrage subsistant, exposé aux regards des hommes pour qu'ils en admirent l'Ouvrier suprême. Dire que Dieu a créé le ciel et la terre, les deux extrêmes du monde, c'est dire conséquent nient qu'il a créé les êtres intermédiaires, les éléments de l'eau, de l'air et du feu. En vain on chercherait la vraie nature, la véritable essence du ciel et de la terre; les assertions des philosophes sur ce point ne prouvent que la faiblesse de leur intelligence. En vain on examinerait sur quel fondement porte la masse énorme de la terre ; il faut toujours en revenir à dire que c'est la main de Dieu qui la soutient. Les explications que les philosophes ont voulu donner de toutes ces difficultés ne sont nullement satisfaisantes, et nous devons nous en tenir à ces paroles de Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

Rien de plus convenable, lorsqu'on se propose de raconter la manière dont a été formé ce monde visible, que de commencer avant tout par annoncer le principe des êtres dont la beauté frappe nos regards. Je parlerai de la création du ciel et de la terre, qui ne doivent pas leur existence au hasard, comme plusieurs l'ont pensé, mais à la sagesse d’un Dieu tout-puissant. Comment doit-on écouter d'aussi importants objets? comment doit-on se préparer à entendre d'aussi grands récits? il faut se présenter avec une âme épurée des passions charnelles et dégagée des soins de la vie. Il faut un esprit éveillé, attentif, qui se soit étudié à se remplir de pensées dignes de Dieu.

Mais avant que d'examiner combien les paroles de l'Ecriture sont exactes, et de chercher quels sens sont renfermés dans le peu de mots par où nous avons débuté, considérons quel est celui qui nous parle. Encore que nous ne puissions pas, vu la faiblesse de notre intelligence, pénétrer la profondeur de l'écrivain ; cependant, lorsque nous ferons attention combien il mérite notre croyance, nous nous porterons plus volontiers à embrasser ses sentiments. C'est Moïse qui a composé l'histoire de l'origine du monde : Moïse que nous savons avoir été agréable à Dieu, lorsqu’il n’était encore qu'à la mamelle (Act. 7. 20 et suiv.) : Moïse que la fille de Pharaon adopta, qu'elle éleva comme son fils dans le palais du prince son père, qu’elle fit instruire avec soin par les sages de l'Egypte : Moïse qui, détestant le faste de la royauté, et lui préférant l'humiliation de ses compatriotes, aima mieux être affligé avec le peuple de Dieu, que de jouir sans lui de plaisirs passagers et criminels : qui, naturellement ami de la justice, signala, même avant d'être chef du peuple, toute la haine que son caractère lui inspirait contre les méchants, et les poursuivit sans leurs jours : qui, mis en fuite par ceux mêmes qu'il voulait servir, renonça volontiers aux fêtes de l'Egypte, pour se retirer dans l'Ethiopie, où, affranchi de toute autre occupation, il se livra uniquement à la contemplation des choses pendant quarante années : qui, âgé de quatre vingts ans, a vu Dieu, comme il est possible à un mortel de le voir, ou plutôt comme aucun autre ne l'a jamais vu, suivant le témoignage de Dieu même. S'il se trouve un prophète parmi vous, dit Dieu dans l'Ecriture, je me ferai connaître à lui en vision, je lui parlerai en songe. Mais il n’en est pas ainsi de Moïse qui gouverne toute ma maison, qui est mon serviteur très fidèle. Je lui parlerai bouche à bouche ; il me verra face à face, et non sous des figures empruntées (Nomb. 12. 6 et suiv.).

Or ce grand homme, qui a mérité de voir Dieu comme les Anges le voient, nous raconte ce que le Seigneur lui a appris. Ecoutons donc les paroles de la vérité, qui offrent, non les discours persuasifs de la sagesse humaine, mais la doctrine pure de l'Esprit-Saint (I. Cor. 2. 4) ; ces paroles dont la fin n'est pas les applaudissements de ceux qui écoutent, mais le salut de ceux qui veulent s'instruire.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Frappé de cette idée admirable, je m'arrête. Que dirai-je d'abord? par où commencerai-je mon instruction? confondrai-je les erreurs des infidèles, ou exalterai-je les vérités de notre foi? Incapables de se fixer à une seule opinion solide, les sages de la Grèce ont fabriqué sur la nature des choses mille opinions diverses, qui se combattent et se détruisent les unes les autres sans qu'il soit besoin que nous les attaquions. Comme ils ignoraient le vrai Dieu, ils n'ont pas admis une cause intelligente qui ait présidé à la création de l'univers ; mais ils ont forgé des systèmes conformes à leur ignorance de l'Etre suprême. Recourant à des causes matérielles, les uns ont attribué l'origine du monde aux éléments du monde même;[1] les autres ont cru que les choses visibles sont composées de corps simples, d'atomes plus ou moins rapprochés, que de leur réunion ou de leur séparation résulte la génération ou la dissolution des êtres, que l'adhésion plus ferme et plus durable de ces mêmes atomes forme ce qu'on appelle les corps durs. C'est vraiment ne donner que des tissus de toile d'araignées, que de fournir des principes si faibles et si peu consistants du ciel, de la terre et de la mer. Ils ne savaient pas dire, ces sages insensés : Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. Aussi l'ignorance de la divinité les a-t-elle jetés dans l’erreur de croire que tout est régi par le hasard, et non gouverné par une suprême sagesse.

C'est afin que nous ne tombions pas dans la même erreur, que l'écrivain de l'origine du monde, dès les premiers mots, éclaire notre intelligence par le nom de Dieu: Au commencement, dit-il, Dieu créa. Admirons l’ordre des paroles. Il met d'abord au commencement, de peur qu'on ne croie que le monde est sans commencement.

Ensuite il ajoute un mot[2] qui montre que les choses créées sont la moindre partie de la puissance du Créateur. De même qu'un potier qui, d'après les principes de son art, a fait un grand nombre de vases, n'a épuisé ni son art, ni sa puissance ; ainsi le grand Ouvrier, dont la puissance effectrice peut s'étendre à une infinité de mondes sans être bornée à un seul, a tiré du néant, par le seul acte de sa volonté, tous les objets que nous voyons. Si donc le monde a eu un commencement et s'il a été créé, examinez qui lui a donné ce commencement et quel est le Créateur. Ou plutôt, de peur que des raisonnements humains ne vous écartent de la vérité, l'écrivain sacré a prévenu vos recherches, en imprimant dans vos âmes le nom vénérable de Dieu, comme une espèce de sceau, et comme un remède contre le mensonge : Au commencement, dit-il, Dieu créa. Oui, cette nature bienheureuse, cette bonté immense, cet être si cher à tous les êtres doués de raison, cette beauté si désirable, ce principe de tout ce qui existe, cette source de la vie, cette lumière spirituelle, cette sagesse inaccessible ; c'est lui qui au commencement créa le ciel et la terre. Ne vous imaginez donc pas, ô homme, que les choses visibles soient sans commencement ; et parce que les globes qui se meuvent dans les cieux y roulent en cercle, et qu'il n'est pas facile à nos sens d'apercevoir le commencement d'un cercle, ne croyez, pas que la nature des corps qui roulent en cercle soit d'être sans commencement.[3] En effet, quoiqu'en général dans cette figure plane terminée par une seule ligne, nos sens ne puissent trouver ni par où elle commence, ni par où elle finit, nous ne devons pas supposer pour cela qu'elle soit sans commencement : mais, quoique ce commencement échappe à notre vue, celui qui a tracé la figure en partant d'un centre et en d'éloignant à une certaine distance, a réellement commencé par un point. De même vous, quoique les êtres qui roulent en cercle reviennent sur eux-mêmes, quoique leur mouvement soit égal et non interrompu, n'allez pas tomber dans l'erreur que le inonde est sans commencement et sans fin. La figure de ce monde passe, dit saint Paul (I. Cor. 7. 31). Le ciel et la terre passeront, dit l'Evangile (Matth. 24. 35).

C'est l’annonce et le prélude du dogme de la consommation et de la rénovation du monde, que ce peu de paroles que nous lisons à la tête des divines Écritures : Au commencement Dieu créa. Ce qui a commencé dans un temps doit nécessairement être consommé dans un temps. Ce qui a eu un commencement, ne doutez pas qu'il n'ait une fin. Eh ! quel est le terme et le but des sciences arithmétiques et géométriques, des recherches sur les solides, de cette astronomie si vantée, de toutes ces laborieuses bagatelles, s'il est vrai que ceux qui se sont livrés à ces études ont prononcé que ce monde visible est éternel[4] comme Dieu créateur de l'univers ; s'ils ont élevé un être matériel et circonscrit, à la même gloire qu'une nature incompréhensible et invisible ; si, sans pouvoir observer qu'un tout dont les parties sont sujettes à la corruption et aux changements, doit nécessairement subir les mêmes révolutions que ses diverses parties, ils se sont égarés dans leurs raisonnement, leur cœur insensé a été rempli de ténèbres, ils sont devenus fous en s’attribuant le nom de sages (Rom. I. 21), au point qu'ils ont déclaré, les uns, que le monde est de toute éternité comme Dieu ; les autres, qu'il est Dieu lui-même sans commencement et sans fin, qu'il est la cause de l'ordre que nous admirons dans toutes les parties de ce grand univers? Les vastes connaissances qu'ils ont eues des choses du monde ne feront qu'aggraver un jour leur condamnation, parce qu'ayant été si éclairés dans des sciences vaines, ils se sont aveuglés volontairement dans l'intelligence de la vérité. Des hommes qui savaient mesurer les distances des astres, marquer ceux d'entre eux qui sont au septentrion et qui se montrent toujours, ceux qui, placés au pôle austral, sont visibles pour les contrées de ce pôle et nous sont inconnus ; qui ont déterminé étendue des régions boréales, et divisé en une infinité d'espaces le cercle du zodiaque ; qui ont observé exactement les mouvements des astres, leur état fixe, leurs déclinaisons, et leurs retours dans les endroits par où ils ont déjà passé ; qui ont remarqué en combien de temps chaque planète achève son cours : ces hommes, parmi tant de moyens, n'en ont pu trouver un seul pour s'élever jusqu'à Dieu, le créateur de l'univers, ce juste Juge qui paye chaque action du prix qu'elle mérite : ils n'ont pu acquérir l'idée de la consommation du monde qui a un rapport si intime avec la vérité d'un jugement, puisqu'il faut nécessairement que le monde se renouvelle, si les âmes doivent passer à une autre vie. En effet, si la vie présente est de même nature que ce monde, la vie future des âmes sera telle que la constitution qui leur est propre.[5] Les sages du paganisme sont si éloignés d’être attentifs à ces vérités, qu'ils ne peuvent s'empêcher de rire quand nous leur parlons de la consommation du monde et de la régénération du siècle. Mais, comme le principe marche naturellement avant ce qui en dérive, l'écrivain sacré en parlant des objets qui reçoivent leur être du temps, a dû débuter par ces mots : Au commencement Dieu créa.

Il est probable qu'avant ce monde il existait quelque chose que notre esprit peut imaginer, mais que l'Ecriture supprime dans son récit, parce qu'il ne convenait pas d’en parler à des hommes qu'on instruit encore, et qui sont enfants pour les connaissances. Oui, sans doute, avant que ce monde fût créé, il existait une constitution plus ancienne, convenable à des puissances célestes,[6] une constitution qui a précédé les temps visibles, une constitution qui a commencé, mais qui ne doit jamais finir. Les ouvrages qu'y a formés l'Ouvrier suprême, le Créateur de l'univers, sont une lumière spirituelle, qui convient à l'état bienheureux d'êtres qui aiment le Seigneur, des natures raisonnables et invisibles, en un mot tout cet ordre de créatures spirituelles, auxquelles notre pensée ne peut atteigne, et dont nous ne pouvons même trouver les noms. C'est là ce qui compose la nature du monde invisible, comme nous l’apprend le divin Paul ; Tout a été créé en lui, dit-il, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances (Col. I, 16) ; c'est-à-dire, les armées des anges commandées par les archanges.

Dieu devait ajouter à ce qui existait déjà, ce monde, d’abord et principalement comme une école où l'esprit des hommes pût s'instruire : c'était ensuite un séjour parfaitement propre à des êtres qui s'engendrent et se dissolvent. Rien aussi de plus analogue au monde, aux animaux et aux plantes qu'il renferme, que la succession du temps, lequel se presse toujours, et fuit perpétuellement sans jamais s'arrêter dans sa course. N'est-ce pas là ce qu'est le temps, dont le passé n'existe plus, dont l'avenir n'existe pas encore, dont le présent nous échappe avant que nous le connaissions? Telle est encore la nature des êtres qui prennent naissance ; on les voit croître ou décroître, on ne les voit jamais dans un état fixe et stable. Or, des animaux et des plantes, dont les corps comme enchaînés à un cours qu'ils suivent malgré eux, sont emportés par un mouvement qui les entraîne vers la génération ou la dissolution, doivent être soumis au temps dont la nature particulière est conforme à des êtres changeants et variables. De là l'écrivain profond qui nous apprend la création du monde, emploie les paroles qui lui conviennent davantage : Au commencement, dit-il, Dieu créa, c'est-à-dire, lorsque le temps commença à couler. Car lorsqu'il a dit que le monde a été fait au commencement, il ne veut pas assurer qu'il est plus ancien que tout ce qui existe ; mais il annonce que les choses visibles et sensibles n'ont commencé à exister qu'après les invisibles et les spirituelles.

On appelle commencement ou principe,[7] le premier mouvement vers une chose ; par exemple, le commencement de la bonne voie est de faire la justice (Prov. 16. 5). Car les actions justes sont un premier mouvement vers la vie bienheureuse. On appelle encore commencement ou principe, lorsqu'une chose est sous une autre qui la porte, comme le fondement dans une maison et la carène dans un vaisseau. C'est d'après cela qu’il est dit : Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur (Prov. 1. 7); car la piété est comme la base et le fondement de la perfection. Le principe des ouvrages qui proviennent de l'art est l'art lui-même. Ainsi l'habileté de Béséléel était le principe des ornements du tabernacle. Le principe des actions est souvent encore la fin utile et honnête qu'on s'y propose. Ainsi les bonnes grâces de Dieu sont le principe de l'aumône; les promesses contenues dans l'Evangile sont le principe de toutes les actions vertueuses.

Le mot commencement ou principe étant susceptible de ces acceptions diverses, examinez si la parole de Moïse ne convient pas à toutes. Et d'abord vous pouvez apprendre depuis quel temps le monde a commencé à exister, si depuis le moment présent, reculant toujours en arrière, vous vous appliquez à trouver le premier jour de la création du monde : car c'est ainsi que vous trouverez d'où le temps a eu son premier mouvement. Le ciel et la terre sont comme les fondements et les bases de toute la création. Une raison souveraine est comme l’art qui a présidé à l'ordonnance admirable des objets visibles, ainsi que l'annonce le mot de commencement ou principe. Enfin le monde n'a pas été fait sans motif et au hasard, mais pour une fin utile, pour le plus grand avantage des êtres raisonnables, puisqu'il est en effet pour ces êtres une école où ils s'instruisent, où ils apprennent à connaître la divinité, puisque par les objets visibles et sensibles, il les conduit à la contemplation des invisibles, selon ce que dit l'Apôtre : Les choses invisibles sont devenues visibles depuis la création du monde par la connaissance que ses ouvrages nous en donnent. Ou bien, l'Ecriture dit-elle : Au commencement Dieu créa, parce que le ciel et la terre ont été créés dans un moment unique, sans aucun espace de temps, le commencement ne pouvant être coupé et divisé en plusieurs parties? Car, de même que le commencement du chemin n'est pas encore le chemin, et que le commencement d'une maison n'est pas la maison; ainsi le commencement du temps n'est pas encore le temps, n'est pas même la plus petite partie du temps. Que si quelqu'un soutient que le commencement du temps est le temps, il faudra qu'il divise ce commencement en plusieurs parties, lesquelles formeront un commencement, un milieu et une fin. Or il est pleinement ridicule d'imaginer le commencement d'un commencement. Celui qui divisera un commencement en deux, parties, en fera deux au lieu d'un, ou plutôt un nombre infini, en divisant ce qui est déjà divisé. Afin donc que nous apprenions que la matière du monde a existé par un simple acte de la volonté de Dieu sans aucun espace de temps, il est dit : Au commencement Dieu créa. C'est le sens que plusieurs interprètes ont donné à ces mots, au commencement ; ils l’ont entendu, tout ensemble, dans un moment indivisible.

Nous ne parlerons pas davantage du mot commencement ou principe, sur lequel nous n'avons pas dit à beaucoup près tout ce qu'oh pourrait en dire. Parmi les arts, les uns sont appelés effecteurs, les autres pratiques, les autres spéculatifs. La fin des arts spéculatifs est l'opération même de l'esprit: la fin des arts pratiques est le mouvement même du corps, lequel cessant, il ne reste plus rien à voir. Telles sont la danse et la musique, qui n'ont aucune fin permanente, mais dont la vertu se termine à elles-mêmes. Dans, les arts effecteurs, lors même que la puissance effectrice cesse, il reste un ouvrage. Tels sont les arts de l'architecte, du serrurier, du tisserand, et autres semblables: même lorsque l'ouvrier est absent, ils montrent suffisamment par eux-mêmes une raison intelligente qui a produit; et l'on peut admirer l'ouvrier par son ouvrage. Afin donc de montrer que le monde est une production de l'art, exposée en spectacle aux yeux de tous les hommes, afin qu'en le voyant ils reconnaissent la sagesse de celui qui l’a créé, le sage Moïse a parlé de sa création en ces termes : Au commencement Dieu créa: il ne dit pas enfanta, produisit, mais créa. Et comme plusieurs de ceux qui ont pensé que le monde avait existé avec Dieu de toute éternité, n'ont pas voulu convenir qu'il eût été créé par lui, mais ont prétendu qu'il avait existé de soi-même comme une ombre de la puissance divine, qu'ainsi Dieu est la cause du monde, mais une cause non volontaire, comme un corps opaque ou lumineux est la cause de l'ombra ou de la lumière ; le prophète voulant corriger cette erreur, s'est exprimé avec cette exactitude: Au commencement Dieu créa. Par ces mots, non seulement il veut donner une cause au monde, mais annoncer qu'un être bon a fait une chose utile, un être sage une chose belle, un être puissant une chose grande. Il nous montre presque le souverain ouvrier qui domine sur ce vaste univers, qui en dispose et en ordonne toutes les parties, qui en forme un tout régulier, parfaitement accord avec lui-même, du concert le plus admirable.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. En prenant les deux extrêmes il embrasse la substance du monde entier. Il accorde au ciel le privilège de l'aînesse, et ne donne à la terre que le second rang dans la création. Tous les êtres intermédiaires ont dû naître avec les deux bornes du monde. Si donc il ne dit rien des éléments, de l'eau, de l'air et du feu, vos propres réflexions doivent vous apprendre d'abord que tous les éléments sont mêlés avec tous les corps, que vous les trouverez tous dans la terre seule, puisque le feu jaillit des cailloux, puisque dans les chocs et les frottements on voit une grande abondance de feu sortir en brillant du fer même qu'on a tiré des entrailles de la terre. Et ce qui doit paraître admirable, c'est que le feu renfermé dans les corps y séjourne sans leur nuire ; et que lorsqu'on le tire au dehors, il consume les corps mêmes qui le recélaient. Ceux qui creusent des puits nous prouvent que l'élément de l'eau est aussi dans la terre; la même chose nous est prouvée de l'air par les vapeurs qu'exhale la terre humide lorsque les rayons du soleil réchauffent. D'ailleurs, comme le ciel occupe naturellement un lieu élevé, la terre le lieu le plus bas ; comme les corps légers s'élèvent vers le ciel, et que les pesants se portent vers la terre ; comme le haut et le bas sont opposés l'un à l'autre, Moïse en faisant mention des deux êtres les plus éloignés, parle conséquemment de tous les êtres intermédiaires qui occupent le milieu. Ainsi ne demandez pas un détail de tous les objets, mais que ce qu'on vous dit vous fasse comprendre ce qu'on ne vous dit pas.

Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Une recherche exacte de l'essence de chacun des êtres, soit de ceux qui ne nous sont connus que par l'intelligence, soit de ceux qui tombent sous nos sens, étendrait outre mesure notre instruction, et nous ferait employer plus de discours pour expliquer cette question difficile, que pour tous les objets ensemble que nous nous proposons de traiter. D'ailleurs, ces discussions superflues servent peu à l'édification des fidèles. Qu'il nous suffise pour l'essence du ciel, de ce que nous lisons dans Isaïe. Ce prophète nous donne une idée suffisante de sa nature dans ces paroles qui sont à la portée de tout le monde: Celui, dit-il, qui a étendu le ciel comme une fumée (Is. 51. 6); c'est-à-dire, qui a formé le ciel d'une substance légère, et non épaisse et solide. Quant à sa forme, ce qu'il dit en glorifiant Dieu doit nous suffire: Celui qui a établi le ciel comme une voûte (Is. 40. 22).

Procédons de même pour ce qui regarde la terre. N'examinons pas avec trop de curiosité quelle est son essence, ne nous fatiguons pas à raisonner sur sa substance propre, n'allons pas chercher une nature qui par elle-même soit dépourvue de toute qualité; mais soyons convaincus que tout ce que nous voyons en elle appartient à son être, constitue son essence; car vous la réduirez à rien en lui ôtant les unes après les autres toutes les qualités qu'elle renferme. Oui, si vous lui ôtez le noir, le froid, le pesant, le serré, toutes les propriétés de saveur qu'elle peut avoir, et d'autres encore, il ne restera plus rien. Je vous exhorte donc à laisser là toutes ces recherches, à ne pas examiner non plus sur quoi la terre[8] est fondée. Votre esprit ne ferait que s'éblouir, parce que le raisonnement ne le conduirait à aucune vérité certaine. Car si vous dites que l'air s'étend sous toute la largeur de la terre, vous ne pourrez expliquer comment une nature aussi flexible et aussi déliée résiste accablée sous un si grand fardeau, comment elle ne s'échappe pas, elle ne se dérobe pas de toutes parts, en s’élevant au-dessus de la masse qui l'écrase. Si vous supposez que l'eau est répandue au-dessous de la terre, il vous faudra chercher comment un corps pesant et compact ne pénètre pas l'eau, comment avec une si grande pesanteur il est contenu par une nature plus faible. D'ailleurs autre embarras : quelle sera à base de l'eau? sur quel appui solide portera son dernier fond? Si vous supposez un autre corps plus lourd et plus solide que la terre, qui la contienne et qui l'empêche de descendre, songez qu'il faut à ce corps un autre soutien qui l’empêche de s'affaisser lui-même. Si nous pouvons imaginer ce soutien, notre esprit en cherchera encore un autre pour ce dernier. Par là nous tomberons dans l'infini, en imaginant sans cesse de nouvelles bases et de nouveaux fondements pour soutenir ceux que nous aurons trouvés : et plus notre esprit imaginera, plus nous serons obligés d'introduire une puissance considérable pour résister à toutes les masses réunies. Ainsi mettez des bornes à votre imagination, de peur que si vous prétendez découvrir des vérités incompréhensibles, Job ne réprime votre curiosité, et ne vous fasse cette demande: Sur quoi ses bases sont-elles affermies (Job. 38. 6)? Si vous lisez dans les psaumes: J’ai affermi ses colonnes (Ps. 64. 4) croyez que le prophète entend par colonnes la puissance qui tient la terre en place. Quant à ces mots: Il l'a fondée sur les mers (Ps. 23. 2), que signifient-ils autre chose sinon que les eaux enveloppent de tous côtés la terre? Comment donc l'eau qui est fluide par sa nature et qui se précipite, demeure-t-elle suspendue sans couler d'aucune part? vous ne pensez pas que la terre, qui est suspendue sur elle-même quoique plus pesante, offre la même difficulté et une plus grande encore. Mais soit que nous contenions que la terre est appuyée sur elle-même, soit que nous disions qu'elle flotte sur les eaux, ne nous écartons par des sentiments religieux, mais avouons que tout est contenu par la puissance du Créateur. Nous devons nous dire à nous-mêmes et à ceux qui nous demandent sur quoi est appuyé ce lourd et immense fardeau de la terre : Les limites de la terre sont dans la main de Dieu (Ps. 94. 4) C'est le parti le plus sûr pour régler notre esprit, et le plus utile à ceux qui nous écoutent.

Pour expliquer les difficultés dont nous parlons, des physiciens disent en termes magnifiques que la terre est immobile ; que, comme elle occupe le centre de l'univers, également éloignée des extrêmes, sans qu'il y ait de raison pour qu'elle penche d'un côté plutôt que d'un autre, parce qu’elle est pressée également de toutes parts, elle demeure nécessairement sur elle-même. Ils ajoutent que ce n'est ni par le sort ni au hasard qu'elle occupe le centre, que cette position est nécessaire et tient à sa nature. Le corps céleste,[9] disent-ils, étant à l'extrémité, parce qu'il s'élève en haut ; si nous supposons que des poids tombent d'en haut, ils se porteront de toutes parts au centre. Or, sans doute, le tout sera entraîné vers le point vers lequel seront portées les parties. Si les pierres, les bois, si tous les corps terrestres, sont portés en bas, ce sera là la place propre et convenable à toute la terre. Si les corps légers partent du centre, ils s'élèvent sans doute en haut: les corps pesants se portent donc naturellement en bas ; or nous avons montré que le bas est le centre. Ne soyons donc pas surpris que la terre ne tombe d'aucun côté puisqu'elle occupe le centre par sa nature. Elle doit nécessairement rester en place, ou, se remuant contre sa nature, sortir de la place qui lui est propre. Si les assertions de ces philosophes vous paraissent probables, transportez votre admiration à la sagesse de Dieu qui a ainsi disposé les choses. Car on ne doit pas moins admirer les grands et surprenants effets de la nature, parce qu'on en aura trouvé les causes ; sinon, que la simplicité de la foi ait plus de force auprès de vous que tous les raisonnements humains.

Nous dirons la même chose du ciel ; nous dirons que les sages du monde nous ont donné sur sa nature des dissertations fastueuses. Les uns disent qu'il est composé des quatre éléments comme étant sensible et visible ; qu'il participe à la terre par sa solidité, au feu par son éclat, à l'air et à l'eau parce qu'ils sont mêlés avec les corps solides. Les autres,[10] rejetant cette opinion comme peu vraisemblable, ont imaginé d'eux-mêmes et ont introduit une cinquième nature ou élément pour en composer le ciel. Ils supposent un corps éthéré qui n'est ni le feu, ni l’air, ni la terre, ni l'eau, enfin aucun des éléments connus. Les éléments, disent-ils, ont un mouvement direct, suivant lequel les corps légers se portent en haut et les pesants en bas ; et le mouvement en haut et en bas n'a aucun rapport avec le mouvement circulaire. En général, le mouvement en ligne droite est fort différent du mouvement en ligne courbe. Or les êtres dont les mouvements diffèrent par leur nature, doivent différer aussi dans leurs essences. D'ailleurs, il est impossible que le ciel soit composé des premiers corps que nous appelons éléments, par la raison que les êtres composés de substances diverses, ne peuvent avoir un mouvement égal et libre, chacune des substances qui le composent ayant reçu de la nature une impulsion propre. Aussi les êtres composés ont de la peine à rester dans un mouvement continuel, parce qu'ils ne peuvent avoir un mouvement unique, propre et analogue à tous les contraires, mais que le mouvement du corps léger combat le mouvement du corps grave. Lorsque nous nous élevons en haut, nous sommes entraînés par ce qui est en nous de terrestre; et lorsque nous nous portons en bas, nous faisons violence à la partie du feu, que nous entraînons en bas contre sa nature. Or c'est cette action des éléments d'aller en sens contraire, qui est la cause de la dissolution des corps. Car ce qui est forcé et contre nature, après avoir résisté un peu de temps avec beaucoup d'effort et de peine, se dissout bientôt et se sépare des substances simples auxquelles il est uni, chacune de ces substances reprenant sa place naturelle. C'est pour ces raisons pressantes, que ceux qui supposent une cinquième nature ou élément pour la génération du ciel et des astres, ont rejeté les opinions de leurs prédécesseurs, et ont eu besoin d'un nouveau système. Un autre philosophe, distingué par son éloquence, s'élève contre ceux-ci, attaque leurs sentiments qu'il prétend détruire, et offre un autre système de sa composition.

Si nous voulions parcourir les opinions de tous les philosophes, nous tomberions dans leurs folies et leurs rêveries. Laissons-les donc se réfuter les uns les autres ; pour nous, renonçant à découvrir les essences des choses, tenons-nous en à ce que dit Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Glorifions le plus excellent des ouvriers pour Fart et la sagesse qui règne dans ses ouvrages : par la beauté des objets visibles, jugeons combien il est beau; par la grandeur des corps sensibles et bornés, concevons combien il est grand, infini, au-dessus de toutes les idées que nous pouvons avoir d'une puissance. Quoique nous ignorions la nature des choses créées, néanmoins ce qui tombe sous nos sens est si admirable, que l'esprit le plus pénétrant n'est en état ni d'expliquer, comme il doit l'être, le moindre des objets qui sont dans le monde, ni d'accorder les louanges qui sont dues au Créateur, à qui soient la gloire, l'honneur et l'empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE DEUXIÈME.

LA TERRE ETAIT INVISIBLE ET INFORME.

(Genèse, 1. 3)

 

SOMMAIRE.

Cette homélie a été prononcée le soir, et a terminé le premier jour de la création. Après un court préambule, l'orateur explique ces paroles de Moïse dans la Bible des Septante : La terre était invisible et informe. Il montre ce qui rendait la terre invisible et informe. Comme par ces mots terre invisible, plusieurs entendaient la matière que Dieu avait mise en œuvre, et qu'ils prétendaient que la matière est éternelle, il les réfute en démontrant que la matière ne saurait être éternelle, et que Dieu est le créateur des substances ainsi que des formes. Les ténèbres qui, suivant l'Ecriture, couvraient la face de l'abyme, étaient interprétées par certains hérétiques dans un très mauvais sens ; c'était, selon eux, une puissance mauvaise opposée à l'être bon. Saint Basile détruit avec beaucoup de force et de subtilité l'opinion des deux principes. Les ténèbres, dit-il, ne sont autre chose que la privation de lumière. Ainsi, c'est une vaine question que de demander pourquoi les ténèbres ont été créées avant la lumière, c'est-à-dire, l'être pire avant l'être meilleur. L’esprit de Dieu était porté sur les eaux, c'est-à-dire, suivant une explication particulière qu'admet l'orateur, l'esprit de Dieu échauffait les eaux et les préparait à produire des animaux vivants. La lumière est créée ; comment elle embellit le monde l’dans quel sens on peut dire qu'elle est belle. La nuit et le jour sont produits par la soustraction et par le retour de la lumière. Le premier jour de la création est appelé le jour, et non le premier jour, considéré par honneur comme seul, et n'ayant aucun rapport avec les autres. Conclusion de l'homélie.

I. Ce matin, nous arrêtant aux premiers mots de la Genèse, nous y avons trouvé une profondeur de sens qui nous a entièrement décourages pour le reste. En effet, si ce qui précède le sanctuaire, si le vestibule seul du temple est si auguste et si magnifique, s'il éblouit tellement les yeux de notre esprit par sa beauté merveilleuse, quel doit être le sanctuaire même? Qui est-ce qui osera entrer dans le Saint des Saints? qui est-ce qui pourra regarder le lieu le plus secret et le plus retiré? La vue même en est interdite à nos yeux, et le discours ne peut exprimer ce que l'esprit conçoit. Cependant, comme auprès du juste Juge le seul désir de bien faire obtient de superbes récompenses, ne nous décourageons pas dans nos recherches. Quand nous ne pourrions atteindre à la grandeur des choses, si, avec le secours de l'Esprit-Saint nous pouvons découvrir le sens de l'Ecriture, nous ne serons pas jugés absolument méprisables ; et puissamment aides par la grâce, nous procurerons quelque édification à l'Eglise de Dieu.

La terre, dit Moïse, était invisible et informe. Pourquoi le ciel et la terre ayant été créés également l'un et l'autre, le ciel était-il dans sa perfection, tandis que la terre était brute et imparfaite? Que veut dire l'écrivain sacré quand il dit qu'elle était informe? et pour quelle raison était-elle invisible? La forme et la perfection de la terre est sa fécondité, la génération des plantes diverses, la naissance des plus hauts arbres, de ceux qui portent des fruits comme de ceux qui n'en portent pas, la beauté et l'odeur suave des fleurs, enfin toutes ces productions différentes, qui vont bientôt, par l’ordre de Dieu, sortir du sein de la terre pour orner sa surface. Comme rien de tout cela n'existait encore, Moïse l'a appelée avec raison informe. Nous pourrions dire du ciel lui-même qu'il n’était pas achevé, qu'il n’avait pas la décoration qui lui est propre, puisqu'il ne brillait pas encore par le soleil et par la lune, et qu'il n’était pas couronné par les chœurs des astres. Ces corps lumineux n’avaient pas encore été créés, et l’on pourrait dire avec vérité que le ciel lui-même était informe.

La terre est appelée invisible pour deux raisons, ou parce que l’homme n'existait pas encore pour la contempler, ou parce qu'étant inondée par les eaux dont toute sa surface était couverte, elle ne pouvait être aperçue. Car Dieu n’avait pas encore rassemblé les eaux dans les demeures qui leur étaient destinées, comme il fit ensuite en leur donnant le nom de mer. On appelle invisible, ou ce qui ne peut être aperçu des yeux de la chair, comme notre âme ; ou ce qui étant visible de sa nature, est caché par l'interjection d'un corps qui le couvre, comme le fer au fond de l'eau. C'est dans ce dernier sens, à notre avis, que la terre a été nommée invisible, parce quelle était cachée sous les eaux. D'ailleurs, comme la lumière n’était pas encore créée, il n'est pas étonnant que la terre étant plongée dans les ténèbres, parce que l’air qui l’enveloppait n’était pas éclairé, ait encore pour cette raison été appelée invisible par l'Ecriture.

II. Mais les falsificateurs de la vérité, qui, au lieu d'accoutumer leur esprit à suivre le sens des Ecritures, veulent forcer les Ecritures et les amener à leur propre sentiment, disent que par ces expressions il faut entendre la matière. La matière, suivant eux, est par elle-même invisible et informe, dépourvue de qualités et de figures; mais le souverain Ouvrier l’a employée, il l'a conformée et mise en ordre par sa grande sagesse, et en a fait tout ce que nous voyons. Je vais réfuter ces apôtres de l’erreur. Si la matière est incréée,[11] d'abord elle mérite le même honneur que Dieu y puisque son ancienneté est la même. Or qu’y aurait-il de plus impie que de faire jouir un être sans qualité, sans forme, sans figure, le dernier terme de la laideur et de la difformité (car je me sers de leurs propres expressions), de faire jouir un pareil être des mêmes prérogatives que l'Etre le plus sage, le plus puissant, le plus beau, que l'Artisan suprême, le Créateur de l'univers? Ensuite, si telle est la matière qu'elle épuise la science de Dieu, qu'elle soit capable de mesurer toute l'étendue de son intelligence, ils opposent en quelque sorte une substance informe à une puissance incompréhensible. Si la matière est incapable de répondre à toute la vertu de Dieu, ils tomberont alors dans un blasphème encore plus absurde, s'ils supposent que le défaut de la matière empêche Dieu d'achever et de perfectionner ses propres ouvrages. La faiblesse de la nature humaine les a trompés : et comme chez nous chaque ouvrier s'occupe particulièrement d'une certaine matière, par exemple, le serrurier du fer, le charpentier du bois ; comme dans leurs ouvrages on distingue le sujet, la forme, et la perfection qui résulte de la forme ; comme la matière est prise de dehors, que la forme est due à l'art, et que la perfection est le résultat de la forme et de la matière, ils croient qu’il en est de même des ouvrages de Dieu; que la figure du monde est l'effet de la sagesse du Créateur de l'univers ; que la matière lui est venue et lui a été fournie du dehors ; que le monde a été formé de telle sorte que son sujet et sa substance ont été pris hors de Dieu; que sa figure et sa forme viennent de la suprême intelligence. De là ils nient que le grand Dieu ait présidé à la création de l'univers; ils prétendent qu'il n'a contribué que très peu pour sa part à la génération des êtres. La bassesse de leurs idées les empêche de s'élever jusqu'à la hauteur de la vérité, et de voir que parmi les hommes les arts sont venus après la matière, introduits dans le monde par le besoin et la nécessité. La laine existait avant l'art du tisserand, qui est venu fournir ce qui manquait à la nature. Le bois existait avant l’art du charpentier, qui s'en est servi, et qui, lui donnant diverses formes selon les besoins, nous a montré l'usage qu'on pouvait en tirer. Il en a fait une rame pour le matelot, un ventilabre pour le laboureur, une pique pour le guerrier. Il n'en est pas de même de Dieu. Avant que rien de ce que nous voyons existât, ayant décidé en lui-même et résolu de donner l'être à ce qui n'existait pas, il imagina le plan du monde en même temps qu'il créa une matière analogue à sa forme. Il assigna au ciel une nature qui convenait au ciel ; et d'après la figure qu'il voulait donner à la terre, il produisit une substance qui lui était propre. Il forma le feu, l'eau et l'air comme il voulut, et leur attribua la substance que demandait la destination de chacun de ces éléments. Les parties différentes dont il composait le monde, il les unit entre elles par un lien indissoluble, il en fit un tout régulier et harmonique ; de sorte que les êtres qui sont les plus opposés, paraissent liés entre eux par une sympathie naturelle. Qu'ils renoncent donc à leurs fictions fabuleuses, ces hommes qui mesurent par la faiblesse de leurs propres raisonnements une puissance à laquelle ni les idées d'un mortel ni ses paroles ne sauraient atteindre.

III.  Dieu créa le ciel et la terre ; il ne créa pas l'un et l'autre à moitié, mais le ciel tout entier et la terre toute entière, la substance réunie à la forme. Car Dieu n'est pas seulement l'artisan des formes, mais le créateur de la nature même des êtres. Ou bien qu'on nous explique comment la puissance effectrice de Dieu et la nature passive de la matière se sont rencontrées, l’une fournissant le sujet sans forme, et l'autre ayant l'art des figures sans matière, afin que l'un reçût de l'autre ce qui lui manquait, que l'Ouvrier suprême pût faire valoir son art, et la matière prendre les figures et les formes dont elle était privée. Mais en voilà assez sur cet article. Revenons à notre sujet. La terre était invisible et informe. Après avoir dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, l'écrivain sacré a passé sous silence beaucoup de choses; il n'a parlé ni de l'eau, ni de l'air, ni du feu, ni des effets qui tiennent à ces éléments. Ces éléments sans doute ont été créés avec l'univers, comme faisant le complément du monde ; mais l'Ecriture n'en parle point, pour exercer l'activité de notre esprit, pour lui apprendre à tirer des conséquences de quelques paroles, et à suppléer ce qu'elle ne dit pas. Puis donc qu'elle n'a point dit que Dieu a créé l'eau, mais qu'elle a dit que la terre était invisible, examinez en vous-même quel était le voile qui la couvrait et qui l'empêchait de paraître. Ce n’était pas le feu qui pouvait la cacher, puisque le feu éclaire et montre les objets qu'il approche loin de les obscurcir. Ce n'était pas l'air qui la dérobait à notre vue, puisque sa nature subtile et diaphane reçoit toutes les formes des objets visibles et les renvoie aux yeux qui les contemplent. Il nous reste donc à penser que l'eau inondait la surface de la terre, n'en ayant pas encore été séparée pour aller prendre sa place. C'est ce qui rendait la terre non seulement invisible, mais informe : car encore à présent une trop grande abondance d'humide empêche la terre de produire ses fruits. La même cause l'empêchait d'être aperçue et la privait de sa beauté naturelle. En effet, la beauté de la terre est l'ornement qui lui est propre ; sans doute des moissons flottantes dans les vallées, des prés décorés de verdures et émaillés de fleurs diverses, des bois agréables et fleuris, des montagnes dont le sommet est ombragé de forêts immenses, la terre n’avait encore aucun de ces ornements : elle était près de faire éclore de son sein toutes ses productions par la fécondité que Dieu avait mise en elle ; mais elle attendait les temps convenables et les ordres du Seigneur pour produire tous les fruits dont elle portait le germe et le principe.

IV. Les ténèbres, dit l'Ecriture, courraient la face de l'abyme. Certains hommes tournant ces paroles à leur propre sens, ont encore pris De là occasion de débiter des fables et des fictions encore plus impies que celles que nous venons de réfuter. Ils n'expliquent pas naturellement les ténèbres, un certain air non éclairé, ou un lieu ombragé par l'interjection d'un corps, ou en général un lieu privé de lumière par quelque cause que ce soit ; mais ils entendent par ténèbres une puissance mauvaise, ou plutôt le mal lui-même, qui tient l'être de soi, qui est opposé et contraire à la bonté de Dieu. Si Dieu est la lumière, les ténèbres, disent-ils conséquemment à leurs principes, doivent être la puissance qui le combat ; les ténèbres n'ont pas reçu l'être d'un autre, mais elles sont le mal qui s'est donné l'être à lui-même: les ténèbres sont les ennemies des âmes, les auteurs de la mort et le fléau de la vertu. Ils prétendent faussement que les paroles mêmes du Prophète annoncent que les ténèbres existaient sans avoir été créées par Dieu. De là, quels dogmes pervers et impies n'ont pas été forgés? quels loups cruels ne déchirent pas le troupeau de Dieu, s'autorisant d'une simple parole pour s'emparer des âmes? n'est-ce pas De là que viennent les Marcions, les Valentins, et l'hérésie abominable des Manichéens,[12] qu'on peut appeler avec raison. la honte et l'opprobre de l'Eglise? ô homme, pourquoi vous éloignez-vous si fort de la vérité? pourquoi cherchez-vous des sujets pour vous perdre? Les paroles de l'Ecriture sont simples et faciles à comprendre : La terre était invisible, dit-elle. Quelle en était la raison? c'est que l'abyme couvrait sa surface. Et que doit-on entendre par abyme? Une grande quantité d'eau dont le fond n'est pas facile à trouver. Mais nous savons, dira-t-on peut-être, que plusieurs corps paraissent souvent à travers une eau légère et transparente. Comment donc aucune partie de la terre ne se montrait-elle à travers les eaux? c'est qu'elle était enveloppée d'un air obscur et ténébreux. Les rayons du soleil qui pénètrent à travers les eaux, montrent souvent les cailloux qui sont au fond ; mais dans une nuit profonde il est impossible de voir sous l'eau. Ainsi ce qui rendait la terre invisible, c'est que l'abyme dont elle était chargée était obscurci par les ténèbres.

L'abyme n’était donc pas une multitude de puissances contraires, comme quelques-uns l’ont imaginé. Les ténèbres n'étaient pas non plus une puissance principale et mauvaise, opposée à l'être bon. Deux êtres également puissants, opposés l'un à l’autre, se détruiront entièrement l'un l'autre. Ils se causeront réciproquement des peines, et se feront une guerre sans fin. Celui des deux qui aura l'avantage, détruira absolument celui qu'il aura vaincu. Si donc on dit que le mal s'oppose au bien avec une égale puissance, on introduit une guerre continuelle, des défaites perpétuelles, parce que tous deux sont tour à tour vaincus et vainqueurs. Si le bien a l'avantage, qu'est-ce qui empêche que le mal ne soit absolument détruit? Mais si.... Il n'est pas permis de finir. Je suis étonné que des hommes qui se portent à des blasphèmes aussi horribles ne se détestent pas eux-mêmes. On ne peut dire, sans choquer la piété, que le mal tire son origine de Dieu, parce que les contraires ne naissent pas des contraires. La vie n'engendre pas la mort, les ténèbres ne sont pas le principe de la lumière, la maladie n'est pas la cause de la santé: mais dans les changements d'états, on passe d'un contraire à un contraire ; dans les générations, un être ne naît pas d'un être contraire, mais d'un être de même espèce. Mais si l'on ne peut dire que le mal tire son origine de lui-même, ni de Dieu, d'où prend-il donc naissance? car aucuns de ceux qui participent à la vie ne peuvent nier que les maux existent. Que dirons-nous? Le mal n'est pas une créature vivante et animée, mais une disposition de l’âme opposée à la vertu, dans laquelle se trouvent les lâches qui ont abandonné la route du bien.

V. N'examinez donc pas le mal hors de vous, n'imaginez pas une nature qui soit le principe de la perversité; mais que chacun se reconnaisse l'auteur des vices qui sont en lui. Parmi les choses que nous éprouvons, les unes nous arrivent par la nature, telles que la vieillesse et les infirmités ; les autres par hasard, tels que ces événements inattendus, heureux ou malheureux, qui surviennent par des causes étrangères : par exemple, on creuse un puits, on trouve un trésor ; on se rend dans la place publique, on rencontre un chien enragé. D'autres sont en nous: comme dominer les passions, ou ne pas réprimer la volupté; vaincre sa colère, ou se jeter sur celui qui nous irrite; dire la vérité, ou mentir; être doux et modéré par caractère, ou être superbe et insolent. Ne cherchez donc pas hors de vous les principes de choses qui dépendent de vous ; mais sachez que le mal proprement tire son origine de nos chutes volontaires. Si le mal était nécessaire et ne dépendent pas de nous, les lois ne seraient pas aussi attentives à effrayer les coupables, et les châtiments des tribunaux, qui punissent les scélérats comme ils le méritent, ne seraient pas si sévères. Je n'en dirai point davantage sur le mal proprement dit; quant à la pauvreté, à l'infamie, à la maladie, à la mort, et à tout ce qui arrive de fâcheux aux hommes, on ne doit pas les mettre au nombre des maux, puisque nous ne comptons pas parmi les plus grands biens les choses qui leur sont opposées. Parmi ces maux prétendus, les uns viennent de la nature, les autres sont même utiles à ceux auxquels ils arrivent.

Laissant donc pour le moment toute explication métaphorique et allégorique, prenons le mot de ténèbres dans le sens le plus naturel et le plus simple, en suivant l'esprit de l'Ecriture. Des personnes raisonnables demandent si les ténèbres ont été créées avec le monde, si elles sont plus anciennes que la lumière, et pourquoi l'être pire a été fait auparavant. Nous disons donc que les ténèbres ne sont pas par elles-mêmes une substance, mais une certaine disposition de l'air provenant de la privation de lumière. Mais de quelle lumière un endroit du monde s'est-il trouvé tout à coup privé, en sorte que les ténèbres étaient répandues sur les eaux? Faisons réflexion que s'il existait un monde avant ce monde sensible et corruptible, il était sans doute dans la lumière: qu'en effet, ni les puissances angéliques, ni les armées célestes, ni en général les êtres raisonnables et les esprits exécuteurs de la volonté de Dieu, ceux qui ont un nom parmi nous comme ceux qui n’en ont pas, n’étaient dans les ténèbres, mais menaient une vie conforme à leur nature, dans la lumière et dans une joie spirituelle. Ces vérités ne seront contredites par aucun de ceux qui, parmi les promesses des saints, attendent une lumière surnaturelle, cette lumière dont Salomon dit : La lumière est pour les justes à jamais (Prov. 13. 9). Rendant grâces, dit saint Paul, à Dieu le Père, qui nous a rendus dignes d'avoir part à l’héritage des saints, c'est-à-dire, à la lumière (Coloss. I. 12). Si les réprouvés sont envoyés dans les ténèbres extérieures, ceux qui ont fait des actions dignes de la récompense possèdent le repos dans une lumière surnaturelle. Puis donc que, par l’ordre de Dieu, le ciel a enveloppé tout à coup tous les êtres renfermés dans sa circonférence, le ciel, dont le corps sans interruption peut séparer ce qui est hors de lui de ce qui est au-dedans de lui, a laissé nécessairement sans lumière le lieu qui lui était assigné, en le séparant de l'éclat extérieur. Trois choses concourent pour l'ombre : la lumière, le corps, le lieu obscur. Or, les ténèbres du monde vinrent de l'opacité du corps céleste, vous comprendrez ce que je dis par un exemple sensible, sans doute si vous vous environnez en plein midi d'une tente dont la matière soit épaisse et impénétrable et si vous vous renfermez tout à coup dans les ténèbres. Supposez donc que telles étaient les ténèbres d'alors, qui n'existaient pas originairement, mais qui survinrent par l’enveloppe du corps céleste. Il est dit que ces ténèbres couvraient l'abyme, parce que les extrémités de l'air touchent naturellement la superficie des corps, et qu'alors les eaux étaient répandues sur toute la terre. Ainsi les ténèbres couvraient nécessairement l'abyme.

VI. L’esprit de Dieu était porté sur les eaux. Si par esprit l'Ecriture entend l'air répandu sur la terre, croyez que l’écrivain sacré vous expose les parties principales du monde; qu’il vous avertit que Dieu a créé le ciel, la terre, l'eau, et l’air qui était déjà répandu et avait déjà son cours. Mais si par esprit de Dieu on doit entendre l'Esprit-Saint, ce qui est plus vraisemblable et plus conforme aux sentiments des anciens, parce que c’est ordinairement le sens particulier dans lequel l'Ecriture prend cette parole, et que par Esprit de Dieu elle n'entend autre chose que l'Esprit-Saint qui est le complément, de la divine et bienheureuse Trinité; si vous admettez ce sens, vous y trouverez un plus grand fruit. Comment donc l’Esprit-Saint était-il porté sur les eaux? je vais vous donner, non mon explication, mais celle d'un Syrien, qui était aussi vide de la sagesse du monde, que rempli de la science des choses véritables. Il disait donc que la langue syrienne avait plus de force, et que par son rapport avec la langue hébraïque, elle approchait puis du sens des Ecritures; or, que d'après la version syrienne, le passage que nous rendons par était porté sur les eaux, avait ce sens énergique, échauffait et fécondait la nature des eaux, d'après la comparaison d'une volatile qui couve ses œufs, et qui, en les échauffant, leur donne une puissance vitale ; que la parole de l'Ecriture devait être entendue d'après cette idée : l'esprit était porté sur les eaux, c'est-à-dire, préparait la nature des eaux à produire des animaux vivants. Et c'est ce qui prouve ce que plusieurs mettent en question, savoir que l'Esprit-Saint possédait aussi la puissance créatrice.

VII. Et Dieu dit : Que la lumière soit.[13] La première parole de Dieu a créé la lumière, dissipé les ténèbres, écarté la tristesse, réjoui le monde, répandu en un moment sur toute la terre le spectacle le plus doux et le plus gracieux. Le ciel, jusqu'alors enveloppé de ténèbres, s'est découvert et a étalé toutes ces beautés qui frappent encore à présent nos regards. L'air fut éclairé; ou plutôt pénétré tout entier de la lumière mêlée avec sa substance, il en distribua promptement l'éclat de toutes parts jusqu'à ses dernières limites. Il s'éleva en hauteur jusqu'à l'éther[14] et jusqu'au ciel, et en largeur, il éclaira dans un instant rapide toutes les parties du monde, le septentrion et le midi, l'orient et l'occident. Car telle est sa nature légère et diaphane, que la lumière le traverse sans qu'il soit besoin d'aucun espace de temps. Et de même que nos yeux se portent aux objets visibles avec une vitesse extrême : ainsi l'air reçoit les jets de lumière, et les renvoie au loin en tous sens avec plus de promptitude qu'il n'est possible de l'imaginer. Dès que la lumière fut, l’éther devint plus agréable ; l'eau devint plus claire et plus brillante; non seulement elle en recevait la splendeur, mais par la réflexion elle renvoyait cette même splendeur qui s'élançait de toute sa surface. La parole divine a tout changé en un spectacle le plus riant et le plus auguste. Et comme le plongeur, au fond de l'eau, souillant l'huile de sa bouche éclaire tout l'endroit où il est placé;[15] de même le Créateur de l'univers, d’un mot, a introduit sur le champ dans le monde le charme inexprimable de la lumière. Que la lumière soit, dit Dieu (ce commandement était une action) ; et l'on vit briller l'être le plus agréable et le plus utile que l'imagination humaine puisse concevoir. Quand nous parlons dans Dieu de parole et de commandement, ce n'est ni un son envoyé par les organes de la voix, ni un air frappé par la langue ; la parole de Dieu n'est qu'un acte de sa volonté que nous représentons par le terme de commandement pour nous faire mieux entendre de ceux que nous instruisons.

Et Dieu vit que la lumière était belle (Gen. 1. 4). Quelles louanges dirons-nous être dignes de la lumière, lorsqu'elle a pour elle le témoignage du Créateur lui-même? Quant il est question de beauté, la parole cède le jugement aux yeux, parce qu'elle ne peut rien dire qui surpasse le témoignage de la vue. Mais si dans un corps la beauté naît du rapport des parties entre elles et de la couleur qui les embellit, comment peut-elle exister dans la lumière qui est une matière fort subtile,[16] et dont toutes les parties sont de même nature? C'est que dans la lumière le beau est annoncé, non par la régularité des parties, mais par cette douceur qui réjouit toujours l'œil et ne le blesse jamais. C'est ainsi que l’or est beau, non par le rapport des parties entre elles, mais par la couleur seule qui flatte la vue et qui la récrée. L'étoile du soir est le plus beau des astres, non par l'analogie des parties dont elle est composée, mais parce que son éclat frappe les yeux d'une manière satisfaisante. Ajoutons que le jugement de Dieu sur la beauté de la lumière, ne venait pas seulement de ce qu'il voyait qu'elle serait agréable à la vue (car les yeux n'en étaient pas encore les juges); mais de ce qu'il prévoyait quelle serait à l'avenir son utilité.

Et Dieu divisa la lumière des ténèbres, c'est-à-dire, il rendit leur nature incompatible et opposée l'une à l'autre : car rien de plus contraire que la lumière et les ténèbres.

VIII. Et Dieu donna à la lumière le nom de jour et aux ténèbres le nom de nuit. Maintenant, depuis la création du soleil, le jour est l'air éclairé par le soleil qui luit sur l'hémisphère de la terre, et la nuit est l'obscurcissement de la terre, occasionné par le soleil qui se cache. Mais alors le jour se formait et la nuit succédait, non par le cours du soleil, mais par l'effusion de la lumière primitive et par la soustraction de cette même lumière faite par Dieu selon de certaines mesures.[17]

Et du soir et du matin se fit le jour. Le soir est la borne commune qui sépare le jour de la nuit ; le matin est également le voisinage de la nuit et du jour. Afin donc de donner au jour le privilège de l'aînesse, l'Ecriture parle d'abord des limites du jour et ensuite de celles de la nuit, parce que la nuit suivait le jour. Car la constitution du monde, avant la création de la lumière, n’était pas la nuit, mais les ténèbres. Les ténèbres comparées et opposées au jour furent appelées nuit ; ce fut un nouveau nom qui leur fut donné lorsqu'elles vinrent après le jour. Et du soir et du matin se fit le four. L'Ecriture appelle jour, le jour et la nuit pris ensemble, et elle donne à tous les deux le nom du plus excellent. C'est l'usage que l’on trouve dans toute l'Ecriture pour la mesure du temps, de compter les jours seulement, et non les jours avec les nuits. Les jours de mes années, dit le psalmiste (Ps. 89. 10). Tous les jours dé ma vae, dit-il ailleurs (Ps. 22. 6). Les jours de ma vie, dit Jacob, ont été en petit nombre et traversés de maux (Gen. 47. 9). Ainsi ce qui nous a été transmis en forme d'histoire, est une règle pour la suite.

Et du soir et du matin se fit le jour. Pourquoi l'écrivain sacré ne dit-il pas le premier jour, mais le jour. Puisqu'il devait parler du second, du troisième, et du quatrième jour, il eût été plus naturel d'appeler premier le jour qui précédait ceux qui devaient suivre. Mais il a dit le jour, sans doute déterminant la mesure du jour et de la nuit, et réunissant le temps de l'un et de l'autre, lequel temps est formé par vingt quatre heures qui composent l'espace d'un jour. Ainsi, quoiqu'entre un solstice et l'équinoxe, le jour soit plus long que la nuit ou la nuit plus longue que le jour, cependant l'espace de tous les deux est renfermé dans un temps marqué. C'est donc comme si Moïse eût dit : La mesure de vingt quatre heures est l'espace d'un jour ; ou, le mouvement du ciel et son retour au signe d'où il est parti, se font en un jour. Toutes les fois donc que le soir et le matin s’emparent du monde dans la ligne que décrit le soleil, ce court période s'achève dans espace d'un jour. Ou bien donnerons-nous aux paroles de Moïse un sens plus mystérieux, comme étant le plus propre? dirons-nous que Dieu qui a établi la nature du temps, lui a donné pour mesures et pour signes les espaces des jours, et que, le mesurant par la semaine, il ordonne que la semaine revienne sans cesse sur elle-même et compte le mouvement du temps? Il ordonne aussi qu’un jour revenant sept fois sur lui-même compose la semaine. Or c'est la nature du cercle de commencer et de finir par lui-même ; comme c'est le propre de l'éternité de revenir sur elle-même, et de ne s'arrêter à aucun terme. Moïse n'appelle donc pas la tête du temps le premier jour, mais le jour, afin que par ce nom il ait du rapport avec l'éternité. Car ce qui offre le caractère d'une chose unique et incommunicable, a été appelé proprement et justement le jour. Si l'Ecriture nous offre plusieurs éternités ou siècles, si elle dit partout, le siècle du siècle, le siècle des siècles, du moins elle ne nous compte jamais un premier, un second, un troisième siècle ou éternité. Ainsi par là elle distingue plutôt des constitutions diverses et des révolutions, qu'elle ne marque des siècles ou éternités qui finissent et se remplacent. Le jour du Seigneur est grand et illustre, dit l'Ecriture (Job. 2. 11). Pourquoi cherchez-vous le jour du Seigneur, dit-elle encore? ce jour sera pour vous un jour de ténèbres et non de lumière (Amos. 5. 18) ; un jour de ténèbres, sans doute pour ceux qui sont dignes des ténèbres. L'Ecriture connaît ce jour sans soir, sans succession et sans fin, que le psalmiste appelle huitième, parce qu'il est hors du temps hebdomadaire. Jour ou éternité, c'est la même chose. Si c'est le nom de jour qu'on emploie, il est un et non plusieurs ; si c'est celui de l'éternité, elle est unique et non multiple. Afin donc de nous ramener à la vie future, on appelle le jour, ce jour qui est l'image de l'éternité, le premier des jours, qui est aussi ancien que la lumière, qui est le jour du Seigneur,[18] honoré par sa résurrection.

Et du soir et du matin se fit donc le jour... Mais le soir qui survient nous avertit de finir nos réflexions sur le premier soir du monde. Que le père de la lumière véritable, qui a décoré le jour d'une lumière céleste qui a éclairé la nuit par des flambeaux brillants, qui a orné le repos du siècle futur d'une lumière spirituelle et éternelle, éclaire vos cœurs dans la connaissance de la vérité, et conserve votre vie pure et sans tache, en vous faisant la grâce de marcher honnêtement comme dans le jour, afin que vous brilliez comme le soleil dans la splendeur des Saints, pour être ma joie et ma couronne dans le jour de Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 HOMÉLIE TROISIÈME.

et DIEU dit : Que le firmament soit fait.

(Genèse 1. 6)

SOMMAIRE.

 

Homélie prononcée le matin, et formant seule le second jour de la création. Après un préambule où il exhorte ses auditeurs à l'écouter avec attention, dégagés de tous les soins temporels, saint Basile explique ces paroles : Et Dieu dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d’avec les eaux. Il examine d'abord comment Dieu parle et à qui il parle, et il tire de ce passage une preuve des trois personnes qui composent la Trinité. Il examine ensuite si le firmament, auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du premier ciel, et si, en général, il existe deux ou plusieurs cieux ; il soutient l'affirmative pour l'une ou l'autre question, et réfute le sentiment de ceux qui pensaient le contraire. Il montre comment les eaux pourraient tenir sur la voûte du firmament, quand même sa partie concave, ainsi qu'elle nous paraît, serait sphérique, et pourquoi on a donné à ce second ciel le nom de firmament. Immense quantité d'eaux supérieures et inférieures ; servent d'aliment au feu jusqu'à la consommation des siècles. C'est un faux principe que l'orateur développe fort au long. Des écrivains expliquaient d'une manière allégorique les eaux supérieures et inférieures ; saint Basile attaque ces explications, fait voir en quel sens Dieu trouve belles les choses qu'il a faites, et termine son homélie par des réflexions pieuses tirées du sujet.

I. Les ouvrages du premier jour, ou plutôt du jour (car ne lui ôtons pas la dignité qu'il a reçue du Créateur, qui l'a fait à part, et ne l'a pas compte en rang avec les autres), les ouvrages créés en ce jour ont fait le sujet du discours d'hier, que nous avons partagé pour nos auditeurs en deux instructions, dont l'une a alimenté leurs âmes le matin, et l'autre les a réjouies le soir: nous allons passer maintenant aux spectacles du second jour. Je parle ainsi en faisant attention, non aux talents de l'orateur, mais à la beauté des Ecritures qui sont naturellement propres à être reçues avec plaisir, à flatter et à gagner les cœurs de ceux qui préfèrent la simple vérité à toute la pompe de l'éloquence humaine. Le psalmiste voulant présenter avec force cette douceur et cet agrément de la vérité, s'exprime ainsi : Que vos paroles sont agréables à ma bouche ! leur douceur l’emporte sur celle du miel. Hier donc, autant qu'il était possible, nous avons réjoui vos âmes en les occupant des paroles de Dieu ; nous nous sommes rassemblés aujourd'hui, un second jour, pour contempler le spectacle qu'offrent les ouvrages du second jour. Je n'ignore pas que la plupart de ceux qui m’écoutent sont appliqués à des arts mécaniques, et livrés à des travaux dont ils tirent leur subsistance journalière. Je suis obligé, à cause d'eux, d'abréger mon instruction, pour qu'ils ne soient pas éloignés trop longtemps de leur travail. Que leur dirai-je? sans doute que la partie du temps qu'ils prêtent à Dieu n'est point perdue, mais leur est rendue avec un ample intérêt. Le Seigneur écartera tous les accidents qui peuvent être un obstacle à leurs occupations ; il récompensera ceux qui préfèrent à tout les choses spirituelles, par la force du corps, par l'ardeur de l'esprit, par un succès facile dans les affaires, et par la prospérité dans tout le cours de la vie. Mais quand même ici bas vous ne réussiriez point selon vos espérances, la doctrine de l’Esprit-Saint est du moins un trésor pour le siècle futur. Bannissez donc de vos cœurs tout soin de la vie, et donnez-moi votre attention toute entière. Car à quoi me servirait que vos corps fussent présents, si vos cœurs étaient occupés d'un trésor terrestre?

II. Et Dieu dit: Que le firmament soit fait au milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Nous avons déjà entendu hier ces paroles de Dieu: Que la lumière soit ; et aujourd'hui : Que le firmament soit fait. Les paroles présentes disent quelque chose de plus ; sans s'arrêter à un simple ordre, elles expliquent la cause pour laquelle Dieu a voulu créer le firmament. Afin, dit Moïse, qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Examinons d'abord comment est-ce que Dieu parle. D'après notre manière, les images des choses se gravent-elles dans son esprit? et quand il a conçu des idées, les énonce-t-il en se servant des expressions les plus propres et les plus convenables à chacune? après quoi, livrant ses pensées au ministère des organes de la voix, et frappant l'air par un mouvement articulé de la langue, manifeste-t-il ainsi ses conceptions? Mais ne serait-ce pas une fiction absurde de prétendre que Dieu a besoin de tout ce circuit pour énoncer ses idées et ses sentiments? N'est-il pas plus conforme à la piété de dire que la parole dans Dieu est l'acte de sa volonté et la première impulsion de son désir? L'Ecriture nous le représente employant des paroles, afin de montrer qu'il n'a pas seulement voulu tirer du néant les êtres divers, mais leur donner l'existence par le ministère d'un coopérateur.[19] Elle pouvait, cette divine Ecriture, s'exprimer partout comme elle a fait d'abord: Au commencement Dieu créa; elle pouvait dire, il fit la lumière, il fit le firmament : mais introduisant Dieu qui ordonne et qui parle, elle indique tacitement quelqu'un auquel il ordonne et avec lequel il parle. Elle ne nous envie pas la connaissance de la vérité; mais enflammant notre ardeur pour la connaître, elle nous montre les traces et les indices d'un mystère vénérable.[20] Ce qu'on acquiert par du travail est reçu avec plaisir et conservé avec soin; au lieu qu'on méprise la possession des choses dont l'acquisition est trop facile. C'est donc par un certain chemin et par un certain ordre que Dieu nous conduit à la connaissance de son Fils unique. Toutefois, même dans ce cas, une nature incorporelle n'avait pas besoin de l'organe de la voix, puisque ces pensées pouvaient se communiquer par elles-mêmes à son coopérateur. Quel besoin ont de la parole des êtres qui peuvent se communiquer leurs volontés par la pensée même? La voix est pour l'ouïe et l'ouïe pour la voix. Où il n'y a ni air, ni langue, ni oreille, ni conduit tortueux qui porte les sons aux sens placés dans la tête, il n'est pas besoin de paroles; la communication de la volonté se fait, pour ainsi dire, par les seules pensées de l’âme. Je le répète donc, c'est pour exciter notre esprit à examiner la personne à laquelle s'adressent les discours, que l'Ecriture s'est servie avec art et avec sagesse de cette manière de parler.

III. Il faut examiner en second lieu si le firmament, auquel on a aussi donné le nom de ciel, est différent du ciel créé d'abord, et si en général il existe deux cieux. Les savants qui ont raisonné sur le ciel consentiraient plutôt à perdre leur langue qu'à admettre ces deux cieux. Ils prétendent qu'il n'y a qu'un ciel, et que sa nature ne permet pas qu'il y en ait un second, un troisième, ou davantage, toute la substance du corps céleste ayant été épuisée à la formation d'un seul, comme ils le pensent. Ils disent qu'un corps qui se meut en cercle est unique, que cet ouvrage a été consommé, et que tout ayant été employé pour un premier ciel, il ne reste plus rien pour un second ou pour un troisième. Voilà ce que forgent ces hommes qui fournissent à l'Ouvrier suprême une matière éternelle, et qui, de cette première fiction fausse, sont conduits à un mensonge lié avec elle par un rapport naturel. Pour nous, nous demandons aux sages de la Grèce de ne point se rire de nous avant que de s'être conciliés ensemble. Parmi eux, il en est qui supposent des cieux[21] et des mondes à l'infini. C'est lorsque cette opinion aura été attaquée et détruite comme absurde par les philosophes qui emploient les preuves les plus imposantes, qui prétendent établir, par des démonstrations géométriques, qu'il est contraire à la nature qu'il y ait plus d'un monde; c'est alors que nous nous moquerons davantage des inepties mathématiques et savantes de ces philosophes, si, voyant que, par une seule et même cause, des bulles se forment sur l'eau en grand nombre, ils cloutent après cela que la puissance créatrice ait pu donner l'être à plusieurs mondes; ces mondes dont la force et la grandeur ne diffèrent guère de ces gouttes d'eau qui s'enflent sur la surface des fontaines, si on les compare à la puissance infinie de Dieu. Ainsi leur raison d'impossibilité est ridicule. Pour nous sommes si éloignés de ne pas croire un second ciel, que nous en cherchons même un troisième, celui que le bienheureux Paul a eu l’avantage de contempler. En nommant les cieux des cieux, le psalmiste nous annonce qu'il en existe plusieurs. Les cieux ne sont pas plus extraordinaires que les sept cercles que parcourent les sept planètes, d'après le sentiment de presque tous les philosophes.[22] Ces cercles, disent-ils, sont les uns dans les autres, comme ces barils que nous voyons emboîtés ensemble. Ils ajoutent que ces cercles emportés par un mouvement contraire au mouvement général, rendent, en traversant l'éther, un son agréable et mélodieux, supérieure à la plus belle musique. Lorsqu'on leur demande d'appuyer leur assertion par le témoignage des sens, que répondent-ils? ils disent qu'accoutumés à ce son dès notre naissance, une longue et continuelle habitude nous en a ôté le sentiment. Ainsi, dans les boutiques des forgerons, ceux dont les oreilles sont continuellement frappées, n'entendent plus rien. Réfuter de pareilles rêveries, dont la futilité se montre évidemment au premier coup d'œil, ce ne serait ni savoir ménager le temps, ni compter assez sur l'intelligence de ses auditeurs.

Mais laissant aux infidèles les erreurs des infidèles, revenons à l'explication de l'Écriture. Quelques-uns de nos prédécesseurs ont prétendu que ce n'était pas la création d'un second ciel, mais le développement du premier: qu’il était parlé d'abord en général de la création du ciel et de la terre; mais qu’ici l'Ecriture explique la manière plus particulière dont chaque chose a été faite. Pour nous, nous pensons que l’Écriture parlant d'un second ciel dont le nom est différent et l'usage particulier, ce ciel diffère de celui qui a été créé d'abord; qu'il est d'une substance plus ferme, et d'un usage spécial dans l'univers.

IV. Et Dieu dit: Que le firmament soit fait, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Et Dieu fit le firmament; il divisa les eaux qui étaient sous le firmament d'avec celles qui étaient au-dessus du firmament. Avant de chercher le sens de ces paroles, tâchons de détruire les objections qui nous sont faites. On nous demande comment, s'il est vrai que le corps du firmament soit sphérique, ainsi qu'il le paraît à la vue, et si l'eau est de nature à s'échapper et à se répandre d'un lieu élevé; on nous demande comment les eaux ont pu se tenir sur une surface convexe. Que dirons-nous à cela? Quoique dans sa partie concave un objet nous paraisse d'une exacte rondeur, ce n'est; pas une raison pour que sa partie convexe soit sphérique et se prolonge dans une ligne parfaitement circulaire. Par exemple, les bains et autres édifices pareils, quoiqu'arrondis en arcs au-dedans, nous offrent souvent au-dehors une surface plane et unie. Ainsi, qu'on ne se fasse pas à soi-même et qu'on ne nous fasse pas de difficultés, comme si l'eau ne pouvait tenir sur la partie élevée du firmament, dont nous allons examiner la nature, et pourquoi il est placé entre les eaux.

L'Ecriture, comme on le voit par divers passages,[23] a coutume d'appeler firmament ce qui a une force et une solidité particulière. Les philosophes païens eux-mêmes appellent corps ferme, un corps plein et solide, pour le distinguer du corps mathématique. Le corps mathématique est celui qui n'existe que par des dimensions en longueur, largeur et profondeur. Le corps ferme est celui qui, outre ces dimensions, a encore de la résistance. L'Ecriture appelle firmament, tout ce qui est fort et inflexible : elle se sert même de ce mot pour exprimer un air extrêmement condensé. C’est moi qui affermis le tonnerre, dit-elle (Amos. 4. 13). Elle appelle affermissement du tonnerre, la ferme résistance de l'air enfermé dans les nues, qui fait longtemps effort, et qui éclate enfin avec un bruit horrible. De même ici nous pensons que le mot firmament est employé pour exprimer une substance ferme et solide, laquelle est en état de retenir l'eau qui s'échappe et se répand aisément. N'allons pas croire néanmoins, parce que le firmament, selon l'acception commune, paraît tirer son origine de l'eau, qu'il ait quelque rapport ou avec l'eau gelée, ou avec quelque autre matière semblable, dont le principe est une eau filtrée, tel que le cristal, qui provient de la plus excellente des congélations ; ou cette pierre diaphane[24] qui se forme dans les mines, et dont la transparence approche de celle de l'air le plus pur, lorsque dans toute sa largeur et toute sa profondeur elle n'offre aucune tache ni aucune fente. Le firmament ne ressemble à aucune de ces matières. Il y a de la simplicité et de la puérilité à se faire de pareilles idées des corps célestes. Et parce que tous les éléments se trouvent partout, que le feu est dans la terre, l’air dans l'eau, et ainsi des autres; parce qu'aucun des éléments qui tombent sous nos sens n'est pur, qu'il est toujours mêlé avec l'élément dont il est l'ami ou l'ennemi, ne nous imaginons pas non plus à cause de cela que le firmament soit un des éléments simples ou un mélange de plusieurs. Nous apprenons de l'Ecriture à ne point permettre à notre imagination de se figurer autre chose que ce que les Livres saints rapportent. N'oublions pas de remarquer qu’après que Dieu a donné cet ordre : Que le firmament soit, il n’est pas dit simplement et le firmament fut; mais, et Dieu fit le firmament ; ensuite, et Dieu divisa. Ecoutez, sourds, et vous, aveugles, levez les yeux. Et quel est le sourd, sinon celui qui n'entend pas l'Esprit-Saint qui crie d'une voix si éclatante? quel est l'aveugle? celui, sans doute, qui n'aperçoit pas des preuves si sensibles du Fils unique de Dieu. Que le firmament soit; c'est la voix qu'adresse à son Fils le principal Auteur de l'univers. Dieu fit le firmament ; c'est le témoignage d'une puissance effectrice et créatrice.[25]

V. Mais revenons à la suite de notre explication : Afin qu’il divise les eaux d'avec les eaux. Il y avait, ce semble, une immense quantité d'eaux, et elles n’étaient dans aucune proportion avec les autres éléments, puisqu'elles inondaient de toutes parts la terre, et qu'elles étaient suspendues au-dessus d'elle. C'est pour cela qu'il est dit auparavant, que l'abyme enveloppait de tous côtés la terre. Nous donnerons tout à l'heure la raison de cette immense quantité d'eau. Aucun de ceux qui ont le plus exercé leur esprit, et qui connaissent le mieux ce monde corruptible et passager n'attaquera notre opinion comme supposant des choses impossibles ou imaginaires ; il ne nous demandera pas sur quoi pose l'élément de l'eau. Car par la raison qu'ils retirent des extrémités la terre plus pesante que l'eau, et qu'ils la suspendent au milieu du monde, par cette même raison, dis-je, ils accorderont que cette eau abondante, qui par sa nature se porte en bas et qui pèse en tout sens, s'arrête et repose sur la terre. Les eaux inondaient de toutes parts la terre ; extrêmement abondantes, elles n’avaient aucune proportion avec elle, mais étaient infiniment plus étendues. Le souverain Ouvrier, dès le commencement, prévoyait l'avenir, et avait ainsi disposé les choses pour la suite. A quelle fin donc les eaux étaient-elles en plus grande quantité qu'on ne peut dire? Comme l'élément du feu est nécessaire au monde, non seulement pour les besoins terrestres, mais encore pour le complément de l'univers, qui manquerait d'une partie essentielle, s'il manquait de l'élément le plus important de tous et le plus utile ; comme l'eau et le feu sont ennemis et opposés, et que l'un tend à détruire l'autre, le feu, lorsqu'il l'emporte par la puissance ; l'eau, lors qu’elle domine par l'abondance : comme il ne fallait pas qu'ils fussent en guerre ensemble, et que le défaut absolu de l’un des deux occasionnât la ruine de l'univers, l'Ordonnateur suprême a tellement multiplié les eaux, que, consumées peu à peu par la puissance du feu, elles pussent néanmoins résister jusqu'au temps marqué pour la fin du monde.[26] Celui qui dispose tout avec poids et mesure, et qui, comme dit Job, nombre jusqu'aux gouttes de la pluie (Job. 36. 27), savait quel temps il a marqué pour la durée du monde, et combien il fallait d'aliment au feu. Voilà pourquoi l’eau a tellement abondé dans la création. Au reste, il n'est personne assez étranger à la société, pour qu'il faille lui apprendre combien le feu est essentiel au monde, non seulement les arts nécessaires à la vie, tels que l’agriculture, l'architecture et les autres, ont besoin de la vertu du feu ; mais ni les arbres ne peuvent fleurir, ni les fruits mûrir, ni les animaux terrestres ou aquatiques naître et se nourrir depuis le commencement jusqu'à la fin, sans la chaleur du feu. La chaleur du feu est donc nécessaire pour la naissance et la durée des êtres ; l'abondance des eaux est nécessaire, parce que le feu consume sans cesse et sans relâche. Considérez toutes les choses créées, et vous verrez que la puissance du feu domine dans tous les êtres qui s'engendrent et qui se corrompent.

VI. C'est pour cela que beaucoup d'eau est répandue sur la terre, sans parler de celle que nous ne voyons pas et qui est suspendue, ni de celle qui est cachée au plus profond de ses entrailles. De là cette grande multitude de fontaines, de puits, de torrents et de fleuves, en un mot cette foule de réservoirs différents qui retiennent les eaux dans leur enceinte. Du côté de l'orient, des régions du tropique, coule l'Indus, le plus grand de tous les fleuves, au rapport de ceux qui ont fait la description du circuit de la terre. Du milieu de l'orient coulent encore le Bactre, le Choaspe et l'Araxe, d'où l'on voit sortir le Tanaïs qui va se décharger dans le Palus-Méotide. Ajoutez le Phase qui descend des monts Caucases, et une infinité d'autres qui, des contrées septentrionales vont se jeter dans le Pont-Euxin. Vers l'occident d'été, au pied des monts Pyrénées, jaillissent le Tartèse et l’Ister,[27] dont l'un se porte dans la mer qui est au-delà des colonnes d'Hercule ; l’Ister traverse l'Europe, et va se perdre dans le Pont. Qu'est-il besoin de détailler les autres fleuves qu'engendrent les monts Riphées, au fond de la Scythie, parmi lesquels est le Rhône, et un nombre infini d'autres fleuves qui portent tous vaisseaux, et qui, après avoir côtoyé les pays des Galates, des Celtes et des Barbares voisins, vont tous se perdre dans la mer occidentale? D'autres qui partent des régions supérieures du midi, après avoir traversé l'Ethiopie, se déchargent, les uns dans la Méditerranée, les autres dans l'Océan ; tels que l’Egon, le Nysès, celui qui est appelé Chremetès ; et outre cela, le Nil, qui ne ressemble pas aux autres fleuves, lorsqu’il inonde l'Egypte comme une vaste mer. Ainsi la terre que nous habitons est environnée d'eaux, enchaînée par des mers immenses, traversée par des fleuves qui ne tarissent jamais, grâce à la sagesse admirable du Tout-Puissant qui abandonne au feu un élément ennemi, assez abondant pour qu'il ne puisse pas facilement l'épuiser. Il viendra un temps où tout sera consumé par le feu, comme dit Isaïe en s'adressant au Créateur de l'univers : Vous qui dites à l’abyme : Tu seras désolé, et je dessécherai tes fleuves.

Ainsi, renonçant à une folle sagesse, recevez avec nous la doctrine de la vérité, dont les paroles sont simples, mais dont la connaissance est ferme et immuable.

VII. Voilà pourquoi nous lisons : Que le firmament soit au milieu des eaux, afin qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Nous avons déjà dit ce qu'entend l'Ecriture par le nom de firmament. Elle n'entend pas une substance ferme et solide, qui ait du poids et de la résistance ; autrement la terre aurait reçu plus proprement ce nom : mais elle se sert du nom de firmament par comparaison, à cause des êtres qui sont au-dessus, dont la nature légère et déliée ne peut être saisie par aucun de nos sens. Imaginez-vous un lieu qui ait la faculté de filtrer les eaux, qui élève dans la région supérieure la partie filtrée qui est la plus légère, et précipite en bas la partie terrestre qui est la plus grossière ; afin que l'humide étant peu à peu dissipé, la même température subsiste sans interruption. Si vous avez peine à croire la grande abondance des, eaux, considérez la quantité du feu, qui, quoique beaucoup, moins abondant, est capable par sa puissance de consumer tout l'humide. Il attire, il est vrai, l’humide qui est autour de lui, comme le prouve la cucurbite ; mais il consume ce qu'il attire, comme le feu de la lampe, qui, après avoir attiré l'huile qui lui sert d'aliment, la change bientôt et la dissipe en fumée.[28] Qui est-ce qui doute que l'éther ne soit tout de feu et enflammé, s'il n’était contenu par les bornes puissantes que lui a marquées le Créateur, qui l'empêcherait de tout embraser de proche en proche, et d'épuiser en même temps toute l'humidité des êtres? De là cette immensité d’eau suspendue dans l'air lorsque la région supérieure est obscurcie par les vapeurs qu'envoient les fleuves, les fontaines, les marais, et toutes les mers, de peur que l'éther enflammé ne dévore tout. Ne voyons-nous pas dans l’été le soleil lui-même laisser en très peu de temps à sec et sans humidité un pays ordinairement couvert d'eau et de fange? Qu'est donc devenue cette eau? que nos habiles physiciens le montrent. N'est-il pas clair que la chaleur du soleil l'a convertie en vapeurs et l’a dissipée?

Ils disent, ces physiciens (car que ne se permettent-ils pas de dire?), que le soleil n'est pas chaud. Et voyez sur quelle preuve ils s'appuient pour combattre l’évidence. Comme sa couleur est blanche, disent-ils, qu'il n'est ni rouge ni blond, conséquemment il n'est pas de feu par sa nature, mais sa chaleur vient d'un mouvement fort rapide. Qu'infèrent-ils de là? croient-ils que le soleil ne consume aucune humidité? Quoique leur assertion soit fausse, je ne la rejette pas néanmoins, parce qu'elle s'accorde avec mon opinion. Je disais que la grande quantité d'eau est nécessaire, parce que le feu en consume beaucoup. Or, que le soleil ne soit pas chaud par sa nature, mais qu'il reçoive d'une certaine disposition sa chaleur inflammable, cela empêche-t-il qu'il ne produise les mêmes accidents sur les mêmes matières? Que les bois frottés les uns contre les autres donnent le feu et la flamme, ou qu'ils soient embrasés par une flamme allumée, il résulte toujours le même effet de l'une et l'autre cause. Au reste, nous voyons la grande sagesse de celui qui gouverne l'univers, en ce qu'il fait passer le soleil d'un point à un autre, de crainte que s'arrêtant au même endroit, il ne ruine l'économie du monde par un excès de chaleur. Ainsi, tantôt vers le solstice d'hiver, il le transporte à la partie australe, tantôt il le fait passer aux signes équinoxiaux, et de là, vers le solstice d'été, il le ramène aux plages septentrionales en sorte que, par ces passages insensibles, les contrées de la terre conservent une température favorable. Mais que les physiciens voient s'ils ne se contredisent pas eux-mêmes, eux qui conviennent que la mer reçoit moins de fleuves parce que le soleil consume beaucoup d'eau, et de plus que la partie amère et salée reste, parce que la chaleur enlève la partie légère et potable : ce qui arrive surtout par la séparation qu'opère le soleil, qui enlève ce qu'il y a de plus léger, et qui laisse, comme une espèce de lie et de fange, ce qui est grossier et terrestre ; d'où vient le salé et le desséchant des eaux de la mer. Eux qui parlent ainsi de la mer changent de sentiment, et prétendent que le soleil ne produit aucune diminution de l'humide.[29]

VIII. Et Dieu donna au firmament le nom de ciel ; nom qui convenait proprement à une autre substance, et qui était donné à celle-ci par la ressemblance qu'elle avait avec l'autre. Nous observons dans plusieurs endroits de l'Ecriture, qu'on appelle ciel cette continuité d'air épais qui s'offre à nos yeux, et que c'est parce qu'il frappe visiblement nos regards qu'il reçoit ce nom.[30]

Ainsi nous lisons dans les psaumes : Les oiseaux du ciel (Ps. 8. 9) ; et ailleurs ; Les oiseaux qui volent dans le firmament du ciel (Gen. 1. 20). Tel est encore ce passage : Ils montent jusqu'aux deux (Ps. 106. 26). Moïse bénissant la tribu de Joseph, lui promet les fruits du ciel et de la rosée (Deut. 33. 13), les fruits nés de la vertu du soleil et de la lune, les fruits qui croissent sur le sommet des montagnes et sur les collines éternelles, la terre étant fertile par l'heureux concours de ces influences. Dans les malédictions qu'il adressé à Israël, il dit : Le ciel qui est au-dessus de votre tête sera pour vous d’airain (Deut. 28. 23). Qu'entend-il par là? sans doute cette sécheresse universelle et ce défaut d'eaux aériennes qui font naître et croître les fruits de la terre. Lors donc que l'Ecriture dit que la rosée de la pluie tombe du ciel, nous devons l'entendre des eaux qui occupent les régions supérieures, les vapeurs élevées de la terre se rassemblant en haut, et l'air étant condensé par la compression des vents, lorsque ces exhalaisons humides, qui, déliées et légères, étaient dispersées dans la nue, viennent à se réunir, elles deviennent des gouttes qui, par le poids qu'elles acquièrent, se portent en bas : et c'est là l’origine de la pluie. Lorsque ces mêmes eaux, coupées par la violence des vents, se réduisent en écumes, et, qu'extrêmement refroidies, elles se gèlent toutes entières, alors rompant la nue, elles tombent sur la terre en neige. En général, nous pouvons, par la même raison, distinguer toutes les eaux suspendues dans l'air au-dessus de notre tête.

Mais que personne ne compare la simplicité des discours spirituels avec le faste, des philosophes qui ont raisonné sur le ciel Autant la beauté d’une femme sage est supérieure à celle d'une courtisane, autant nos discours l'emportent sur ceux des païens. Ceux-ci cherchent à ravir les suffrages par la beauté des paroles; nous, nous ne présentons que la vérité nue sans aucun artifice. Pourquoi nous fatiguer à réfuter leurs mensonges lorsqu’il nous suffit d'opposer leurs écrits les uns aux autres, et de regarder tranquillement la guerre qu'ils se font? En effet, ils ne sont inférieurs, ni en nombre, ni en mérite, mais ils combattent avec tout l'avantage de l'éloquence les raisons qui leur sont contraires, ceux qui disent que l'univers est embrasé, et qu'il revit[31] des semences qui restent dans les êtres consumés par le feu. D'où ils admettent une infinité de destructions et de régénérations du monde. Mais tous les infidèles s'éloignent également de la vérité, quoiqu'ils cherchent de toutes parts des raisons pour défendre leurs erreurs.

IX. Il nous faut ici répondre à quelques écrivains ecclésiastiques[32] sur la séparation des eaux. Sous prétexte de trouver dans l'Ecriture des sens plus relevés, recourant aux allégories, ils disent que les eaux signifient métaphoriquement des puissances spirituelles et incorporelles ; que les meilleures de ces puissances sont restées en haut dans le firmament; que celles qui sont mauvaises ont été jetées en bas dans des lieux grossiers et terrestres. C'est pour cela, disent-il, que les eaux qui sont au-dessus des cieux louent le Seigneur ; c'est-à-dire, que les puissances bonnes, qui, par leur pureté, sont dignes de tenir le premier rang, payent au Créateur un tribut convenable de louanges ; que les eaux placées au-dessous des cieux sont des esprits mauvais, qui sont tombés de leur nature sublime dans l’abyme de la méchanceté ; que, comme ils sont turbulents, séditieux, agités par le tumulte des passions, ils sont nommés mer à cause de la variation et de l'inconstance des mouvements de leur volonté. Rejetant de pareils discours comme des songes frivoles et des fables absurdes, par les eaux entendons les eaux, et croyons que la séparation en a été faite par le firmament pour la raison que j'ai dite. Que si les eaux placées au-dessus des cieux sont chargées quelquefois de glorifier le souverain Maître de l'univers, ne leur donnons pas à cause de cela une nature raisonnable. Car les cieux ne sont pas des êtres animés, parce qu'ils racontent la gloire de Dieu (Ps. 18. 1), et le firmament n'est pas un animal qui ait du sentiment, parce qu'il annonce l'ouvrage de ses mains. Si l'on dit que les cieux sont des puissances contemplatives, et le firmament des puissances actives, occupées à faire ce qui convient, ce sont là de magnifiques discours, mais qui ne sont pas appuyés sur la vérité. Car alors la rosée, les frimas, le froid et la chaleur seraient des êtres spirituels et invisibles ; parce que, dans le Prophète Daniel, ils reçoivent l'ordre de célébrer le grand Ouvrier du monde (Dan. 3. 64). Mais c'est le rapport d'utilité de ces êtres considéré par des créatures raisonnables, qui constitue la louange adressée au Créateur, non seulement les eaux placées au-dessus des cieux chantent une hymne au Seigneur, comme méritant une distinction par l'excellence de leur vertu; mais, dit le psalmiste: Louez le Seigneur, vous qui êtes sur la terre, dragons et tous les abymes (Ps. 148, 7). Ainsi cet abyme auquel ceux qui usent d'allégories accordent une si mauvaise part, n'a pas été jugé par David digne d'être rejeté, par David qui l'admet dans le chœur de toutes les créatures, et qui le charge de chanter avec elles l'hymne au Créateur suivant le langage qui lui est propre.

X. Et Dieu vit que cela était beau. Ce n'est point par les yeux que Dieu juge de la beauté des choses qu'il a faites, il ne se forme pas du beau la même idée que nous ; mais il regarde comme beau ce qui est fait suivant toutes les règles de l'art, et ce qui concourt à une fin utile. Celui donc qui s'est proposé dans la création un but bien marqué, examine d'après ses principes les diverses parties à mesure qu’il les crée, et il les approuve comme remplissant parfaitement leur fin. Une main seule, un œil isolé, en un mot tous membres séparés d'une statue, ne sauraient paraître beaux à tout le monde : mais lorsqu'ils sont rangés à leur place, alors cette belle harmonie, qui se montrait à peine aux plus habiles, est aperçue des plus ignorants. Un artiste voit la beauté des membres avant qu'ils soient rapprochés, parce que sa pensée le reporte à leur fin. C'est ainsi que l'Ouvrier suprême nous est représenté louant chacun de ses ouvrages, lui qui doit accorder bientôt au monde entier achevé les louanges qui lui conviennent.

Mais finissons ici notre instruction sur le second jour. Laissons aux auditeurs attentifs le temps d'examiner ce qu'ils ont entendu, en sorte qu'ils gravent dans leur mémoire les réflexions utiles, et que par une méditation sérieuse, comme par une espèce de digestion, ils puissent les convertir en leur substance. Quant à ceux qui sont trop occupés des soins de la vie, procurons-leur la facilité de s'affranchir de ces soins dans l'intervalle, et de se présenter au festin spirituel du soir avec un esprit dégagé de toute inquiétude. Que le Dieu qui a fait de grandes choses, et qui m’a inspiré les faibles paroles dont j'ai alimenté vos âmes, vous donne en tout l'intelligence de sa vérité, afin que, par les choses visibles, vous connaissiez l'invisible, et que par la grandeur et la beauté des créatures, vous preniez une idée juste du Créateur. Ce qu'il y a d'invisible en Dieu, dit saint Paul, est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses ouvrages nous en donnent ; lesquels ouvrages nous découvrent sa puissance éternelle et sa divinité (Rom. I. 20). Ainsi la terre, l'air, le ciel, les eaux, le jour, la nuit, tous les objets visibles nous manifestent et nous rappellent l'idée de notre bienfaiteur. Nous ne fournirons pas d'occasion au péché, nous ne laisserons pas de place dans nos cœurs à notre ennemi, si, par un souvenir continuel, nous faisons habiter en nous le Dieu à qui appartiennent la gloire et l'adoration, maintenant et toujours dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE QUATRIÈME.

sur l'assemblage des eaux.

SOMMAIRE.

 

Cette homélie, prononcée le soir, forme avec la suivante le troisième jour de la création. Elle débute par un préambule où l'orateur compare les spectacles des jeux profanes avec les spectacles magnifiques de la nature. Il explique comment les eaux inférieures se sont retirées de dessus la terre qu'elles couvraient, pour se rassembler dans un même lieu. Mais comment les eaux étaient-elles arrêtées sur la terre, puisqu'elles sont naturellement fluides, ou comment dit-on qu'elles ont été rassemblées en un même lieu, puisqu'il y a plusieurs mers? St. Basile répond, 1° que les eaux ont reçu la faculté de courir lorsqu'elles en ont reçu l'ordre ; 2° que l'Ecriture parle du plus grand assemblage dès eaux, et non des assemblages secondaires. Après une énumération des diverses mers et lacs, il se demande pourquoi Moïse appelle la terre élément aride. Il montre que l'aridité est la qualité propre de la terre, comme la chaleur l'est du feu, la froideur de l'eau, l'humidité de l'air. Explication très ingénieuse de la manière dont les éléments se rapprochent ; exposition noble et détaillée du sens dans lequel la mer parut belle aux yeux de Dieu, et conclusion de l'homélie.

I. Il est des villes qui durant tout le jour repaissent leurs yeux des divers spectacles que leur offrent les bateleurs ; elles ne se lassent pas d'entendre des chants obscènes et dissolus, des chants qui corrompent les âmes et leur inspirent une coupable licence. Plusieurs trouvent heureux les habitants de ces villes, parce qu'abandonnant le commerce de la place publique et le soin des arts nécessaires à la vie, ils passent tout leur temps dans les seules agitations du plaisir. Ils ne sentent pas que le théâtre, qui offre une foule de spectacles déshonnêtes, est une école publique libertinage ; que toute cette musique enchanteresse, que ces chants des courtisanes, se gravent profondément dans l'esprit de ceux qui les écoutent, qu'ils ne font que les porter à se conduire avec indécence, à imiter tous les mouvements de vils histrions et de musiciens méprisables. Quelques-uns qui ont la manie des chevaux, combattent pour cet objet, même durant leur sommeil ; ils changent de cochers et de chars ; en un mot, ils rêvent encore pendant la nuit aux folies qui les occupent le jour. Pour nous que le Seigneur, que le souverain Ouvrier, le grand Opérateur de prodiges, appelle pour nous faire admirer la beauté de ses œuvres, nous lasserons-nous de ce spectacle? nous fatiguerons-nous à entendre les paroles de l'Esprit-Saint? environnés des grands et divers ouvrages sortis des mains divines, ne nous transporterons-nous point par la pensée dans les premiers temps pour être spectateurs de la merveilleuse ordonnance de l'univers? ne contemplerons-nous pas le ciel disposé comme une voûte, selon le langage du Prophète (Is. 40, 20) ; la terre qui, malgré son étendue immense et sa pesanteur, est appuyée sur elle-même ; l'air répandu autour d'elle, qui, humide et onctueux par sa nature, fournit sans cesse un aliment propre à ceux qui le respirent, dont la substance déliée cède et s'ouvre aisément aux corps qui se meuvent, ne présente aucun obstacle aux êtres qui le traversent, se retire devant eux et coule à leurs côtés pour leur livrer un passage facile? Vous verrez dans ce qu'on vient de vous lire la nature de l'eau, tant de celle que nous buvons que de celle qui sert à nos autres besoins : vous verrez comment elle se rassemble avec ordre dans les lieux qui lui sont destinés.

II. Et Dieu dit : Que l’eau qui est sous le ciel se rassemble en un même lieu, et que l’élément aride paraisse. Et cela se fit ainsi: l’eau qui était sous le ciel fut rassemblée dans les lieux qui lui étaient propres ; et l’élément aride parut. Dieu appela terre l’élément aride, et donna le nom de mers aux amas des eaux. Que d'embarras ne m'avez-vous pas donnés dans ce qui précède en me demandant pourquoi la terre était invisible, tandis que tous les corps sont naturellement empreints d'une couleur, et que toute couleur est sensible aux yeux? Nous vous disions alors, mais cette réponse ne vous paraissait peut-être pas suffisante, que la terre était invisible par rapport à nous, et non par sa nature, parce qu'elle était couverte d'un amas d'eaux qui la cachaient toute entière. Ecoutez maintenant l'Ecriture qui s'explique elle-même : Que les eaux se rassemblent, et que l'élément aride paraisse. Les voiles sont retirés, afin que la terre qu'on ne voyait pas devienne visible. On demandera peut-être encore pourquoi ce qui est naturel à l'eau, d'être portée en bas, les livres saints l'attribuent à un ordre du Créateur. Tant que les eaux se trouvent sur une surface égale, elles restent immobiles, parce qu'elles n'ont pas où couler : lorsqu'elles rencontrent une pente, aussitôt les premiers flots prennent leur course suivis par d'autres qui viennent occuper leur place, et ainsi de suite sans interruption. Le premier flot s'avance toujours poussé par celui qui est postérieur ; et le cours est d'autant plus rapide que les eaux qui coulent sont plus pesantes, et que le lieu où elles se portent est plus incliné. Si donc telle est la nature des eaux, il était inutile de leur donner l'ordre de se rassembler dans un même lieu, puisqu'elles devaient absolument se porter d'elles-mêmes vers le lieu le plus bas, et ne s'arrêter que lorsqu'elles seraient toutes de niveau: car il n'est point de plaine aussi unie que l'est la surface d'une eau tranquille. On fait une autre objection ; on demande comment les eaux ont reçu l'ordre de se rassembler dans un même lieu, lorsqu'il y a visiblement plusieurs mers très distinguées les uns des autres par leur position.

A la première question qui nous est faite, voici ce que nous répondons. Sans doute, après l’ordre du souverain Maître, vous avez bien reconnu les mouvements de l'eau: vous avez vu qu'elle coule en tous sens; que, toujours mobile, elle se porte naturellement vers les lieux enfoncés et qui vont en pente. Mais ayant que cet ordre lui eût donné la faculté de courir, vous ne saviez pas par vous-même et personne ne vous avait appris quelle était sa vertu propre. Songez que la voix divine produit la nature,[33] et que l’ordre donné d'abord à un être créé, lui a assigné pour la suite son rapport avec les autres êtres. Le jour et la nuit ont été créés ensemble : depuis cette époque, ils ne cessent pas de se succéder l’un à l’autre, et de diviser le temps en parties égales.

III.  Que les eaux se rassemblent. Les eaux ont reçu l’ordre de courir ; et toujours pressées par cet ordre, elles ne se fatiguent jamais dans leur course. Je parle ici de celles des eaux dont le sort est de couler. Les unes coulent d'elles-mêmes, telles que les fontaines et les fleuves ; les autres sont rassemblées et fixées dans un même lieu. Mais je parle maintenant des eaux qui sont en mouvement. Que les eaux se rassemblent dans un même lieu. Lorsque vous êtes assis sur le bord d'une fontaine qui produit des eaux abondantes, ne vous est-il jamais venu à l'esprit de vous demander? Quel est celui qui fait jaillir cette eau du sein de la terre? quel est celui qui la pousse en avant? quels sont les réservoirs d'où elle part? quel est le lieu où elle va? comment cette fontaine ne tarit-elle pas? comment la mer ne se remplit-elle pas? Tout cela dépend de la première parole. De là les eaux ont reçu la faculté de courir. Dans toute l'histoire des eaux, rappelez-vous cette parole : Que les eaux se rassemblent. Il fallait qu'elles courussent pour aller se rendre au lieu qui leur était destiné, et qu'arrivées à ce lieu, elles restassent en place et n'allassent pas plus loin. C'est pour cela que, suivant les paroles de l’Ecclésiaste, les fleuves vont à la mer et que la mer n'est point remplie (Ecclés. 1. 7). Les eaux coulent en vertu de l’ordre de Dieu, et la mer est renfermée dans des bornes d'après cette première loi : Que les eaux se rassemblent dans un même lieu. Les eaux ont reçu l’ordre de se rassembler dans un même lieu, de peur que se répandant hors des espaces qui les reçoivent, changeant toujours de place, passant d’un lieu dans un autre, elles ne viennent de proche en proche à inonder tout le continent. C'est pour cela que la mer souvent mise en furie par les aquilons, et élevant ses vagues jusqu'au ciel, dès qu'elle a touché le rivage, voit toute son impétuosité se résoudre en écume, et se retire. Ne me craindrez-vous pas, dit le Seigneur, moi qui mets le sable pour borne à la mer (Jér. 5. 22)? Cet élément dont la violence est si extraordinaire, est réprimé et enchaîné par ce qu'il y a de plus faible, par un grain de sable. Qu'est-ce qui empêcherait la mer Rouge d'envahir toute l'Egypte qui est plus basse qu'elle, et de se mêler avec la mer de cette région, si elle n’était arrêtée par l’ordre du Créateur? Or, que l'Egypte soit plus basse que la mer Rouge,[34] c'est ce que nous ont appris par des effets les princes qui ont voulu joindre les deux mers, celle d'Egypte et celle de l'Inde, d'où dépend la mer Rouge. Sésostris, roi des Egyptiens, qui le premier a tenté cette jonction, et Darius, roi des Perses, qui après lui a voulu l'achever, ont renoncé tous deux à cette entreprise. Dans ce que je viens de dire, j'ai voulu faire comprendre l'efficacité de cet ordre : Que les eaux se rassemblent dans un même lieu; c'est-à-dire, qu'elles restent dans le lieu où elles auront été d'abord réunies, sans chercher à se réunir dans un autre.

IV. Ensuite celui qui a ordonné aux eaux de se rassembler dans un même lieu, vous montre qu'elles étaient dispensées dans plusieurs. Les enfoncements des montagnes qui formaient des ravines profondes, renfermaient des amas d'eaux. Outre cela, de vastes campagnes aussi étendues que de grandes mers, des vallées plus ou moins étroites, formées de différentes manières, tous ces espaces qui étaient d'abord remplis d'eau, furent évacués par l'ordre du Seigneur, qui rassembla de toutes parts les eaux dans un même lieu. Et qu'on n'aille pas dire : Si les eaux étaient sur la terre, toutes ces cavités immenses qui ont reçu les mers, étaient sans doute remplies. Cela étant, où pouvaient donc se rendre les eaux répandues sur la surface du globe? A cela nous dirons que Dieu creusa des réservoirs[35] pour les eaux dans le moment où il fallut les séparer pour les réunir ensemble. Car elle n'existait pas d'abord cette mer hors de Cadix, ni cette plaine immense, si redoutable pour les navigateurs, qui environne l'île britannique et les Ibères occidentaux. Mais ce fut lorsqu'un vaste bassin fut creusé par l’ordre de Dieu, que toute la multitude des eaux s'y rassembla.

Quant à cette objection, que nos discours sur la création du monde sont contraires à l'expérience, parce qu'on ne voit pas toutes les eaux rassemblées dans le même lieu, je pourrais donner plusieurs réponses qui seraient trouvées généralement solides; mais il est peut-être ridicule de combattre de pareilles difficultés. Ceux qui nous les font ne doivent pas, sans doute, nous opposer les eaux des marais, ni celles des pluies, et chercher par là à réfuter notre sentiment. Lorsque l'Ecriture parle des eaux rassemblées dans un même lieu, qu'entend-elle, sinon le plus grand et le plus parfait assemblage? Les puits sont des assemblages d'eaux, faits de la main des hommes qui creusent un espace pour y réunir des eaux dispersées. Mais les Livres saints ne parlent pas des amas d'eaux ordinaires, mais du principal et du plus vaste assemblage, qui montre tout l'élément réuni dans un espace immense. En effet, de même que le feu distribué en petites parties pour notre usage, forme un grand ensemble répandu dans l'éther; de même que l'air aussi divisé en petites parties, compose une vaste enveloppe autour de toute la terre : ainsi pour les eaux, quoiqu'il y en ait plusieurs amas secondaires, il n'existe qu'un grand assemblage qui sépare cet élément de tous les autres. Les lacs, tant ceux qui sont dans les régions septentrionales, que ceux qu'on trouve dans la Grèce, dans la Macédoine, la Bithynie et la Palestine, sont sans doute des assemblages d'eaux, mais nous ne parlons maintenant que du plus grand de tous, de celui qui répond à la grandeur de la terre. Personne ne disconviendra que ces lacs ne soient des quantités d'eaux ; mais on ne pourrait raisonnablement leur donner le nom de mers, encore que quelques-uns, semblables à la plus grande mer aient des parties salées et terrestres, tels que dans la Judée le lac Asphaltite, et le lac Serbonitis, qui, placé entre l’Egypte et la Palestine, s'étend jusqu'au désert de l'Arabie. Il y a plusieurs lacs, mais il n'y a qu'une seule mer, comme le rapportent ceux qui ont parcouru la terre. Quelques-uns pensent que les mers Hyrcanienne et Caspienne sont des mers à part ; mais s'il en faut croire ceux qui ont écrit sur la géographie, ces deux mers tiennent l'une à l'autre, et vont se décharger ensemble dans la plus grande mer. C'est ainsi qu'ils disent que même la mer Rouge est jointe à celle qui est au-delà de Cadix. Pourquoi donc Dieu a-t-il appelé mers au pluriel les amas d'eaux? C'est que les eaux, il est vrai, se sont rassemblées en un même lieu; mais les amas divers, c'est-à-dire, les golfes, qui, chacun suivant leur forme, sont contenais dans un espace de terre qui les environne, ont reçu du Seigneur le nom de mers. On distingue la mer Septentrionale, la mer Australe, la mer Orientale, la mer Occidentale. Plusieurs mers ont des noms particuliers : le Pont-Euxin, la Propontide, les mers Egée et Ionienne, les mers Sardonique et Sicilienne, la mer de Toscane. Je ne parle pas de mille autres noms de mers, qu'il serait trop long et même peu convenable de détailler ici avec exactitude. C'est pour cela que Dieu a appelé mers au pluriel les collections d'eaux. Mais la suite du discours nous a conduits à cette discussion; revenons à notre sujet.

V. Et Dieu dit? Que les eaux se rassemblent dans un même lieu, et que l’élément aride paraisse. Il n'a point dit: Et que la terre paraisse, afin de ne pas la montrer cette terre sans ornements, toute couverte du limon et de la fange que les eaux y avaient laissés, n'étant pas encore revêtue de sa forme et de sa puissance. En même temps, de peur que nous n'attribuions au soleil l'aridité de la terre, l'Ouvrier suprême a fait cette aridité plus ancienne que la création du soleil. Examinez avec attention le sens des paroles de l'Ecriture, vous verrez que non seulement, le superflu de l'eau s'est écoulé de dessus la terre, mais que tout ce qui était mêlé avec elle dans ses profondeurs s'est retiré, docile aux ordres puissants du souverain Maître.

Et cela se fit ainsi. Ces paroles suffisaient pour montrer que la parole du Créateur a eu son plein effet. Plusieurs copies de l'Ecriture ajoutent : L’eau qui était sous le ciel fut rassemblée dans les lieux qui lui étaient propres et l’élément aride parut. Quelques-uns des autres interprètes n'ont pas admis cette addition, qui paraît peu conforme au langage des Hébreux. Après ce témoignage, et cela se fit ainsi, il était inutile de répéter la même chose dans d'autres termes. Aussi les exemplaires les plus exacts sont notés d'une broche[36] à cet endroit; et la broche annonce ce qui peut être retranché.

Dieu appela terre l’élément aride ; il donna le nom de mers aux amas des eaux. Pourquoi est-il dit plus haut: Que les eaux se rassemblent dans un même lieu, et que l’élément aride paroisse, et non que la terre paroisse ; et est-il dit encore ici : Et l’élément aride parut, Dieu appela terre l’élément aride? C'est que l'aridité est la qualité propre qui exprime et caractérise la nature du sujet, et que terre est simplement le nom de la chose. Car de même que la rationabilité est la qualité propre de l'homme, et qu'homme est le nom de animal auquel est attachée cette qualité; ainsi l'aridité est la qualité propre et spécifique de la terre; et on appelle terre l'être auquel convient proprement l'aridité ; comme on appelle cheval être dont l'attribut essentiel est le hennissement. Ce n'est pas seulement la terre, les autres éléments aussi ont chacun une qualité propre et particulière, qui les distingue, qui les fait connaître ce qu'ils sont. L'eau a pour qualité propre la froideur, le feu la chaleur, l’air l'humidité. Ces qualités sont les premiers éléments des corps. Quoique l'esprit, comme je l'ai dit déjà, les considère par abstraction, elles sont toujours réunies dans des êtres qui frappent nos sens. Aucun des objets sensibles et visibles n'est pur, simple et sans mélange; mais la terre est aride et froide, l’eau est froide et humide, l'air est humide et chaud, le feu est chaud et aride. Ainsi chaque élément peut se mêler avec les autres par une de ses qualités comme par un lien. Il communique avec l'élément voisin par une qualité commune, et en communiquant avec lui, il se rapproche de son contraire. Par exemple, la terre, qui est aride et froide, se joint à l'eau par le rapport de la froideur, et par l'eau elle se joint à l'air. L'eau, placée entre l'un et l'autre, les atteint et les touche par ses deux qualités comme par deux mains, la terre par la froideur, l'air par l'humidité. L’air, à son tour, par sa médiation, devient le réconciliateur de deux natures ennemies, de l'eau et du feu, en se joignant à l'eau par l'humilité et au feu par la chaleur. Le feu, qui par sa nature est aride et chaud, se lie par la chaleur avec l'air, et forme société avec la terre par l'aridité. De là il résulte un cercle et un chœur harmonique de tous les éléments qui se rapprochent et s'accordent les uns avec les autres. C'est avec raison qu'on les a appelés éléments: ce nom leur est propre et leur convient.

Je suis entré dans cette discussion en examinant la cause pour laquelle Dieu a appelé l'élément aride terre. Mais il n'a pas appelé la terre élément aride. Pourquoi? C'est que l'aridité formait d'abord l'essence de la terre, qui ensuite a acquis d'autres qualités secondaires. Or, la qualité primitive qui constitue un objet, doit être la principale, et marcher avant les qualités secondaires ajoutées ensuite. C'est donc avec raison qu'on emploie pour désigner la terre, la qualité primitive qui est la plus ancienne.

VI . Et Dieu vit que cela était beau. L'Ecriture ne veut point dire par là que la vue de la mer parut agréable à Dieu; car ce n'est point par les yeux, comme nous l'avons déjà dit ailleurs, que le Créateur juge de la beauté de ses créatures ; mais c'est par une sagesse ineffable qu'il considère les œuvres sorties de ses mains. La mer présente un beau spectacle, lorsque, dans le calma le plus tranquille, on voit sa surface blanchir; ou lorsque, ridée par des vents doux, elle offre une couleur de pourpre ou d'azur ; lorsqu'elle ne bat point violemment le rivage voisin, mais qu'elle le caresse, pour ainsi dire, par des embrassements pacifiques. Ce n’est pourtant pas en ce sens qu'il est dit dans l'Ecriture que la mer parut belle et agréable à Dieu: mais Dieu juge de la beauté d'un ouvrage par son rapport avec les autres. L'eau de la mer est la source de toute l'humidité qui règne sur la terre. Elle se distribue dans ses entrailles par des conduits invisibles, comme l'annoncent ces terrains spongieux et crevassés, dans lesquels s'insinue la mer, qui, renfermée dans des canaux tortueux et poussée par le vent, jaillit au-dehors en rompant la surface de la terre, et, déposant son amertume, devient potable par la filtration.[37] Quelquefois cette eau acquiert une qualité chaude en passant par des mines, et le même vent qui la pousse la rend bouillante et enflammée. C'est ce qu'on observe dans plusieurs îles et dans plusieurs pays maritimes. Quelques régions du continent, voisines des fleuves (si l’on peut comparer les petits objets aux grands), éprouvent quelque chose de semblable. Que veux-je inférer de tout ceci? Sans doute que toute la terre est remplie de canaux souterrains, de conduits invisibles par lesquels nous est amenée l'eau qui vient originairement de la mer.

VII. La mer est donc belle aux yeux de Dieu, parce qu'elle s'introduit dans les entrailles de la terre, et nous transmet l'eau dont nous avons besoin. Elle est belle encore, parce qu'étant le réservoir des fleuves, elle les reçoit de toutes parts dans son sein, sans que cependant elle passe ses bornes. Elle est belle encore, parce qu'elle est la source et l'origine des eaux suspendues dans les airs. Echauffée par les rayons du soleil, elle laisse échapper par l’évaporation une eau volatilisée : cette eau, attirée à une certaine hauteur, et refroidie ensuite, parce qu'elle est trop élevée pour être frappée par la chaleur du sol terrestre, laquelle froideur de l'eau est augmentée encore par l'ombre de la nue qui la domine ; cette eau, dis-je, se résout en pluie et engraisse la terre.[38] On ne peut disconvenir de ces effets, si l’on considère les vases qui étant approchés du feu pleins d'eau, restent souvent vides, parce que toute l'eau se dissipe en vapeurs. Je dis plus, les navigateurs quelquefois font bouillir l'eau de la mer, et en recueillant les vapeurs dans des éponges, ils soulagent un peu par là le besoin qui les presse. La mer est belle aux yeux de Dieu sous un autre rapport, parce qu'elle enchaîne les îles, et qu'elle est à la fois leur ornement et leur sûreté;[39] et encore parce qu'elle rapproche les contrées les plus éloignées les unes des autres, en facilitant aux navigateurs un commerce utile. Elle nous apprend par eux ce que nous ignorions; elle enrichit le commerçant, et fournit sans peine aux besoins de la vie, en procurant à ceux qui ont trop, l'exportation de leur superflu, et à ceux qui n'ont pas assez, l'importation de ce qui leur manque.

Mais puis-je découvrir toute la beauté de la mer, telle qu'elle paraît aux yeux de celui qui l’a faite? Que si la mer est belle aux yeux de Dieu, si elle mérite son approbation, combien n'est pas plus belle encore cette assemblée chrétienne, dans laquelle les voix réunies des hommes, des femmes et des enfants, semblables aux flots qui viennent se briser sur le rivage, élèvent jusqu'au ciel les prières que nous adressons au très Haut ! Un calme profond met cette assemblée à l'abri des tempêtes, parce que les esprits malins ne peuvent la troubler en y introduisant les hérésies. Soyez donc dignes des louanges de Dieu même, en observant avec la plus grande décence une exacte discipline, en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE CINQUIÈME.

SUR LES PRODUCTIONS DE LA TERRE

SOMMAIRE.

 

L'Homélie VII a été certainement prononcée le soir; l'homélie VI le matin; celle-ci reste donc isolée; et il faut dire, ou qu'elle a été divisée en deux pour le soir et le matin, ou que l'orateur n'a parlé que le matin ou le soir. Quoi qu'il en soit, c'est une de ses plus belles. Elle égale par la richesse et la variété des détails les productions riches et variées de la terre dont elle traite. Herbes, plantes, fleurs, arbres, arbustes, et autres productions, descriptions particulières, énumérations accumulées, réflexions morales, tout cela est mêlé avec beaucoup d'art, et embelli des plus vives couleurs oratoires et poétiques.

I. ET Dieu dit: Que la terre produise de l'herbe perte qui porte de la graine selon son espèce et selon la ressemblance, et des arbres fruitiers qui portent du fruit chacun selon son espèce, et qui renferment leur semence en eux-mêmes. C'est à propos que la terre, après avoir été déchargée des eaux qui la couvraient, et s'être un peu reposée, a reçu l'ordre de produire d'abord de herbe, et ensuite des arbres; ce que nous voyons encore arriver maintenant. Car la voix de Dieu, le premier ordre qu'il a adressé, est comme la loi de la nature, loi permanente, qui donne à la terre la fécondité, et la vertu de produire des fruits dans toute la suite des siècles. Que la terre produise une herbe verte. Ce n'est qu'après avoir été d'abord en herbe, après s'être fortifiées, après avoir pris tous leurs accroissements, et être enfin parvenues à leur état de maturité parfaite, que les plantes portent de la graine. Toutes commencent par produire une herbe verdoyante. Que la terre produise de l'herbe verte. Qu'elle produise cette herbe par elle-même, sans avoir besoin d'aucun secours étranger. Comme plusieurs croient que le soleil est la cause des productions de la terre, en attirant par sa chaleur la force productrice de son sein sur sa surface, c’est pour cela que les ornements de la terre sont plus anciens que le soleil, afin que les hommes qui sont dans l'erreur, cessent d'adorer le soleil comme l'auteur des productions qui conservent notre vie. S'ils se persuadent que la terre avait reçu toute sa parure avant la création du soleil, ils pourront renoncer à leur admiration excessive pour cet astre, en faisant attention que la terre avait produit de l'herbe verte avant qu'il fût créé. La nourriture a-t-elle donc été (préparée aux bêtes qui broutent, et la nôtre n'a-t-elle pas été jugée digne des soins d'un Dieu attentif? Mais celui qui prépare la pâture aux bœufs et aux chevaux, vous ménage des richesses et de l'opulence, puisqu'en nourrissant vos bêtes de somme, il augmente les commodités de notre vie. D'ailleurs, la production des graines et des semences a-t-elle d'autre fin que d'améliorer notre condition? sans compter que beaucoup de plantes encore en herbes et en légumes, servent à la nourriture des hommes.

II. Que la terre produise une herbe verte qui porte de la graine selon son espèce. S'il est des espèces d'herbes utiles aux autres animaux, c'est à nous qu'en revient aussi l'avantage ; c'est à nous qu'est assigné l'usage des graines et des semences. Ainsi, je crois que le texte devrait être ainsi rétabli : Que la terre produise de l’herbe verte, et des graines selon les espèces. Cette disposition des mots serait plus conforme à la raison, et à l’ordre de la nature, qui fait passer les plantes par divers accroissements avant qu'elles produisent des graines. Mais comment l'Ecriture annonce-t-elle que toutes les productions de la terre ont des graines, lorsqu'il est visible que le roseau, le safran, et une infinité d'autres espèces de plantes n'ont point de graines? À cela nous disons que beaucoup de productions de la terre ont au bas de leur racine de quoi se reproduire comme par des graines. Par exemple, le roseau, après un an, produit à sa racine un rejeton, qui, pour la reproduction future, tient lieu de graines. Et c'est une propriété qu'on remarque dans une infinité d'autres plantes répandues sur la terre. Il est donc de toute vérité que chaque production a une graine ou une vertu qui en tient lieu. Et c'est là le sens de ces paroles : Selon son espèce. Le rejeton du roseau n'est point propre à produire un olivier ; mais un roseau naît d'un roseau, comme d'une graine naît une production conforme à celle d'où la graine provient. Ainsi ce qui est sorti de la terre dans la première création, s'est conservé jusqu'à ce jour, parce que chaque espèce subsiste en se reproduisant dans une succession non interrompue.

Que la terre produise. Figurez-vous la terre encore froide et stérile, qui, par cette unique parole et ce simple ordre, est fécondée tout à coup, et se hâte de produire des fruits. Représentez-vous la déposant en quelque sorte un vêtement triste et lugubre, en prenant un autre plus gai, se parant de ses propres ornements, faisant éclore de son sein une multitude de plantes diverses. Je veux vous inspirer une grande admiration pour les choses créées, afin que partout où vous rencontrerez quelque espèce de production, elle vous frappe et vous ramène au Créateur. D'abord, lorsque vous voyez l’herbe des champs et sa fleur, songez à la nature humaine, et rappelez-vous la comparaison qu'emploie le sage Isaïe : Toute chair, dit-il, est comme l'herbe, et toute la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe (Is. 40. 6). Cette comparaison a semblé au Prophète la plus propre à exprimer la brièveté de notre vie, l'instabilité et la fragilité des joies et des prospérités humaines. L’homme qui aujourd'hui jouit d'une santé brillante, que les délices ont nourri et engraissé, dont le teint fleuri répond à la fleur de la jeunesse, qui est plein de force et de vigueur, dont on ne peut soutenir la fougue ; ce même homme, demain, n'est plus qu'un objet de pitié, flétri par le temps ou consumé par la maladie. Cet autre est remarquable par son opulence, il est environné d'une troupe de flatteurs, escorté d'un grand nombre de faux amis qui ambitionnent ses bonnes grâces, et de parents dont les manières ne sont pas moins fausses ; soit qu'il sorte de sa maison, soit qu'il y revienne, il traîne à sa suite une foule d'esclaves empressés de lui rendre divers services : le faste dont il s'entoure excite l'envie de tous ceux qui le rencontrent. Aux richesses, ajoutez la puissance, les honneurs accordés par le prince, le respect des nations, le commandement des armées, un héraut qui marche devant lui en criant, des licteurs armés de faisceaux qui impriment la crainte au peuple, les prisons, les confiscations de biens, les derniers supplices qui redoublent la frayeur dans l’âme de ceux qu'il commande: quelle est la fin de tout cela? Une seule nuit, une seule fièvre, une seule maladie enlève cet homme du milieu des hommes, le dépouille de tout cet appareil théâtral ; et toute sa gloire semble n'avoir été qu'un vain songe. C'est donc avec raison que le Prophète compare la gloire humaine à la fleur la plus fragile.

III. Que la terre produise de l'herbe verte, qui porte de la graine selon son espèce et selon la ressemblance. L'ordre que nous remarquons encore aujourd'hui dans les productions de la terre, atteste celui qui a eu lieu dès l'origine, puisque toutes ces productions commencent d'abord par l'herbe verte. Soit qu'une plante vienne d'un rejeton ou d'une graine, comme le safran et autres du même genre, elle produit d'abord de l'herbe verte, et ensuite du fruit sur un tuyau qui se dessèche en grossissant. Que la terre produise de l’herbe verte. Lorsqu'un grain de blé tombe dans une terre qui a une chaleur et une humidité convenables, il se dilate, s'étend; et saisissant la terre qui l'environne, il attire à lui ce qui lui est propre et analogue. Les parties déliées de la terre s'insinuent dans ses pores, grossissent sa masse et la développent, lui font jeter en bas autant de racines qu'il pousse en haut et élève de tiges. La plante s'échauffant toujours, elle pompe l'humidité par ses racines, et par le moyen de la chaleur, prend de la terre autant qu'il lui faut de nourriture, qu'elle distribue dans la tige, dans l'écorce, dans les étuis du blé, dans le blé lui-même et dans les épis. Chaque plante en général, soit blé, soit légume, soit arbuste, croît peu à peu jusqu'à ce qu'elle ait pris sa mesure propre. La seule plante du blé est suffisante pour occuper tout notre esprit, pour lui faire contempler l'art de celui qui l’a faite, pour lui faire examiner comment la tige est fortifiée d'espace en espace par des nœuds, par des espèces de liens qui l'aident à supporter le poids des épis, lorsque les fruits qui les remplissent les font pencher vers la terre. C'est pour cela que l'avoine sauvage est plus faible dans sa tige, parce que sa tête n'est pas chargée, au lieu que la nature a lié fortement la tige du blé par intervalles. Elle a enfermé le grain dans des étuis, pour qu'il ne pût pas être aisément enlevé par les oiseaux voleurs ; de plus, elle a muni les épis de barbes, comme de pointes pour les défendre contre les attaques des petits animaux.

IV. Que dois-je dire? que dois-je taire? Au milieu des riches trésors de la création, il est difficile de trouver ce qu'il y a de plus précieux, et l'on se verrait privé avec peine de ce qui aurait été omis. Que la terre produise de l'herbe verte : et aussitôt les poisons ont paru avec les plantes nourricières, la ciguë avec le blé, l'ellébore, l'aconit, la mandragore, et le jus du pavot avec le reste des plantes dont nous tirons notre vie. Quoi donc ! oublierons-nous de rendre grâces au Créateur pour les productions utiles, et ne songerons-nous qu'à nous plaindre de celles qui nous sont nuisibles? Ne ferons-nous pas attention que tout n'a pas été créé pour notre subsistance? Nous avons nos nourritures qui sont faciles à trouver et à reconnaître ; chacune des choses créées a son emploi particulier qu'elle remplit. Parce que le sang de taureau est pour vous un poison,[40] ne devait-on pas produire, ou devait-on produire en ne lui donnant pas de sang, cet animal dont la force nous est d’un si grand usage? Vous avez avec vous dans la raison une compagne qui vous apprend à vous garantir des productions pernicieuses. Quoi ! les brebis et les chèvres savent fuir les herbes qui nuisent à leur vie ; elles savent, par le seul instinct, distinguer ce qui leur est contraire; et vous, qui avez la raison, qui avez l'art de la médecine, lequel vous fait connaître les plantes salubres ; qui avez l'expérience de vos prédécesseurs, laquelle vous apprend à fuir celles qui sont préjudiciables, vous est-il bien difficile, je vous le demande, d'éviter les poisons? D'ailleurs, aucun de ces poisons n'a été produit au hasard et sans but. Ou ils servent de nourriture à quelques animaux, ou l'art de la médecine a su les tourner à notre avantage, et les employer à la guérison de certaines maladies. La ciguë est mangée par les étourneaux, qui, par la constitution de leur corps, évitent les effets de ce poison. Comme les fibres de leur estomac sont très actives, ils l'ont digérée avant que sa froideur ait pu atteindre les parties vitales. L'ellébore est aussi la pâture des cailles, dont le tempérament propre les garantit de ce qu'elle a de dangereux. Ces mêmes poisons nous sont quelquefois utiles dans l'occasion. Les médecins se servent de la mandragore pour ramener le sommeil fugitif, de l'opium pour apaiser les douleurs violentés. Plusieurs, avec la ciguë, ont diminué la rage de la concupiscence, ou, avec l'ellébore, ont dissipé des maladies invétérées. Ainsi ce que vous pensiez être matière à des reproches contre le Créateur, est pour vous un nouveau sujet de lui rendre grâces.

V. Que la terre produise de l’herbe verte. Ces paroles renferment une multitude d'aliments qui nous sont propres, soit dans l'herbe même, soit dans les racines, soit dans les fruits, aliments venus d'eux-mêmes, ou par les soins de l'agriculture. Dieu n'ordonne pas à la terre de produire sur le champ la graine et le fruit, de produire d'abord l’herbe verte, et d'arriver successivement jusqu'à la graine, afin que le premier ordre fût à la nature une leçon pour toute la suite des siècles. Mais, dit-on, comment la terre produit-elle des graines selon l'espèce, puisque souvent, quand nous avons semé de bon blé, nous recueillons du froment noir? Mais ce n'est point là un changement d'espèce, c'est une simple altération, et comme une maladie du grain, qui ne cesse pas d'être blé, mais qui étant brûlé se noircit comme l'apprend le nom même. Le grain brûlé par un froid excessif change de couleur et de goût. On prétend même que, lorsqu'il trouve un terrain favorable et une bonne température, il revient à sa première forme. Ainsi, aucune des productions n'offre rien de contraire au premier ordre du Créateur. Ce qu'on appelle ivraie, qui se trouve mêlé avec le bon grain, et dont il est parlé dans l'Ecriture, ne vient pas d'un blé altéré, mais est dans l'origine une plante d'une espèce particulière. Elle est une image de ceux qui corrompent les préceptes du Seigneur, et qui n'ayant pas été instruits selon la vérité, mais qui étant imbus de doctrines perverses, se mêlent dans le corps sain de l’Eglise, afin d'inspirer sourdement aux vrais fidèles leurs dogmes pernicieux. Le Seigneur, dans un passage de l’Evangile, compare l'état parfait des hommes qui ont cru en lui, à l'accroissement des semences. Le royaume des cieux, dit-il, est semblable à ce qui arrive lorsqu'un homme a jeté de la semence en terre. Soit qu'il dorme ou qu'il se lève, la nuit et le jour, la semence germe et croit sans qu'il sache comment. Car la terre produit premièrement l'herbe, ensuite l'épi, puis le blé tout formé qui remplit l'épi (Marc, 4. 26 et suiv.).

Que la terre produise de l’herbe verte. Dès que ces paroles eurent été prononcées, en un moment la terre, pour obéir aux lois du Créateur, commençant par produire de l'herbe, parcourant tous les degrés de l'accroissement, conduisit aussitôt les plantes à une entière perfection. Et bientôt on vit des prairies couvertes d'une grande abondance d'herbes, des campagnes fertiles chargées de moissons ondoyantes, qui, dans le balancement des épis, offraient l'image d'une mer dont les flots sont agités ; l’on vit une grande multitude d'herbes de toute espèce, de légumes et d'arbustes, se répandre sur toute la surface de la terre. Car alors les productions n’avaient à éprouver aucun mauvais succès, aucun accident, aucune maladie, ni par l'ignorance du laboureur, ni par l'intempérie de l'air, ni par nulle autre cause. Une semence rigoureuse n'empêchait pas non plus la fertilité de la terre, dont les premières productions étaient plus anciennes que la faute pour, laquelle nous avons été condamnés à manger notre pain à la sueur de notre front.

VI. Que la terre produise, dit l'Ecriture, des arbres fruitiers qui portent du fruit, et qui renferment leur semence en eux-mêmes selon leur espèce et leur ressemblance sur la terre. A cette parole on vit paraître une immense quantité de bois épais ; on vit sortir tous les arbres, soit ceux qui sont de nature à s'élever à la plus grande hauteur, les pins, les sapins, les cèdres, les cyprès et autres ; soit ceux qui servent pour les couronnes, les rosiers, les myrtes, les lauriers ; soit toutes les espèces d'arbustes. Tous les arbres qui n’avaient pas encore paru sur la terre, y prirent l’être en un instant, chacun avec des caractères particuliers, avec des différences visibles, qui les font reconnaître et qui les distinguent de ceux dont l'espèce n'est pas la même. Toutefois la rose était sans épine : l'épine a été ajoutée depuis à la beauté de cette fleur, afin que la peine, pour nous, soit près du plaisir, et que nous puissions nous rappeler la faute qui a condamné la terre à nous produire des épines et des ronces.

Mais, dit-on, la terre a reçu l’ordre de produire des arbres fruitiers, qui portent des fruits sur la terre et qui aient leur semence en eux-mêmes : cependant nous voyons plusieurs arbres qui n’ont ni fruits, ni semences. Nous dirons à cela que les arbres les plus précieux ont obtenu une mention principale. Ensuite, à bien examiner, on verra que tous les arbres ont une semence, ou une vertu qui en tient lieu. Les peupliers blancs et noirs, les saules, les ormes et autres arbres de même nature, paraissent au premier coup d'œil ne porter aucun fruit; mais si on les considère attentivement, on verra que chacun d'eux a une semence. Une graine cachée sous les feuilles, à laquelle on a donné un nom particulier,[41] tient lieu de semence. Tous les arbres qui viennent de branches plantées en terre, jettent de là, pour la plupart des racines. Peut-être aussi que des rejetons à la racine tiennent lieu de semence, rejetons que les cultivateurs des arbres arrachent et plantent pour multiplier l'espèce.

Au reste, comme nous l'avons déjà dit, l’Ecriture n'a cru devoir citer que les arbres qui sont les plus propres à conserver nos jours, ceux qui devaient enrichir l'homme de leurs fruits et lui procurer une vie plus abondante: par exemple, a vigne qui produit le vin, lequel est fait pour réjouir le cœur de l'homme ; et l'olivier, qui donne pour fruits l'olive, dont l'huile qu'on en exprime répand la joie sur le visage (Ps. 103. 15). Que d'effets produits sur le champ par la nature ont concouru au même but: la racine de la vigne, les sarments qui verdissent recourbés, et qui sont répandus en grand nombre sur la terre, la fleur, les tendrons, les grappes de raisin! La seule vigne, regardée avec intelligence, peut vous donner une idée de toute la nature. Vous tous rappelez, sans doute, la comparaison du Seigneur; vous savez qu'il se nomme lui-même la vigne, son Père le vigneron (Jean. 15. 1), et que nous autres qui sommes entés dans l'Eglise par la foi, il nous appelle les sarments. Il nous exhorte à produire beaucoup de fruits, de peur que, condamnés à être stériles, nous ne soyons livrés au feu. Partout il compare les âmes humaines à des vignes. Mon bien-aimé, dit-il par un de ses Prophètes, avait une vigne dans un lieu élevé, gras et fertile (Is. 5. 1). J'ai planté une vigne, dit-il ailleurs, et je l’ai enfermée d'une haie (Matth. 21. 33). Il appelle vigne les âmes humaines qu'il a entourées d’une haie, sans doute de la force des préceptes et de la garde des anges. L’ange du Seigneur, dit David, environnera ceux qui le craignent (Ps. 33. 8). Ensuite il nous a donné des prophètes, des apôtres, des docteurs, qui sont comme des palissades dont il nous a environnés dans l'Eglise. Il a élevé et exalté nos esprits par les exemples des hommes anciens et bienheureux, sans permettre qu'ils restassent étendus par terre, dignes d'être foulés aux pieds. Il veut que les embrassements de la charité, comme les mains de la vigne, nous attachent à notre prochain, qu'ils nous fassent reposer en lui, et que, prenant notre essor, nous nous élevions jusqu'à la cime des plus grands arbres. Il demande que nous nous laissions enfouir. Or, l'âme est enfouie lorsqu'elle s'est dépouillée des sollicitudes de ce monde qui appesantissent nos cœurs. Celui donc qui a déposé l'amour charnel et le désir des richesses, qui regarde comme vile et méprisable la malheureuse passion, de la vaine gloire, celui-là est comme enfoui, et respire après avoir secoué le poids des affections vaines et terrestres. En suivant toujours la même comparaison, nous devons encore prendre garde de jeter trop de bois et de feuilles, c'est-à-dire, de vivre avec faste et de rechercher les louanges du siècle; nous devons porter des fruits et n'étaler nos œuvres qu'aux yeux du véritable vigneron. Pour vous, soyez comme un olivier qui porte du fruit dans la maison de Dieu (Ps. 51. 10). Ne vous dépouillez jamais de l'espérance, mais que le salut fleurisse toujours en vous par la foi. Vous imiterez la verdure perpétuelle et la fécondité de cet arbre, si dans tous les temps vous faites des aumônes abondantes.

VII. Mais revenons à examiner l'art admirable qui règne dans les productions de la terre. Que d'espèces d'arbres on en vit alors sortir qui étaient propres, les uns à nous donner des fruits, les autres à échauffer nos foyers, d'autres qui servent à la construction de nos demeures, d'autres à la fabrication des navires! Quelle variété dans la disposition des parties de chaque arbre! Il est difficile de trouver le caractère particulier de chacun, et les différences qui les distinguent des autres espèces: comment les racines des uns sont aussi profondes que celles des autres le sont peu ; comment les uns s'élèvent droit et n'ont qu'un tronc, tandis que les autres rampent sur le sol, et se partagent dès la racine en plusieurs tiges ; comment tous ceux dont les rameaux s'étendent au loin et occupent un grand espace dans l’air, ont de profondes racines qui se distribuent au loin en terre de toutes parts, la nature leur ayant donné en quelque sorte des fonde mens conformes à la masse qui s'élève au-dessus du terrain. Quelles diversités dans les écorces! les unes sont unies, les autres sont raboteuses ; les unes sont légères, les autres épaisses. Ce qui étonne, c'est que les arbres éprouvent les mêmes changements que l’on observe dans l'adolescence de l'homme et dans sa vieillesse. Sont-ils, pour ainsi dire, dans la vigueur et dans la fleur de l'âge? leur écorce est fort lisse: commencent-ils à vieillir? elle se ride en quelque manière et devient plus rude. Parmi les arbres, les uns étant coupés refleurissent; les autres restent sans plus rien produire, et les couper, c'est leur donner la mort. Quelques personnes ont observé que les pins coupés et même brûlés se changent en bois de chêne.[42] Nous savons que les vices naturels de certains arbres sont corrigés par les soins du cultivateur. Par exemple, les grenadiers dont les grenades sont acides, et les amandiers dont les amandes sont amères, on les change en bien et on corrige le défaut de leurs sucs, en perçant le tronc à la racine, et en y introduisant jusqu'au centre un coin de pin résineux. Que celui donc qui vit dans le désordre ne désespère pas de lui-même, lorsqu'il sait que si la culture change les qualités des arbres, les soins de l’âme pour se ramener à la vertu, peuvent guérir toutes sortes de maladies spirituelles.

Quant aux arbres fruitiers, la variété des fruits est telle qu'il n'est pas possible de l'exprimer par le discours. Cette variété se remarque, non seulement dans les arbres de différente espèce, mais même dans ceux de même nature, au point que les cultivateurs distinguent le fruit des arbres mâles et celui des arbres femelles. Ils partagent même les palmiers en femelles et mâles ; et l’on voit quelquefois celui qu'on appelle femelle abaisser ses rameaux, comme s'il était enflammé d'amour et qu'il recherchât les embrassements du mâle. On adapte des boutons du mâle à des branches de la femelle, qui, sensible pour ainsi dire à cette union, relève ses rameaux et fait reprendre à son feuillage sa forme naturelle. On dit la même chose des figuiers. De là, les uns entent des figuiers sauvages sur des figuiers cultivés ; les autres prennent seulement les figues sauvages[43] qu'ils attachent au figuier cultivé, pour fortifier par ce moyen sa faiblesse, et retenir son fruit qui commençait à se dissiper et à disparaître. Que signifie cet effet mystérieux de la nature? que nous apprend-il? Sans doute, que nous devons souvent dans la pratique des bonnes œuvres ranimer notre vigueur par l'exemple même des infidèles. Si donc vous voyez un homme engagé dans les erreurs du paganisme, ou dans quelque hérésie perverse qui le sépare de l'Eglise, jaloux d'ailleurs de mener une vie sage et bien réglée, que cette vue enflamme votre zèle, vous excite à devenir semblable au figuier portant des fruits, lequel recueille ses forces dans son union avec les figuiers sauvages, arrête la dissipation de sa vertu génératrice, et nourrit ses fruits avec plus de soin.

VIII. Telles sont les différences, sans parler d'une infinité d'autres, dans la génération des fruits. Qui pourrait épuiser les variétés des fruits mêmes, leurs formes, leurs couleurs, leurs saveurs particulières, l'utilité de chacun? qui pourrait dire comment la plupart sont exposés nus aux soleil qui les mûrit; comment quelques-uns sont enveloppés de coques où ils prennent leur maturité? Les arbres dont le fruit est tendre, ont une feuille épaisse, comme le figuier; ceux dont le fruit est plus ferme, ont une feuille plus légère, comme le noyer. Certains fruits avaient besoin d'un plus grand secours à cause de leur faiblesse: un feuillage plus épais aurait nui à d'autres, à cause de l'ombre qu'il aurait donné. Qui pourrait dire comment la feuille de la vigne est coupée en deux, pour que la grappe résiste aux injures de l'air, et pour qu'elle reçoive abondamment les rayons du soleil, vu la ténuité de la feuille? Rien n'a été fait au hasard et sans cause, tout a été dirigé par une sagesse ineffable.

Quel discours pourrait tout détailler? quel esprit humain pourrait tout rapporter avec exactitude; pourrait connaître et distinguer clairement les propriétés et les différences de chaque arbre et de son fruit, expliquer sûrement les causes cachées? La même eau pompée par la racine, nourrit différemment la racine elle-même, l'écorce du tronc, le bois et la moelle. La même eau devient feuille, se partage en grandes et petites branches, donne de l'accroissement aux fruits: les larmes et le suc viennent de la même cause. Nul discours ne pourrait exprimer toutes les différences de ce suc et de ces larmes. Autre est la larme du lentisque, autre est le suc du baume. Il est en Egypte et dans la Lybie des férules qui distillent une autre espèce de sucs. Plusieurs pensent que l'ambre est un suc des plantes durci et comme pétrifié. Ce qui confirme cette opinion, ce sont des pailles et de petits animaux qu'on y aperçoit enfermés et qui attestent l'existence d'un suc originairement liquide. En général, celui qui ne connaît point par expérience les différentes qualités des sucs, ne pourra trouver des paroles pour expliquer leur vertu et leur efficacité. Mais comment la même eau se forme-t-elle en vin dans la vigne et en huile dans l'olivier? Ce qu'il y a d'admirable, c'est de voir non seulement de quelle manière ici l'eau devient douce et là devient onctueuse, mais encore quelles sont les variétés infinies des fruits doux. Car autre est la douceur dans la vigne, autre dans le pommier, dans le figuier, dans le palmier. Je désire encore que vous examiniez avec attention comment la même eau, tantôt flatte le palais, lorsqu'elle s'adoucit en s'arrêtant dans quelques plantes ; tantôt l'offense, lorsque passant pas d'autres plantes elle s'aigrit; et enfin se tournant en la dernière amertume le révolte, lorsqu'elle séjourne dans l'absinthe ou dans la scammonée: dans le gland ou dans le fruit du cornouiller, elle prend une qualité rude et astringente ; dans les térébinthes, et dans les noix, elle se convertit en une substance douce et huileuse.

IX. Et pourquoi rapporter des exemples éloignés les uns des autres, lorsqu'elle office les qualités les plus contraires dans le même figuier aussi amère dans le suc qu'elle est douce dans le fruit, aussi astringente dans le sarment de la vigne qu'elle est agréable dans le raisin? Et quelles sont les diversités des couleurs? En parcourant une prairie, vous voyez la même eau rougir dans telle fleur, se pourprer dans telle autre, s’azurer dans celle-ci, blanchir dans celle-là, et présenter de plus grandes différences encore dans les odeurs que dans les couleurs.

Mais je vois que le désir insatiable de contempler les productions de la terre étend mon discours outre mesure. Si je ne le resserre en le rappelant aux lois générales de la création, le jour me manquera, tandis que je m'arrêterai aux petits détails pour faire admirer la grande sagesse du Créateur. Que la terre produise des arbres fruitiers qui portent du fruit sur la terre. A cette parole, les sommets des montagnes furent couverts d'arbres touffus, les jardins décorés avec art, les rives des fleuves embellies d'une infinité d'arbres et de plantes. Parmi ces productions, les unes sont faites pour orner la table de l'homme, les autres fournissent la nourriture des troupeaux dans leurs fruits et dans leurs feuilles, d'autres nous procurent des secours, d'après l’art de la médecine, dans leurs sucs, leurs liqueurs, leurs pailles, leurs écorces, leurs fruits. En un mot, tout ce qu'a trouvé pour nous une expérience journalière, en recueillant dans chaque circonstance ce qui est utile, la providence attentive du Créateur l’a prévu dès le commencement et l'a produit pour notre avantage. Pour vous, lorsque vous voyez des plantes cultivées ou non cultivées, aquatiques ou terrestres, avec fleurs ou sans fleurs, reconnaissant dans ces petits objets le grand Etre, admirez et aimez de plus en plus le Créateur. Considérez comment parmi les arbres qu'il a créés, les uns sont toujours verts, les autres se dépouillent. Parmi ceux qui sont toujours verts, les uns perdent leurs feuilles, les autres les conservent. L'olivier et le pin perdent leurs feuilles, quoiqu'ils n'en changent qu'insensiblement, de sorte qu'ils paraissent ne jamais se dépouiller de leur feuillage. Le palmier garde toujours les mêmes feuilles, depuis qu'il a pris son accroissement jusqu'à la fin. Examinez encore comment le tamarin est pour ainsi dire, une plante amphibie, étant compté parmi les plantes, aquatiques et se multipliant dans les déserts. Aussi Jérémie compare-t-il avec raison à cette plante ces caractères vicieux qui balancent entre le bien et le mal (Jer. 17. 6).

X. Que la terre produise. Ce peu de paroles fut sur le champ une nature universelle[44] et un art merveilleux, qui, plus promptement que la pensée, firent naître une infinité de productions diverses. Ces mêmes paroles imprimées maintenant encore sur la terre, la pressent chaque année de montrer toute sa vertu pour produire des herbes, des plantes et des arbres. Car de même, que certains instruments de jeu, d'après un premier coup, forment ensuite plusieurs cercles et tournent plusieurs fois sur eux-mêmes : ainsi la nature, d'après un premier ordre, a reçu une première impulsion, qui a continué dans une longue suite de siècles, et qui durera jusqu'à la consommation du monde. Puissions-nous tous arriver à ce terme chargés de fruits et remplis de bonnes œuvres, afin que, plantés dans la maison de notre Dieu, nous fleurissions à l'entrée des demeures éternelles (Ps. 91. 14) en J. C. notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE SIXIÈME.

SUR LA CRÉATION. DES CORPS LUMINEUX.

SOMMAIRE.

 

Cette homélie, prononcée le matin, renferme seule le quatrième jour de la création, où l'on vit paraître les grands corps lumineux. Dans un magnifique début proportionné à la grandeur du sujet, l'orateur exhorte ceux qui l’écoutent à être attentifs, à se préparer aux grands spectacles qu'on va leur offrir ; il leur donne une idée de toute la création trace un grand tableau de l'astre qui nous éclairé, oppose sa beauté à celle du soleil de justice. Et Dieu dit : Que des corps lumineux soient faits pour éclairer la terre, pour séparer le jour de la nuit. St. Basile dit que la raison pour laquelle la terre avait produit tout ce qu'elle était destinée à produire, avant que cet astre fut créé, c’était afin que le soleil ne fut pas regardé et adoré comme le générateur des productions terrestres. Pour éclairer la terre. Qu’est-il besoin, dit l'orateur, d'un astre pour éclairer la terre puisque la lumière existait avant cet astre? Il répond que le soleil devait servir de véhicule à la lumière qu'il représente faussement comme un être pur, simple et immatériel. Il semble qu'il devait s'en tenir à dire, comme il le dit ensuite, que la lumière a été mêlée à la substance du soleil, et qu’il ne la dépose plus sans se perdre dans des raisonnements subtils qu'on peut voir dans l'homélie même : ils annoncent beaucoup de sagacité, mais ils n’étaient pas nécessaires. Pour séparer le jour de la nuit. Le soleil forme le jour pendant lequel il domine, la lune règne pendant la nuit, qu’ils servent de signes pour marquer les temps, les jours et les années. Le soleil donne des signes qui peuvent être fort utiles dans l'usage de la vie ; l'orateur est loin de blâmer ceux qui consultent ces signes ; mais il s'élève contre ceux qui, par l'inspection des astres, prétendaient connaître le caractère et la destinée des personnes, leurs vices ou leurs vertus, leur sort heureux ou malheureux. Il réfute la science astrologique avec autant d'esprit que de force. Il montre ensuite comment le soleil et la lune règlent les saisons et l'année. Il établit très bien la grandeur immense de ces deux astres, qui ne nous paraissent d'une grandeur médiocre qu'à cause de leur très grand éloignement. Il décrit les diverses phases de la lune, et lui attribue plusieurs effets dont les uns sont reconnus et les autres contestés. Il termine par quelques réflexions religieuses cette homélie qui, de son temps, devait être regardée comme la plus belle par la nature des objets qu'elle renferme, objets qui n'intéresseront pas également dans un siècle où les idées sont un peu changées, et ou la physique a fait plus de progrès.

I. Il faut que celui qui vient pour regarder les combats des athlètes, ait aussi lui-même quelque courage. C'est ce qu'on peut voir par les lois des spectacles, suivant lesquelles ceux qui prennent place dans l'amphithéâtre ne doivent y paraître que la tête nue;[45] c'est, à ce qu'il me semble, afin que chacun ne soit pas seulement spectateur des athlètes, mais athlète lui-même dans quelque partie. Il faut de même que celui qui vient pour examiner les magnifiques et merveilleux spectacles de la nature, pour entendre parler d'une sagesse vraiment souveraine et ineffable, ait en lui-même des motifs qui l'engagent à contempler les grands objets exposés à ses regards, qu'il partage avec moi les peines du combat, qu'il ne soit pas plus juge que combattant, de peur que la vérité ne vous échappe, et que j'en aie la douleur devoir ceux qui m'écoutent ne point profiter démon instruction. Quel est donc mon but en parlant ainsi? C'est que, comme nous nous proposons d'examiner le bel ordre de l'univers et de contempler le monde, non d'après les principes de la sagesse du siècle, mais d'après les instructions que Dieu a données à Moïse son serviteur, lui parlant lui-même en personne, et non par des figures ; il faut nécessairement que ceux qui sont jaloux d'être spectateurs de grands objets, aient exercé leur esprit à comprendre les spectacles merveilleux dont ils sont les témoins. Si donc quelquefois, dans une nuit sereine, regardant avec attention les beautés inexprimables des astres, vous avez songé au Fabricateur de l'univers, vous avez pensé quel était celui qui a parsemé le ciel de ces fleurs brillantes, et que le spectacle des choses créées procure encore plus d'utilité qu'il ne donne de plaisir; si pendant le jour vous avez considéré avec un esprit réfléchi les merveilles du jour, et que, par les objets visibles, vous vous soyez élevé jusqu'à l'Être invisible : alors vous êtes un auditeur bien préparé, vous êtes propre à occuper une place dans cet auguste et vénérable amphithéâtre. Ainsi, comme on prend par la main et que l’on conduit dans les villes ceux qui ne les connaissent pas, je vous conduirai moi-même aux prodiges cachés de l'univers, de cette grande cite où est notre ancienne patrie, dont nous a chassés le démon, ce cruel homicide, qui, par ses funestes séductions, a réduit l'homme en servitude. Vous verrez ici la première création de l'homme, la mort qui s'est emparée presque aussitôt de nous, la mort, qu'a engendrée le péché, ce premier né du démon principal auteur du mal. Vous vous connaitrez vous-même, vous saurez que, quoique terrestre par votre nature, vous êtes l'ouvrage des mains divines; que, très inférieur pour les forces aux animaux dépourvus de raison, vous êtes fait pour commander à ces animaux et aux êtres inanimés ; qu'obligé de leur céder pour les avantages du corps, vous pouvez, par la supériorité de votre raison, vous élever jusqu'au ciel. Instruits de ces vérités, nous nous connaîtrons nous-mêmes, nous connaîtrons Dieu, nous adorerons le Créateur, nous servirons notre Maître, nous glorifierons notre Père, nous respecterons et chérirons celui qui nous donne la nourriture, celui qui nous comble de bienfaits ; nous ne cesserons de rendre hommage à l'Auteur de notre vie présente et future, à celui qui, dans les richesses qu'il nous prodigue déjà, nous accorde un gage de ses promesses, et qui, par l'usage des biens actuels nous confirme ceux que nous attendons. Eh ! si les objets passagers sont si superbes, quels doivent être les éternels? si les choses visibles sont si belles, quelles doivent être les invisibles? si la grandeur du ciel surpasse toute imagination humaine, quel esprit pourra scruter la nature de ces beautés qui ne doivent jamais finir? si le soleil, qui est sujet à la corruption, est si beau, si grand, si rapide dans sa marche, si réglé, si invariable dans son cours, d'une grandeur si bien proportionnée, si bien mesurée avec le reste de l'univers; si par sa beauté, il est comme l'œil brillant de la nature, la lampe éclatante du monde ; si on ne peut se lasser de contempler ce bel astre, quelle doit être la beauté du soleil de justice? Si c'est un malheur pour l'aveugle de ne pas voir le soleil matériel, quelle infortune pour le pécheur d'être privé de la lumière véritable?

II. Et Dieu dit: Que des corps lumineux soient faits dans le firmament du ciel, pour éclairer la terre, pour séparer le jour de la nuit. Le ciel et la terre avaient précédé; après eux avait été créée la lumière; le jour et la nuit étaient distingués, la terre et le firmament étaient découverts ; l'eau avait été rassemblée en un même lieu, dans le réservoir qui lui était destiné ; la terre était couverte des productions qui lui sont propres, et offrait de toutes parts une infinité d'espèces d'herbes, de plantes et d'arbres: le soleil et la lune n'existaient pas encore, afin que ceux qui ignorent le vrai Dieu, ne regardassent pas le soleil comme le père et l'auteur de la lumière, comme le générateur des, productions terrestres. C'est pour cela qu'au quatrième jour Dieu dit : Que des corps lumineux soient faits dans le firmament du ciel. Lorsqu'on vous montre celui qui parle, pensez aussitôt en vous-même à celui qui entend. Dieu dit que des corps lumineux soient faits... et Dieu fit deux corps lumineux. Qui est-ce qui a dit et qui est-ce qui a fait? Dans ces paroles, ne voyez-vous pas une double personne?[46] dans toutes les histoires de l'Ecriture est répandu, d'une manière mystique, le dogme des personnes divines.

Moïse ajoute la cause pour laquelle les corps lumineux ont été créés, pour éclairer la terre, dit-il. Si la création de la lumière a précédé, pourquoi dit-on maintenant que le soleil a été créé pour éclairer la terre? Ici, m'adressant aux infidèles, je leur dis d'abord : Que la simplicité de l'Ecriture ne vous inspire pas de mépris pour elle. Nous n'étudions pas, comme chez vous, le choix des mots ; nous ne cherchons pas à les arranger avec art; nous sommes moins jaloux de belles expressions et de discours harmonieux que de paroles simples qui énoncent clairement ce que nous voulons faire comprendre. Or il n'est rien ici qui contredise ce qui a déjà été dit de la lumière. Dieu a créé d'abord la substance de la lumière, et il produit maintenant le corps du soleil pour servir de véhicule à la lumière créée avant lui. Et de même que le feu est distingué de la lampe, que l'un a la vertu d'éclairer, et que l'autre est faite pour communiquer la lumière à ceux qui en ont besoin : ainsi des corps lumineux reçoivent l'être maintenant pour servir de véhicule à une lumière pure, simple et immatérielle.[47] L'apôtre parle de corps lumineux dans le monde (Phil. 1. 15), distingués de cette lumière véritable du monde, par la participation de laquelle les saints sont devenus des corps lumineux pour les âmes qu'ils instruisaient, en les délivrant des ténèbres de l'erreur. C'est ainsi que le Créateur de l'univers fait paraître maintenant dans le monde le soleil après l'éclatante lumière que cet astre doit nous communiquer.

III. Et que personne ne refuse de croire ce que nous disons ; sans doute que l'éclat de la lumière est distingué du corps qui communique la lumière.

D'abord, dans les êtres composés nous considérons la substance qui reçoit les qualités, et les qualités jointes à la substance. Or de même que par sa nature la blancheur est distinguée du corps blanc; ainsi la puissance du Créateur a réuni des choses distinguées par leur nature. El ne me dites pas qu'il est impossible de les séparer l'une de l'autre. Ni vous, ni moi, nous ne pouvons séparer la lumière du soleil ; mais ce que nous pouvons distinguer par la pensée, le Créateur de l’univers a pu le séparer dans la réalité. Par exemple, pour le feu, il vous est impossible de séparer sa vertu brûlante de son éclat ; mais Dieu, voulant attirer son serviteur par un prodige étonnant, a mis dans le buisson un feu qui n'agissait que de son éclat, et dont la vertu brûlante restait oisive. C’est ce qu'atteste le psalmiste par ces mots : la voix du Seigneur qui rend inutile la flamme du feu. De là, dans les peines et les récompenses des actions de notre vie, certains passages de l’Ecriture nous font entendre, sans le dire clairement, que la nature du feu sera divisée, que sa lumière brillera pour la gloire des justes, et que son activité se fera sentir pour la punition des méchants. Nous pouvons encore trouver une preuve de ce que nous disons dans les phases de la lune. Lorsqu'elle décroît et qu'elle ne luit plus à nos yeux, elle ne perd pas toute sa substance ; mais déposant et reprenant la lumière qui l'environne, elle nous offre des apparences d'augmentation et de diminution. Or, que ce ne soit pas sa substance qui se perde lorsqu'elle ne luit plus, ce que nous voyons en est un témoignage sensible. Si, dans un air pur et dégagé de tout nuage, vous observez la lune dans son croissant, vous pouvez distinguer la partie obscure avec toute la circonférence que nous lui voyons quand elle est pleine et toute éclairée ; en sorte que, si la vue réunit la partie éclairée avec la partie ténébreuse, on aperçoit visiblement son disque parfait. Et ne me dites pas que la lumière de la lune n'est qu'empruntée, parce qu'elle décroît quand elle approche du soleil, et qu'elle augmente quand elle s'en éloigne. Ce n'est pas là ce que nous avons à examiner pour le moment: mais nous disons que sa substance est distinguée de la lumière qui l'éclairé. Pensez la même chose du soleil, excepté qu'ayant une fois pris la lumière et l'ayant mêlée à sa substance, il ne la dépose plus ; au lieu que la lune s'en revêtant et s'en dépouillant tour à tour, prouve, par ce qui se passe en elle-même, ce que nous disons du soleil.

Les corps lumineux reçurent l'ordre de séparer le jour de la nuit. Dieu avait déjà séparé la lumière des ténèbres : alors il rendit leur nature absolument opposée, de sorte qu'elles ne pouvaient avoir commerce ensemble, et que la lumière n’avait rien de commun avec les ténèbres. Ce qui est ombre pendant le jour, doit être appelé ténèbres pendant la nuit. Car si toute ombre vient des corps opaques opposés à un éclat de lumière qu'ils interceptent ; si le matin elle s'étend vers l'occident, le soir vers l'orient, et au midi vers le septentrion, la nuit se retire devant les rayons du soleil, et n'est autre chose que l'obscurcissement de la terre. Ainsi dans le jour l’ombre résulte d'un corps qui intercepte une lumière devant laquelle il se trouve ; et la nuit se forme lorsque l'air qui environne la terre est obscurci. Voilà pourquoi il est dit dans l’Ecriture que Dieu sépara la lumière des ténèbres. Les ténèbres fuient à l'arrivée de la lumière, parce que dans la première création elles ont reçu toutes deux: une nature qui les rend ennemies irréconciliables. Dieu a commandé au soleil de mesurer le jour, et a chargé la lune de régler la nuit lorsqu'elle se montre à nous toute entière. Ces deux corps lumineux sont opposés diamétralement l'un à l'autre. La lune, lorsqu'elle est pleine, disparaît devant le soleil qui se lève ; quand il se couche, elle se lève du côté de l'orient. Que si dans ses autres phases, la lumière de la lune ne remplit point toute la nuit, cela ne détruit pas ce que nous disons maintenant ; tout ce que nous prétendons, c'est que dans son état le plus parfait la lune commande à la nuit, en répandant sur la terre l'éclat dont elle brille au-dessus de tous les astres, et qu'alors elle partage également le temps avec le soleil.

IV. Et qu'ils servent de signes pour marquer les temps, les jours et les années. Les signes que donnent les deux corps lumineux sont nécessaires dans la vie humaine ; et pourvu qu'en interrogeant ces signes on se tienne dans les bornes une sage retenue, une longue expérience fera trouver des observations utiles. On peut acquérir beaucoup de connaissances sur la pluie et sur la sécheresse, sur les vents en général et sur les vents en particulier, sur les vents violents et sur les vents doux. Le Seigneur lui-même, dans l'Evangile, nous parle d'un des signes que donne le soleil : Il y aura de l’orage, dit-il, car le ciel est sombre et rougeâtre (Matth. 16. 3). Lorsque le soleil s'élève à travers un brouillard, ses rayons sont dispersés et obscurcis ; il se montre avec une couleur de sang et de charbon embrasé, l'air chargé de vapeurs ou tirant à nos yeux cette apparence. Il est évident que cet air chargé n'étant pas dissipé par les rayons, ne peut rester suspendu à cause du concours des vapeurs qui s'élèvent de la terre ; mais que, vu l'abondance de l’eau, il se répandra en orage dans les pays sur lesquels il est rassemblé. Pareillement, lorsque le disque de la lune paraît s'étendre, et lorsque des cercles entourent celui du soleil, ce signe annonce, ou une grande quantité de pluies, ou un cours de vents impétueux. Lorsqu'on voit ces images du soleil[48] qui se peignent quelquefois dans la nue, marcher avec lui, c'est le signe de quelque révolution dans l'air. Ainsi ces raies droites qu'on aperçoit dans les nuages et qui imitent les couleurs de l'iris, présagent des pluies ou des tempêtes furieuses, ou en général annoncent qu'il y aura dans l'air quelque grand changement. Ceux qui se sont occupés de ces études ont fait plusieurs observations sur le croissant et le décours de la lune, comme si l'air qui enveloppe la terre suivait nécessairement toutes ses phases. Lorsqu'au troisième jour elle est pure et déliée, c'est l'annonce d'un beau temps invariable. Lorsque son croissant est épaissi et de couleur rougeâtre, c'est la menace d'une grande pluie ou d'un vent violent. Qui est-ce qui ignore combien ces observations sont utiles dans la vie? Le navigateur qui prévoit ce qu'il a à craindre des aquilons, peut retenir son vaisseau dans le port. Le voyageur qui s'attend à des changements dans l'air, peut éviter de loin les effets du mauvais temps. Les laboureurs occupés de la semence des grains et de la culture des plantes peuvent choisir les moments les plus favorables pour leurs travaux. Le Seigneur nous a prédit que le soleil, la lune et les étoiles donneront des signes de la dissolution de l'univers. Et quels seront ces signes? Le soleil sera changé en sang, et la lune ne donnera pas sa lumière (Matth. 24. 29. — Marc. 13. 24).

V. Ceux qui passent les bornes emploient les paroles de l'Ecriture pour soutenir la science astrologique ; ils disent que notre vie dépend du mouvement des cieux, et qu'en conséquence les devins tirent, des astres, des pronostics pour ce qui doit nous arriver. Ces paroles fort simples de l'Ecriture, qu'ils servent de signes, ils les entendent, non des vicissitudes dans l'air, ni des révolutions dans le temps ; mais ils les appliquent, d'après leur opinion, au sort destiné à tous les hommes. Que disent-ils donc? sans doute que le rapport de telles planètes avec les astres du zodiaque, que tel concours entre eux produit telle naissance ; que de tel autre rapport et concours résulte une destinée contraire. Il n'est peut-être pas inutile de reprendre les choses d'un peu haut et de nous expliquer clairement. Je ne dirai rien de moi, mais je me servirai de leurs propres paroles pour les confondre. Je tâcherai de guérir ceux qui sont déjà prévenus de ces opinions dangereuses, et de prémunir les autres contre de pareilles erreurs.

Les inventeurs de l'astrologie ayant remarqué que beaucoup de rapports leur échappaient dans l'espace du temps, l'ont divisé le plus qu'il leur a été possible, en petites portions, selon ce que dit l'Apôtre, en un moment, en un clin d'œil (I. Cor. 15. 52), parce qu'il y a une grande différence entre telle naissance et telle autre. Ils ont prétendu que celui qui était né dans tel instant indivisible, devait commander les villes et les peuples, être distingué pas ses richesses et par sa puissance ; que celui qui était né dans tel autre instant, devait mendier sa vie, errer de ville en ville, aller de porte en porte pour chercher sa nourriture journalière. En conséquence, ils ont divisé en douze parties le cercle du zodiaque, parce que le soleil emploie trente jours à parcourir un douzième de ce cercle. Ils ont divisé chaque douzième en trentièmes, chaque trentième en soixantièmes, et ces soixantièmes en d'autres soixantièmes encore. Considérons les naissances de ceux qui viennent au monde, et voyons si les tireurs d’horoscopes pourront observer cette exactitude de la division du temps. Dès qu'un enfant est né, on examine si c'est un mâle ou une femelle : ensuite on attend ses cris pour savoir s'il est vivant. Combien voulez-vous que dans ce temps il s'écoule de soixantièmes? On dit au devin l'enfant qui est né. Combien pour cela faudra-t-il de petites portions d'une heure, surtout si le tireur d'horoscopes n'est point dans la chambre de la mère? Il faut qu'il marque précisément le temps, soit que ce soit pendant le jour ou pendant la nuit. Combien ne se passera-t-il pas encore de soixantièmes? Il est indispensable qu'il trouve, non seulement à quelle douzième partie du zodiaque, mais à quelle soixantième, à quelle soixantième de soixantième répond l'astre de la naissance, pour savoir quel rapport il avait avec les étoiles fixes, en quel concours elles étaient ensemble au moment où l'enfant est né. Si donc il est impossible de rencontrer l'instant précis, et si la moindre différence fait manquer le tout, ne doit-on pas également se moquer, et de ceux qui s'occupent de cette science chimérique, et de ceux qui consultent avec avidité ces prétendus sa-vans, comme s'ils pouvaient leur apprendre quel sera leur sort? Mais quels sont les résultats de cette science? Un tel, disent-ils, aura les cheveux crépus et de beaux yeux, car il est né sous le bélier ; et telles sont les qualités visibles de cet animal. Il aura aussi une âme grande, parce que le bélier aime à commander. Il sera libéral et aimera à faire de la dépense, parce que ce même animal dépose sans peine sa toison, et qu'il en reçoit aisément une autre de la nature. Celui qui est né sous le taureau supportera le travail et sera disposé à la servitude, parce que le taureau est soumis au joug. Celui qui est né sous le scorpion sera violent et prêt à frapper, à cause de sa ressemblance avec cet animal. Celui qui est ne sous la balance sera juste, parce que, chez nous, les bassins de la balance sont égaux. Peut-on rien imaginer de plus ridicule? Le bélier, d'après lequel vous expliquez la naissance d'un homme, est une douzième partie du cercle appelé zodiaque ; lorsque le soleil y est arrivé, il touche aux signes du printemps. La balance et le taureau sont également chacun une douzième partie de ce cercle. Comment donc tirez-vous de là les principales causes qui influent sur la vie des hommes, et marquez-vous les caractères de ceux qui naissent, d'après les animaux qui vivent sous nos lois? Celui qui est né sous le bélier sera libéral, non parce que cette partie du ciel peut donner ce caractère, mais parce que le bélier a telle nature. Pourquoi donc nous épouvantez-vous en cherchant vos preuves dans les astres, en même temps que vous voulez nous persuader par des bêlements?[49] Si le ciel prend de certains animaux ses caractères particuliers, il est donc soumis lui-même à des principes étrangers, et son existence dépend de brutes qui paissent. Si une telle assertion est ridicule, il est bien plus ridicule encore de chercher ses preuves dans des objets qui n'ont aucun rapport avec ce qu'on avance. Les subtilités de ces prétendus savants ressemblent à des toiles d'araignée, dans lesquelles une mouche, un moucheron, ou quelque autre animal aussi faible, peuvent bien se laisser prendre, mais que des animaux un peu plus forts viennent aisément à bout de rompre, et à travers lesquelles ils passent sans aucune peine

VI. Et ces téméraires ne s'arrêtent pas là : mais une chose qui dépend de notre volonté, je veux dire la pratique du vice et de la vertu, ils en attribuent la cause aux mouvements célestes. Il serait ridicule de les combattre sérieusement ; mais il est peut-être nécessaire d'en faire quelque mention, parce qu'il en est beaucoup qui sont livrés à cette erreur. Demandons-leur d'abord si les positions des astres ne changent pas mille fois le jour. Ceux qu'on appelle planètes, qui ne sont jamais à la même place, dont les uns se rencontrent plus vite, les autres achèvent plus lentement leur course, ces astres se regardent souvent à la même heure et se cachent ; et c'est un grand point dans les naissances d'être regardé par un astre bienfaisant ou par un astre malfaisant, comme ils s'expriment eux-mêmes. Souvent, faute de connaître le moment précis où une naissance était présidée par un astre bienfaisant, parce qu'on ignore une des plus petites divisions du temps, cette époque a été marquée de l’influence d'un astre malfaisant : je suis obligé de me servir de leurs propres expressions Quelle folie dans de pareils discours, ou plutôt quelle impiété ! Les astres malfaisants rejettent la cause de leur malignité sur celui qui les a faits. Car si le mal vient de leur nature, celui qui les a créés sera l'auteur du mal : s'ils sont mauvais par un choix libre de leur volonté, ce seront donc des animaux doués de la faculté de choisir, dont les actes seront libres et volontaires ; ce qu'on ne peut dire, sans extravagance, d'êtres inanimés. Ensuite quelle déraison de ne pas attribuer dans chacun le bien et le mal au choix d'une volonté bonne ou mauvaise ; mais de prétendre qu'un être est bienfaisant parce qu'il est dans telle place, qu'il devient malfaisant parce qu'il est dans telle autre, et qu'après encore, pour peu qu'il s'écarte, il oublie aussitôt sa malignité?

Sans nous arrêter à ces inepties, concluons et disons : Si les astres changent de position à chaque instant, et si, dans ces révolutions diverses, se rencontre plusieurs fois le jour la position d'où résulte la naissance d'un prince, pourquoi ne naît-il pas des princes tous les jours? ou pourquoi les trônes parmi eux sont-ils héréditaires? Chaque prince, sans doute, n'adapte pas la naissance de son fils à une position d'astres propre à cette naissance : aucun homme n'en est le maître. Pourquoi donc Osias a-t-il engendré Joathan, Joathan Achas, Achas Ezéchias? pourquoi aucun d'eux ne s'est-il rencontré au moment marqué pour la naissance d'un esclave? Disons encore : Si le principe des actions vertueuses ou vicieuses n'est pas en nous ; s'il dépend nécessairement de telle naissance, c'est en vain que les législateurs nous marquent ce qu'il faut faire et ne pas faire ; c'est en vain que les juges honorent la vertu et punissent le vice. Ni le voleur ni le meurtrier ne sont coupables, puisqu'ils ne pourraient retenir leurs mains quand ils le voudraient, s’ils sont poussés à agir par une nécessité inévitable. Il est fort inutile de cultiver les arts. Le laboureur aura abondance de fruits sans jeter de semence et sans aiguiser sa faux. Le commerçant, qu'il le veuille ou non, acquerra de grandes richesses qu'amassera pour lui le destin. Les grandes espérances des chrétiens s'évanouiront, parce que la justice ne peut être honorée ni le péché puni, si l'homme ne fait rien librement. Partout où dominent la nécessité et le destin, il ne peut y avoir place au mérite, qui est le fondement essentiel d'un juge-nient juste. En voilà assez sur cet article. Ceux d'entre vous qui pensent bien n'ont pas besoin de plus de paroles et le temps ne permet pas de nous étendre pour attaquer les autres.

VIII. Revenons à l'explication de l'Ecriture.  Qu'ils servent de signes, dit-elle, pour marquer les temps, les jours et les années. Nous avons expliqué le mot signes ; nous pensons que par temps il faut entendre les diverses saisons : hiver, le printemps, l'été et l'automne, que nous fait régler avec ordre le cours périodique des corps lumineux. L'hiver règne lorsque le soleil est dans la partie australe, et qu'il prolonge les ténèbres de la nuit dans nos contrées en sorte que l'air qui nous enveloppe est refroidi considérablement, et que les exhalaisons humides se rassemblant sur nous causent les pluies, les frimas et des neiges abondantes. Lorsque revenant des régions australes, le même astre s'arrête au milieu de sa course, de manière qu'il partage également le jour et la nuit, plus il conserve cette position par rapport à la terre, plus il nous ramené une agréable température. Arrive le printemps qui fait fleurir toutes les plantes, qui fait revivre la plupart des arbres, qui, par une génération successive, conserve toutes les espèces d'animaux terrestres et aquatiques. De là, le soleil s'avançant vers le solstice d'été, dans les contrées septentrionales, nous donne les jours les plus longs. Et comme il séjourne dans l'air fort longtemps, il brûle celui qui est au-dessus de notre tête et dessèche toute la terre, opérant ainsi l'accroissement parfait des semences, et poussant les fruits à leur maturité. Lorsqu'il est le plus brûlant, il accourcit les ombres à midi, parce qu'il éclaire nos contrées de plus haut. Les plus longs jours sont ceux où les ombres sont les plus courtes, comme les jours les plus courts sont ceux où les ombres sont les plus longues. Voilà ce qui nous arrive à nous qui sommes appelés Hétérosciens,[50] et qui habitons les contrées septentrionales. Il est des peuples qui, deux jours de l’année, sont absolument sans ombre à midi, parce que le soleil, perpendiculaire sur leurs têtes, les éclaire également de toutes parts, de sorte que même les puits les plus profonds reçoivent la lumière par les plus étroites embouchures. Quelques-uns appellent ces peuples Aciens. Ceux qui habitent au-delà des contrées odoriférantes,[51] voient, selon les saisons, leurs ombres passer d'un côté à l'autre. Seuls de la terre habitable, ils jettent l'ombre à midi vers les régions australes ; d’où quelques-uns les nomment Amphisciens. Voilà tout ce qui arrive lorsque le soleil s'avance vers la partie septentrionale. De là on peut conjecturer combien les rayons du soleil échauffent l'air, et quels surit les effets de cette chaleur. Après l'été, nous sommes accueillis par la saison de l'automne, qui amortit l'excès du chaud, qui le diminue peu à peu, et qui, par une température moyenne, nous conduit heureusement à l’hiver, dans le temps où le soleil retourne des régions septentrionales aux contrées australes. Telles sont, d'après le cours du soleil, les vicissitudes des saisons qui réglera notre vie.

Qu'ils servent de signes pour les jours, dit l'Ecriture, non pour produire les jours, mais pour les présider : car le jour et la nuit sont plus anciens que la création des corps lumineux. C'est ce que nous déclare le Psalmiste : Il a placé, il le soleil pour commander au jour, la lune et les étoiles pour commander à la nuit (Ps. 135. 8). Et comment est-ce que le soleil commande au jour? C'est que portant en lui la lumière, lorsqu'il monte sur notre horizon il nous donne le jour en dissipant les ténèbres. De sorte qu'on pourrait, avec vérité définir le jour, un air éclairé par le soleil, ou une mesure de temps pendant lequel le soleil demeure sur notre hémisphère.

Le soleil et la lune ont été aussi établis pour les années La lune forme l'année lorsqu’elle a achevé douze fois son cours, excepté qu’on a souvent, besoin d’un mois intercalaire pour le calcul exact des temps. C'est ainsi que les Hébreux et les plus anciens Grecs comptaient d'abord l’année. L'année solaire est le retour dit soleil d'un signe ce même signe, d'après le cours qui lui est propre.[52]

IX. Et Dieu fit deux grands corps lumineux. Comme la grandeur se prend, ou dans un sens absolu, dans lequel sens nous disons que le ciel est grand, que la terre et la mer sont grandes ; ou le plus souvent par comparaison avec un autre corps, ainsi un cheval et un bœuf sont grands, non par l'étendue extraordinaire de leur corps, mais parce qu'on les compare avec des êtres de même nature : dans quel sens prendrons-nous ici l'expression de grandeur? Est-ce dans le sens que nous appelons grande une fourmi, ou quelque autre petit animal, jugeant de leur grandeur par comparaison avec d'autres êtres de même espèce ; ou dans le sens qu'une grandeur absolue se montre dans la constitution des corps lumineux? c'est sans doute dans ce dernier sens. Car le soleil et la lune sont grands, non parce qu'ils sont plus grands que les autres astres, mais parce que telle est leur circonférence, que la splendeur qu'ils répandent éclaire le ciel et l'air, embrasse à la fois la terre et la mer. Dans quelque partie du ciel qu'ils se trouvent, soit qu'ils se lèvent, soit qu'ils se couchent, soit qu'ils soient au milieu de leur course, ils paraissent de toutes parts également grands aux hommes, ce qui est un témoignage évident de leur grandeur immense, parce que, malgré l'étendue de la terre, ils ne paraissent nulle part ni plus grands, ni plus petits. Nous voyons plus petits les objets éloignés ; à mesure que nous en approchons, nous en découvrons la grandeur. Mais personne n'est plus proche plus éloigné du soleil, qui s'offre de la même distance à tous les habitants de la terre. Ce qui le prouve, c'est que les Indiens et les Bretons le voient de la même mesure. Non, il ne paraît ni moins grand, lorsqu'il se couche, aux peuples orientaux, ni plus petit, lorsqu'il se lève, aux nations occidentales ; et, lorsqu’il occupe le milieu du ciel, il ne change ni pour les uns ni pour les autres.

Que l'apparence ne vous trompe pas, et parce qu'il ne vous paraît que d'une coudée, ne croyez point qu'il n'ait qu'une coudée. Dans les longues distances, la grandeur des objets diminue, parce que notre faculté visuelle ne peut parcourir tout l'espace intermédiaire, mais que s'usant, pour ainsi dire, dans l'intervalle, elle n'arrive aux objets qu'avec une petite partie d'elle-même.[53] C'est donc la petitesse de notre vue qui nous les fait juger petits, parce qu'elle transporte sur eux sa propre faiblesse. Or, si notre vue se trompe, il s'ensuit que ce n'est pas un moyen sûr de connaître la vérité. Rappelez-vous ce qui vous est arrivé quelquefois, et vous trouverez dans vous-même la preuve de ce que je dis. Si du sommet d'une haute montagne vous avez jamais jeté les yeux sur une grande étendue de plaine, que vous ont paru les bœufs attelés et les laboureurs eux-mêmes? ne vous ont-ils pas présenté l'apparence de fourmis? Si du haut d'une guérite vous avez promené vos regards sur une vaste mer, que vous ont paru les plus grandes îles? que vous a paru un grand navire porté avec ses voiles blanches sur une plaine d'azur? ne vous ont-ils pas offert l'apparence d'une petite colombe? Pourquoi? c'est, je le répète, que notre vue s'usant dans l'air et s'affaiblissant, est incapable de saisir exactement les objets. Les plus hautes montagnes, coupées de profondes vallées, notre vue nous annonce qu'elles sont rondes et unies, parce que se portant sur les seules éminences, elle ne peut, à cause de sa faiblesse, pénétrer dans les profondeurs intermédiaires. Ainsi elle ne conserve pas les vraies figures des corps, mais les tours quadrangulaires elle les juge ronds. Il est donc prouvé de toutes parts que, dans les grandes distances, nous ne saisissons des corps qu'une forme confuse et imparfaite.

Le soleil est donc un grand corps lumineux, d'après le témoignage de l'Ecriture, et infiniment plus grand qu'il ne nous paraît.

X. Ce qui doit être encore pour vous une preuve manifeste de la grandeur du soleil, c'est que, malgré cette multitude d'astres qui décorent le firmament, toute leur lumière ensemble ne peut suffire à dissiper la tristesse de la nuit ; au lieu que le soleil seul, lorsqu'il paraît sur l'horizon, ou plutôt lorsqu'il est simplement attendu, et avant de se montrer réellement à la terre, fait disparaître l'obscurité, éclipse tous les astres, raréfie et résout en eau l'air épaissi et condensé qui nous enveloppe. De là les vents du matin et ces rosées abondantes[54] qui tombent sur la terre dans un beau jour. Et comment pourrait-il en un instant éclairer tout notre globe, qui est d'une si grande étendue, si le disque d'où part sa splendeur n’était immense? Ici admirez la sagesse de l'Ouvrier suprême ; comment dans une si grande distance, il lui a donné de la chaleur dans une si juste proportion, que les feux qu'il lance ne sont ni assez forts pour brûler la terre, ni assez faibles pour la laisser froide et stérile.

On peut dire à peu près la même chose de la lune. C'est aussi un grand corps lumineux, et le plus éclatant après le soleil. Toute sa grandeur néanmoins n'est pas toujours visible; mais tantôt son disque est entier; tantôt, dans son décours, elle n'en montre qu'une partie. Une partie, lorsqu'elle croît, est obscurcie par les ténèbres ; et la partie éclairée, lorsqu'elle décroît, disparaît à la fin et se cache entièrement. Dans toutes ces variations de figures, le sage Ouvrier a eu sans doute des vues secrètes. En effet, ou il a voulu nous donner un exemple frappant de la fragilité de notre nature, nous apprendre qu'aucune des choses humaines n'est stable, mais que, parmi elles, les unes sortent du néant pour parvenir à leur perfection ; que les autres, lorsqu'elles se sont accrues et qu'elles sont arrivées à leur plus haut point, s'altèrent par des diminutions insensibles et finissent par se détruire. Ainsi la vue de la lune nous instruit de ce que nous sommes ; et nous faisant concevoir une juste idée du changement rapide des choses humaines, elle nous enseigne à ne pas nous enorgueillir des prospérités de ce siècle ; à ne pas nous applaudir de la puissance, à ne pas être fiers de posséder des richesses qui sont passagères, à mépriser notre corps qui est sujet à la corruption, et à avoir loin de notre âme qui est immortelle. Si vous êtes fâché de voir la lune décroître peu à peu et perdre enfin sa lumière, soyez plus fâché encore de voir votre âme, lorsqu'elle est décorée de la vertu, perdre sa beauté par votre négligence, ne pas rester dans la même situation, mais varier et changer fréquemment par l'inconstance de votre esprit. L’insensé, dit avec vérité l'Ecriture, est changeant comme la lune (Eccl. 27. 12). Je crois aussi que les variations de la lune sont fort utiles pour la constitution des animaux et pour les productions de la terre: car les corps sont disposés différemment lorsqu'elle croît ou lorsqu'elle décroît. Lorsqu'elle décroît, ils se raréfient et deviennent vides;[55] lorsqu'elle croît, et qu'elle s'avance vers la plénitude de son disque, ils se remplissent de nouveau, parce que sans doute elle leur communique insensiblement un certain humide mêlé de chaud qui pénètre jusqu'à l'intérieur. Nous en avons une preuve dans ceux qui dorment au clair de la lune, dont la capacité de la tête se remplit d'une humidité abondante ; dans les chairs d'animaux récemment tués, qui changent dès que la lune paraît ; dans les cerveaux des animaux terrestres, dans les plus humides des animaux maritimes, enfin dans la moelle des arbres. La lune ne pourrait produire tous ces changements par ses variations, si elle n’avait une vertu puissante et extraordinaire.

XI. Les diverses phases du même astre influent aussi sur les divers mouvements de l'air, comme l'attestent les tempêtes subites qui surviennent souvent lorsqu'elle est nouvelle, après le temps le plus calme et le plus serein, les nuées étant agitées et se rencontrant l’une l'autre ; comme l'attestent encore les flux irréguliers des bras de mer,[56] le flux et le reflux de l'océan, qui, d'après les observations des peuples maritimes, suit exactement les variations de la lune. Dans les phases qui précèdent et qui suivent le renouvellement de la lune, les bras de mer coulent à droite et à gauche; c'est lorsqu'elle est nouvelle, qu'ils ne sont point un moment tranquilles, mais qu'ils éprouvent une agitation et un continuel balancement, jusqu'à ce que, paraissant de nouveau, elle donne au reflux quelque régularité. La mer Occidentale, sujette aux flux et reflux, tantôt revient sur ses pas, tantôt se déborde, comme si les inspirations de la lune la ramenaient en arrière, et que ses expirations la poussassent en avant jusqu'à une certaine mesure.

Dans tout ce qui précède, j'ai voulu montrer la grandeur des corps lumineux, et prouver qu'il n'y a pas un mot d'inutile dans les divines Ecritures. Cependant, nous n'avons pas touché les articles les plus essentiels; et en examinant avec attention la vertu et la puissance du soleil et de la lune, on pourrait faire beaucoup de découvertes sur leur grandeur et leur distance. Il faut donc reconnaître sincèrement notre faiblesse, afin qu'on ne mesure pas sur nos discours la grandeur des choses créées, mais que le peu que nous avons dit fasse penser à ce que doit être ce que nous avons omis. Ne jugez donc point par les yeux de la grandeur de la lune, mais par le raisonnement qui est beaucoup plus sûr que les yeux pour découvrir la vérité. On a répandu de toutes parts à son sujet des fables ridicules, qui sont les contes de vieilles femmes ivres; on dit que, par certains enchantements, on la fait sortir de sa place et descendre sur la terre. Quel enchanteur pourrait donc déplacer un astre qu'a fondé le très Haut lui-même? ou quel lieu l’aurait reçu quand il aurait été déplacé? Voulez-vous que je vous démontre par des preuves fort simples la grandeur de la lune? Les villes de la terre les plus éloignées les unes des autres, dans tous les endroits tournés vers son lever, reçoivent également sa lumière. Or, si elle ne se présentait pas à toutes en face, il y aurait des endroits qu'elle éclairerait tout entiers et directement; il y en aurait d'autres quelle ne frapperait que de côté et faiblement par des rayons inclinés. C'est ce qu'on remarque par rapport aux lampes allumées dans les maisons. Lorsque plusieurs personnes environnent une lampe, l’ombre de celui qui reçoit la lumière directe, est jetée en arrière directement, tandis que les ombres des autres s'étendent à droite et à gauche. Si donc le disque de la lune n’était pas d'une grandeur immense et au-dessus de ce que nous imaginons, il ne se communiquerait pas également à tous. Lorsque la lune se lève dans les contrées équinoxiales, les habitants des pôles, ceux des zones glaciale et torride, participent également à sa lumière ; et comme elle se présente en face à tous dans la largeur du globe, c'est la preuve la plus claire de sa vaste circonférence. Qui pourra en disconvenir, quand elle s'offre avec la même mesure à de si grandes distances?

Nous n'en dirons pas davantage sur la grandeur du soleil et de la lune. Que celui qui nous a donné l'intelligence pour comprendre par les plus petits objets de la création la grande sagesse de l'Ouvrier suprême, nous accorde de concevoir par les grands objets de plus grandes idées du Créateur. Toutefois devant le souverain Etre le soleil et la lune sont comme le moucheron et la fourmi. Ces beaux astres eux-mêmes ne peuvent nous en donner une idée suffisante, et nous tien pouvons prendre d'après eux que des notions légères et imparfaites, comme d’après les plus petits des animaux et les plus viles des plantes. Contentons-nous de ce qui a été dit, et rendons grâces, moi, à celui qui m'a gratifié de ce ministère de la parole; vous, à celui qui vous alimente de nourritures spirituelles, et qui, par ma faible voix, vient de vous nourrir encore d'un pain grossier. Puisse-t-il vous nourrir toujours et vous donner, en proportion de votre foi, la manifestation de l'esprit, en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE SEPTIÈME.

SUR LES REPTILES.

SOMMAIRE.

 

Cette homélie a été prononcée le soir, et offre avec la suivante le cinquième jour de la création. L'orateur, sans aucun préambule, entre tout de suite en matière. Et Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles animés. Ces reptiles animés, ce sont les poissons. Saint Basile décrit avec beaucoup d'intérêt leur nature commune, leurs espèces particulières, leur manière de vivre, leurs voyages, toutes les qualités propres à chaque espèce, en accompagnant ses descriptions de réflexions pieuses et morales pour instruire et édifier ses auditeurs.

Dieu dit : Que les eaux produisent des reptiles animés, selon leur espèce, et des oiseaux qui voient dans le firmament du ciel selon leur espèce. Après la création des corps lumineux, les eaux aussi se remplirent d'animaux, et cette partie de la nature reçut aussi son ornement. La terre avait reçu le sien par les productions qui lui sont propres ; aussi bien que le ciel par les astres qui sont comme des fleurs dont il est parsemé, et par les deux grands corps lumineux qui sont comme les deux yeux de tout le corps céleste. Il restait à donner aux eaux l'ornement qui lui était convenable. Un ordre du Seigneur est parti, aussitôt les fleuves ont la vertu de produire ; les lacs enfantent les êtres qui leur sont naturels, la mer engendre toutes les espèces d'animaux nageurs ; l'eau même des marais n'est pas oisive, elle contribue pour sa part à l'accomplissement de la création. On en vit sortir, sans doute, les grenouilles et une infinité d'insectes volants. Ce que nous voyons encore aujourd'hui est une preuve de ce qui s'est opéré dans l'origine. Ainsi toutes les eaux s'empressèrent d'obéir à l'ordre du Créateur. Tous ces êtres dont il serait impossible de compter les espèces, la grande et ineffable puissance de Dieu les montra vivants et se mouvant, les eaux ayant reçu, avec l'ordre du souverain Maître, la faculté de les produire.

Que les eaux produisent des reptiles animés. C'est pour la première fois qu'est créé un être anime et pourvu de sentiment. Quoique les plantes et les arbres vivent en quelque manière, puisqu'ils sont de nature à se nourrir et à croître, ce ne sont cependant pas des êtres vivants et animés. Ainsi, dit l'Ecriture, que les eaux produisent des reptiles. Tout ce qui nage sur la surface de l'eau, tout ce qui fend cette même eau dans sa profondeur, est du genre des reptiles, puisqu'il se traîne. Certains animaux aquatiques, il est vrai, ont des pieds et marchent : ce sont surtout les amphibies, tels que les veaux et chevaux marins, les grenouilles, les crabes, les crocodiles : mais la principale espèce sont des reptiles nageurs. C'est pour cela qu'il est dit: Que les eaux produisent des reptiles. Dans ce peu de paroles quelle espèce est omise? quelle espèce n'est pas comprise dans ce simple ordre? On y voit les animaux vivipares, tels que les veaux marins, les dauphins, les torpilles, et autres semblables, qui sont appelés cartilagineux ; on y voit les ovipares, tels que presque toutes les espèces de poissons, on y voit tous ceux qui ont des écailles ou une espèce d'écorce ou de croûte, tous ceux qui ont des nageoires ou qui n'en ont point : une seule parole qui contient un ordre ; ou plutôt ce n’était pas une parole, mais un simple indice, un simple mouvement de volonté. Le sens renfermé dans un ordre fort simple, est aussi étendu que les espèces différentes et communes des poissons, lesquelles espèces il n'est pas moins difficile de nombrer exactement que de compter les flots de la mer, ou de mesurer ses eaux dans le creux de la main. Que les eaux produisent des reptiles. Parmi ces animaux sont ceux qui vivent sur les rivages ou au fond de la mer, seuls ou en troupes, ceux qui s'attachent aux rochers, les poissons les plus petits et les plus énormes : car la même puissance et un seul ordre ont donné l'être à tout ce qu'il y a de plus petit et de plus grand. Que les eaux produisent. Ces paroles vous montrent le rapport naturel que les animaux nageurs ont avec l'eau. Aussi, pour peu que les poissons soient séparés de l'eau, ils meurent. Car ils n'ont pas un organe pour attirer et renvoyer l'air que nous respirons ; mais l’eau est pour les animaux nageurs ce que l'air[57] est pour les animaux terrestres. La raison en est manifeste. Nous avons un poumon, viscère poreux et spongieux, lequel recevant l'air par la poitrine qui s'étend, évente et rafraîchit notre chaleur intérieure. Dans les poissons, l'allongement et le resserrement des ouïes ou nageoires qui reçoivent l'eau et qui la l'envoient, leur tient lieu de respiration. Les poissons ont un sort à part, une nature particulière, une vie qui leur est propre, une manière de vivre qui n'appartient au à eux. Aussi aucun des animaux nageurs ne se laisse apprivoiser, et ne veut se soumettre à la main de l’homme.

II. Que les eaux produisent des reptiles animés selon leur espèce. Dieu ordonne maintenant de produire les prémices de chaque espèce, qui sont comme les germes de la nature: quant à la multitude des individus, il les réserve pour la suite des générations, quand il faudra qu'ils croissent et qu'ils se multiplient. Il est une espèce aussi étendue que variée ; ce sont les poissons à écailles et à coquilles, tels que les conques, les pétoncles, les strombes, et tous ceux du même genre. Quelques-uns ont une enveloppe moins dure, tels que les crabes, les écrevisses, et toutes les espèces semblables. Plusieurs ont la chair molle et flasque, les polypes, les sèches, et autres de même nature. Toutes ces espèces sont variées à l'infini. Pour les dragons, les lamproies, les couleuvres qui naissent dans les étangs et dans les marais, s’approchent moins, par leur constitution, de ce qu'on appelle poissons que des reptiles venimeux. L'espèce des vivipares est différente de celle des ovipares. Cette dernière comprend tout ce qui est nommé cartilagineux. La plupart des cétacées[58] sont vivipares; par exemple, les dauphins et les veaux marins. On prétend que lorsque leurs petits, tout récemment nés, sont effrayés par quelque cause, ils les renferment de nouveau dans leurs entrailles pour les y mettre à l'abri. Que les eaux produisent selon l'espèce. L'espèce des plus grands poissons est autre que celle des plus petits. Leurs noms, leur nourriture, leurs formes, leur grandeur, les qualités de leur chair, tout cela les distingue les uns des autres, tout cela constitue une infinité d'espèces diverses et de genres différents. Ceux qui ont observé les thons pourraient-ils nous détailler même les différences des espèces, quoique, dans la grande multitude de poissons, ils s'étudient à compter jusqu'aux individus? Quelqu'un de ceux qui ont vieilli sur les côtes et sur les rivages pourrait-il nous donner une connaissance exacte de tous les animaux aquatiques? Les peuples voisins de la mer Indienne en connaissent qu’ignorent les peuples qui habitent près le golfe Egyptien, qu'ignorent les Maurusiens et insulaires, et ainsi réciproquement. C'est le premier ordre du Créateur, c'est sa puissance merveilleuse qui a donné l’être à tous ces animaux grands et petits.

Que de diversités dans la manière de vivre des poissons et dans celle de se reproduire ! La plupart d'entre eux ne couvent pas leurs œufs comme les oiseaux, ils ne construisent pas de nids, et ne nourrissent pas leurs petits avec soin et inquiétude : mais l'eau reçoit l'œuf et en fait un animal.[59] Il est impossible de mêler les espèces, et il ne peut y avoir parmi eux de mulets, comme sur la terre parmi les quadrupèdes, et même parmi certains oiseaux. Aucun poisson n'a une seule rangée de dents, comme chez nous le bœuf et la brebis : car aucun ne rumine, excepté le scare,[60] à ce que quelques-uns rapportent. Tous sont munis de deux rangées de dents très serrées et fort aiguës, de peur que mâchant lentement la nourriture, elle ne leur échappe. Si elle n’était promptement brisée, et si elle ne passait aussitôt dans l’estomac, elle pourrait être emportée par l’eau tandis que l’animal la broierait.

III. Chaque espèce de poisson a sa nourriture particulière. Les uns se nourrissent de limon, les autres d'algue, d'autres se contentent des herbes qui naissent dans l'eau. La plupart chez eux se dévorent les uns les autres, et le plus petit sert d'aliment au plus grand. S'il arrive quelquefois que celui qui en a dévoré un plus petit devienne la proie d'un autre, ils sont engloutis tous deux dans le ventre du dernier. Que font autre chose les hommes, lorsqu'abusant de leur puissance ils oppriment ceux qu'ils dominent? en quoi diffère du dernier poisson l'homme qui, affamé de richesses, engloutit les faibles dans le gouffre d'une cupidité insatiable? Tel homme possédait les biens du pauvre; vous avez envahi ses possessions pour grossir votre opulence : vous vous êtes montré plus injuste que l'injuste, plus cupide que le cupide. Prenez garde à éprouver le sort des poissons, et de vous trouver enfin pris à l'hameçon, dans la nasse ou dans le filet (Matth. 13. 47 et 48) Si nous nous permettons une foule d'injustices, nous ne pourrons nous soustraire aux peines les plus rigoureuses. Je veux aussi, en vous apprenant les ruses et les artifices d'un faible animal, vous engager à fuir les exemples, des méchants. Le crabe aime beaucoup la chair de l'huître. Mais cette proie n'est pas facile à prendre, parce que l'huître est couverte d'une très dure écaille dont la nature a muni sa chair si tendre. Et comme deux cavités appliquées l'une sur l'autre l'enferment exactement, les pinces du crabe deviennent nécessairement inutiles. Que fait-il donc? Lorsque, dans un lieu paisible, il voit l'huître étaler au soleil ses écailles ouvertes, et se chauffer à ses rayons, il y jette adroitement un petit caillou, les empêche de se refermer, et par là obtient ce qu'il désire en suppléant à la force par l'adresse. Telle est la ruse d'animaux qui n'ont ni la raison ni la parole. En admirant l'habileté des crabes à se procurer leur nourriture, vous devez vous abstenir de faire tort à votre prochain. Celui-là ressemble au crabe qui emploie la ruse avec son frère, qui profite des contretemps de son prochain, qui tourne à son avantage les malheurs d'autrui. Craignez d'imiter ceux que tout le monde blâme. Contentez-vous de ce que vous avez. La pauvreté, pourvu qu'on ait le nécessaire, est préférable pour le sage à toutes les richesses. Je ne dois pas ici omettre la ruse du polype[61] pour saisir sa proie. Comme il prend la couleur du rocher où s'attache, beaucoup de poissons en nageant vont tomber sur lui sans y faire attention, et deviennent la proie de cet animal rusé. Tel est le caractère de ceux qui, bassement soumis aux puissances, et s'accommodant aux conjonctures, changent aisément de système et de conduite, honorent la sagesse avec ceux qui sont sages, sont intempérants avec les intempérants, n'agissent et ne pensent que pour plaire à ceux qu'ils veulent flatter. Il est difficile d'éviter ces personnes et de se garantir du mal qu'elles peuvent faire, parce qu'elles ont grand soin de cacher leurs mauvaises intentions sous le masque de l'amitié. Ce sont de tels hommes que le Seigneur appelle des loups ravissants qui se montrent sous la peau de brebis (Matth. 7. 15). Fuyez les caractères doubles et trompeurs; recherchez la vérité, la sincérité, la simplicité. Le serpent est plein de dissimulation; aussi a-t-il été condamné à ramper. Le juste est simple et sans fard comme Jacob (Gen. 25. 27) ; aussi le Seigneur fait-il habiter dans sa maison ceux qui ont un cœur droit et simple (Ps. 67. 7). La mer, dit le Psalmiste, est d'une grande et caste étendue : elle renferme un nombre infini de reptiles, une multitude de grands et de petits animaux (Ps. 103. 25). Cependant il règne parmi ces animaux un ordre et une police admirables. Car si nous trouvons dans les poissons des qualités particulières que nous devons éviter, nous en trouvons aussi que nous pouvons imiter. Chacune des espèces s'est choisi une région qui lui est convenable ; elles n'empiètent pas sur les demeures les unes des autres, mais elles restent dans les limites qui leur sont propres. Aucun géomètre ne leur a distribué leurs habitations, ne les a enfermées dans des murs, ne leur a assigné des bornes. D'elles-mêmes elles se sont marqué les lieux qui leur sont utiles. Tel golfe nourrit telles espèces de poissons, tel autre golfe en nourrit d'autres. Tels poissons qui abondent dans un endroit se trouvent à peine ailleurs. Aucune montagne étendant au loin ses sommets escarpés ne les sépare, aucun fleuve ne leur ferme les passages ; mais une loi de la nature prescrit à chaque espèce, avec justice et selon son avantage, une manière de vivre particulière.

IV. Mais nous, combien ne différons-nous pas de ces animaux ! Comment cela? Nous remuons ces bornes éternelles qu’avaient placées nos pères (Prov. 22. 28) : nous joignons maison à maison et champ à champ, afin de dépouiller notre prochain. Les monstres de la mer, fidèles à la manière de vivre qui leur a été prescrite par la nature, occupent, loin des pays habités, une mer où il n'y a aucune île, en face de laquelle ne se trouve aucun continent ; une mer qu'on n'a jamais parcourue,[62] parce que, ni le désir de s'instruire, ni aucune nécessité n'engage les hommes à tenter cette navigation périlleuse. Habitants de cette mer, ces poissons énormes, qui, par leur grosseur, si l’on en croit ceux qui en ont vu, ressemblent à de hautes montagnes, restent dans les limites qui leur sont propres, sans nuire aux îles, ni aux villes maritimes. Ainsi chaque espèce s'arrête dans les parties de la mer qui lui ont été marquées, comme dans des villes, ou dans des bourgs, ou dans des patries anciennes.

Il est des poissons voyageurs,[63] qui sont envoyés dans des pays éloignés comme d'après une délibération commune, et qui partent tous, pour ainsi dire, à un seul signal. Lorsque le temps de faire leurs petits est arrivé, avertis et excites par une loi commune de la nature, ils sortent à la fois de divers golfes, et s'avancent en hâte vers la mer Septentrionale. Au temps de la marée montante, on voit les poissons se rassembler et se répandre comme un torrent par la Propontide, vers le Pont-Euxin. Qui est-ce qui les fait partir? quel est l’ordre du prince? quel édit affiché dans une place publique annonce le jour du départ? quels sont ceux qui conduisent les troupes? Vous voyez la Providence divine qui exécute tout, et qui entre dans les plus petits détails. Le poisson observe fidèlement la loi du Seigneur; et les hommes ne peuvent obéir à des préceptes salutaires ! Ne méprisez pas les poissons, parce que ce sont des êtres muets et dépourvus d'intelligence ; mais craignez d'être plus déraisonnable que ces animaux, en vous opposant à l’ordre établi par le Créateur. Ecoutez les poissons dont la conduite est comme une voix qui vous crie : C'est pour la conservation de notre espèce que nous faisons ce long voyage. Ils ne sont pas doués de raison; mais ils ont au-dedans d'eux-mêmes une loi forte de la nature qui leur montre ce qu'ils ont à faire. Nous marchons, disent-ils, vers la mer Septentrionale ; cette eau est plus douce que toutes les autres, parce que le soleil, qui y séjourne fort peu de temps, n'en pompe pas avec ses rayons toute la partie potable. Les habitants mêmes de la mer aiment les eaux douces. Aussi s'éloignent-ils souvent de la mer et remontent-ils vers les fleuves. C'est là encore pourquoi ils préfèrent le Pont-Euxin aux autres golfes, comme plus propre à la génération et à la nourriture de leurs petits. Lorsqu'ils ont rempli suffisamment leurs vœux, alors tous ensemble ils retournent dans leur patrie. Quelle en est la cause? apprenons-la de la bouche de ces êtres muets. La mer Septentrionale, disent-ils, lest peu profonde; elle est exposée dans toute son étendue à la violence des vents, ayant peu de rivages, de baies et de rades. Aussi les vents bouleversent-ils facilement jusqu'au fond de ses abymes, de sorte que le sable qu'ils enlèvent se mêle avec les flots. De plus, elle est froide en hiver, étant remplie d'un nombre de grands fleuves. Après donc que les poissons en ont joui pendant l’été dans une certaine mesure, ils regagnent en hiver des mers plus profondes et plus tempérées. Ils reviennent dans des régions exposées au soleil ; et fuyant les vents incommodes du septentrion, ils se réfugient dans des golfes moins agités.

V.  J'ai fait ces remarques, et j'ai admiré en tout la sagesse de Dieu. Si les brutes ont de la prévoyance et si elles pourvoient à leur salut; si le poisson sait ce qu'il doit faire et ce qu'il doit éviter, que diront les hommes qui sont honorés de la raison, instruits par la loi, excités par les promesses, éclairés par l'Esprit divin, et qui se conduisent moins raisonnablement que des poissons? Des poissons savent prévoir l'avenir : et nous, négligeant de porter nos espérances dans l'avenir, nous consumons notre vie dans des voluptés brutales. Le poisson change de mers pour trouver son avantage : que pourrez-vous dire, vous qui languissez dans l'oisiveté, la source de tous les vices? Nous ne pouvons prétexter l'ignorance ; nous avons en nous-mêmes une raison naturelle, qui nous apprend à rechercher ce qui est bon, et à fuir ce qui est nuisible.

Je m'arrête à des exemples pris dans la mer, puisque la mer est l'objet qui nous occupe. J'ai entendu dire à un habitant des côtes, que le hérisson de mer, animal fort petit et méprisable, est souvent, pour les navigateurs, un maître qui les avertit du calme et de la tempête. Lorsqu'il sent que les flots vont être soulevés par les vents, il prend un gros caillou sur lequel il s'appuie et se balance fermement comme sur une ancre, et dont le poids l'empêche d'être entraîné aisément par les flots. Lorsque les marins aperçoivent ce signe, ils savent qu'on est menacé d'une violente agitation des vents. Aucun astrologue, aucun devin, conjecturant d'après les levers des astres les mouvements de l'air, n'a donné de leçons à l'animal dont nous parlons ; mais le souverain Maître de la mer et des vents a imprimé dans un petit être des traces sensibles de sa grande sagesse. Dieu a pourvu à tout, il n'a rien négligé. Cet œil qui ne repose jamais, examine tout: il fournit à tous les êtres ce qui est nécessaire à leur conservation. Sa providence s'est étendue jusque sur le hérisson de mer, et elle ne s'occuperait pas de ce qui vous regarde !

Epoux, aimez vos femmes (Eph. 5. 25), quand même, avant d'être unis par le mariage, vous seriez les plus étrangers l'un à l'autre. Ce lien avoué par la nature, ce joug imposé par la religion, doit rapprocher les êtres les plus éloignés. La vipère, le plus affreux des reptiles, désire de contracter une espèce de mariage avec la lamproie maritime,[64] et annonçant sa présence par un sifflement, elle l'invite à sortir du fond des flots pour former avec elle cette union. La lamproie se rend à ses désirs, et s'unit avec l’animal venimeux. Quel est mon but en vous rapportant cette histoire? c'est de vous apprendre que la femme doit supporter son mari, quelque dur et quelque féroce qu'il soit; qu'elle ne doit travailler pour aucune cause à rompre son mariage. Il est violent ! mais c'est votre époux. Il s'enivre ! mais il vous est uni par un lien naturel. Il est brutal et intraitable ! mais c'est une portion de vous-même, et la portion la plus précieuse.

VI. Que l'homme écoute aussi la leçon qui lui est convenable. La vipère vomit son poison par égard pour le mariage; et vous, par respect pour l'union maritale, vous ne déposeriez pas la dureté et la férocité de votre caractère ! L'exemple de la vipère nous sera peut-être encore utile sous un autre rapport. Son union avec la lamproie est une sorte d'adultère dans la nature. Que ceux qui tendent des pièges aux mariages d'autrui apprennent donc à quel reptile ils se rendent semblables. Mon seul but est de chercher de toutes parts à édifier l'Eglise. Instruits par des exemples terrestres et maritimes, que les intempérants sachent réprimer leurs passions.

La faiblesse de mon corps et la fin du jour m'obligent de terminer ici cette instruction ; car j’aurais encore à ajouter, pour ceux qui m'écoutent avec plaisir, bien des remarques propres à exciter l'admiration, sur les productions de la mer et sur la mer elle-même. Je pourrais dire comment ses eaux s'épaississent en sel ; comment le corail,[65] cette pierre si précieuse, qui dans la mer est une plante, prend la dureté d'une pierre lorsqu'il est tiré et exposé à l'air; comment la nature a mis la perle du plus grand prix dans l’écaille du plus vil animal. Oui, ce que désirent les trésors des princes, est jeté sur les rivages et sur les rochers, enfermé dans l'écaillé d'un poisson méprisable.[66] Je pourrais dire comment certains coquillages fournissent une laine d'or qu'aucun artisan n'a pu encore imiter; comment d’autres enrichissent les rois d'une pourpre qui, par sa couleur, efface les plus belles fleurs des prés. Que les eaux produisent. Et que n'ont-elles pas produit de choses nécessaires ou précieuses, soit pour servir aux besoins de l'homme, soit pour lui faire contempler et admirer les merveilles de la création? Il est d'autres objets, qui sont terribles et qui instruisent notre paresse. Dieu créa les grands poissons (Gen. 1. 21). Ils sont appelés grands, non parce qu'ils sont plus grands que la squille et l'anchois, mais parce que la masse de leur corps les égale aux plus hautes montagnes. On les prend souvent pour des îles, lorsqu'ils s'élèvent au-dessus de l'eau. Ces poissons énormes ne demeurent pas sur nos rivages, mais habitent la mer Atlantique. Tels sont les animaux qui ont été créés pour nous étonner et nous épouvanter. Mais si l’on vous dit qu'un très petit poisson, le remore,[67] arrête un très grand navire, qui, les voiles étendues, vogue au gré d'un: vent favorable, et qu'il l’arrête au point de le tenir longtemps immobile, comme s'il était enraciné au fond de la mer, ne trouvez-vous pas encore dans ce petit animal une preuve de la puissance du Créateur? Ce ne sont pas seulement certains poissons voraces qui sont redoutables ; l'aiguillon de la trygone marine,[68] même lorsqu'elle est morte, et le lièvre de mer, ne sont pas moins à craindre, puisqu'ils causent une mort prompte et inévitable. Par là, le Créateur veut que vous soyez toujours vigilants et attentifs, afin que, mettant votre espérance en Dieu, vous évitiez, le mal que ces animaux peuvent vous faire. Mais sortons des abymes de l'océan, et cherchons un refuge sur la terre. Les merveilles de la création se succédant pour nous les unes aux autres, semblables à des flots qui se poussent sans cesse, ont comme inondé notre discours. Cependant je serais surpris si, rencontrant sur la terre des choses encore plus admirables, je ne cherchais pas, ainsi que Jonas, à retourner vers la mer. Il me semble que tombant sur une infinité de merveilles, j'ai oublié de me tenir dans de justes bornes, et que j'ai éprouvé ce qu'éprouvent les navigateurs, qui ignorent souvent quelle course ils ont fournie, faute de terme fixe pour en. Juger. Il m'est arrivé à moi-même, en parcourant la création, de ne pas m'apercevoir de la longueur du discours que je vous adressais. Mais quoique cette assemblée respectable ait quelque plaisir à m'entendre, quoique le récit des merveilles du souverain Maître soit agréable aux oreilles des serviteurs, finissons ici notre instruction, et attendons le jour pour expliquer ce qui reste. Levons-nous tous, rendons grâces à Dieu pour ce qui a été dit déjà, et prions-le de nous faire arriver au terme. Puissent les récits dont je vous ai entretenus ce matin et ce soir, vous servir de mets lorsque vous prendrez votre nourriture! Occupés pendant votre sommeil des réflexions que je vous ai faites, puissiez-vous, même en dormant, jouir des agréments du jour! puissiez-vous dire avec Salomon: Je dors, et mon cœur veille (Cant. 5. 2), mon cœur qui inédite jour et nuit la loi du Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE HUITIÈME,

DES OISEAUX.

 

SOMMAIRE.

Dans cette homélie prononcée le matin, l'orateur commence comme s'il allait parler des animaux terrestres, et entame tout de suite son sujet. Et Dieu dit : Que la terre produise une âme vivante... Après avoir réfuté en peu de mots une erreur des Manichéens qui donnaient une âme à la terre, il compare les animaux nageurs aux animaux terrestres : il prouve par quelques réflexions générales et quelques exemplaires particuliers, que ceux-ci ont une vie beaucoup plus parfaite, une âme qui gouverne toute la machine, bien différente cependant de l’âme humaine. Il montre en quoi consiste cette différence et se prépare à continuer, lorsque tout à coup il s'interrompt, en supposant que plusieurs de ses auditeurs se font des signes comme s'il avait omis quelque article essentiel. En effet, il avait oublié de parler des animaux volatils qui tiennent le milieu entre les animaux nageurs et les animaux terrestres. Il annonce donc qu'il va parler des oiseaux. Et d'abord il examine pourquoi l'Ecriture les fait sortir des eaux ainsi que les poissons : Que les eaux produisent des reptiles animés et des oiseaux gui volent sur la terre. Si la raison qu'il en apporte, ainsi que nous l'avons déjà observé, paraît faible, et si l'on n'en trouve pas de meilleure, il suffira de dire que Dieu a agi de la sorte parce qu'il l'a voulu. Les descriptions des oiseaux en général, et de quelques espèces particulières des insectes volants, et principalement de l'abeille, que, suivant l'usage d'anciens naturalistes, l'écrivain place dans la classe des oiseaux ; ces descriptions, dis-je, sont accompagnées de réflexions morales et religieuses. Saint Basile termine son homélie en demandant excuse à ceux qui l'écoutent de la longueur de son discours, et en leur montrant qu'il est de leur intérêt de ne point se lasser d'écouter la parole sainte.

I. Et Dieu dit: Que la terre produise une âme vivante, selon l’espèce (c'est-à-dire, des animaux vivants, selon leur espèce), des animaux domestiques, des reptiles, des bêtes sauvages, selon leur espèce ; et cela se fit ainsi. L'ordre du Seigneur se fait entendre en avançant toujours, et la terre reçoit l'ornement qui lui est propre. Que les eaux produisent des reptiles animés, avait-il dit d'abord. Que la terre, dit-il ici, produise une âme vivante. Est-ce que la terre est animée? et la folie des Manichéens,[69] qui donnent une âme à la terre, aurait-elle lieu? Parce qu’on lui a dit: Quelle produise, ce n'est pas qu'elle ait produit ce qui était en elle; mais le Dieu qui lui a donné l’ordre, lui a donné en même temps la vertu de produire. En effet, parce qu'il a été dit à la terre : Quelle produise de l'herbe verte et des arbres fruitiers, il ne s'ensuit pas qu'elle ait produit l'herbe cachée dans son sein, ni qu'elle ait fait paraître sur sa surface le palmier, le chêne, le Cyprès, cachés dans ses entrailles ; mais la parole divine est le principe naturel des choses créées. Que la terre produise, c'est-à-dire, non pas : Qu'elle produise ce qu'elle a; mais : Qu'elle acquière ce qu’elle n'a pas, Dieu lui donnant la vertu d'agir et de produire. Ainsi à présent : Que la terre produise une âme, non une âme qui soit en elle, mais une âme qui lui soit donnée par l’ordre de Dieu. Ajoutez que nous tournerons contre les hérétiques leurs propres paroles. Car si la terre a produit une âme, elle s'est donc laissée elle-même dépourvue d'une âme. Mais voici de quoi confondre leur opinion perverse. Pourquoi les eaux ont-elles reçu l’ordre de produire des reptiles animés, et la terre une âme vivante? Remarquons que par leur nature les animaux nageurs semblent n'avoir qu'une vie imparfaite, parce qu'ils vivent dans l'élément épais de l'eau. Leur ouïe est grossière ; leur vue est émoussée, n'ayant que l'eau à travers laquelle ils regardent; ils n'ont ni mémoire, ni imagination, ni sentiment de l’habitude. Aussi l'Ecriture paraît faire entendre que, dans les animaux aquatiques, une vie charnelle préside à leurs mouvements vitaux; au lieu que, dans les animaux terrestres, dont la vie est plus parfaite, une âme est chargée du gouvernement de toute la machine. La plupart des quadrupèdes ont des sens plus actifs ; ils saisissent vivement le présent, ils se rappellent exactement le passé. Il semble donc que les animaux aquatiques ont été créés avec des corps animés, puisque des reptiles animés ont été produits par les eaux ; tandis que pour les animaux terrestres une âme a été chargée de gouverner les corps, ces animaux ayant reçu une plus grande portion de faculté vitale. Ils sont sans doute eux,-mêmes dépourvus de raison ; mais cependant chacun d'eux, par une voix qu'il a reçue de la nature, manifeste des affections spirituelles. Il annonce par un cri naturel, la joie, la tristesse, le sentiment de l'habitude, le besoin de nourriture, la peine d'être séparé de ceux avec lesquels il paît l'herbe, et mille autres affections. Les animaux aquatiques, non seulement sont muets, mais encore incapables d'être apprivoisés, d'être instruits, d'être formés à aucune société avec l'homme. Le bœuf reconnaît celui auquel il appartient, et l'âne l’étable de son maître (Is. 1. 3); le poisson ne pourrait reconnaitre celui qui le nourrit. L'âne reconnaît la voix à laquelle il est accoutumé, il reconnaît le chemin par ou il a souvent marché, quelquefois même il remet dans sa route l’homme qui s'égare. On prétend que la subtilité de l'ouïe de cet animal est supérieure à celle de tous les animaux terrestres. Quel être vivant dans la mer pourrait imiter cette propriété du chameau, de se souvenir du mal qu'on lui a fait, et d'en conserver un ressentiment profond? Le chameau frappé en garde longtemps le ressentiment dans son cœur, et il s'en venge lorsqu'il en trouve l'occasion. Ecoutez, ô vous qui êtes vindicatifs, qui pratiquez la vengeance comme une vertu, apprenez à qui vous êtes semblables, lorsqu'ayant ù vous plaindre de voire prochain, vous gardez cette peine au-dedans de vous-même, comme une étincelle cachée sous la cendre, jusqu'à ce que l'occasion s'offre de laisser enflammer votre colère et de faire éclater votre vengeance.

II. Que la terre produise une âme vivante. Pourquoi la terre produit-elle une âme vivante? c'est afin que vous appreniez la différence qu'il y a entre l’âme de la bête et l’âme de l'homme. Je vous dirai ci-après comment l’âme de l'homme a été formée; écoutez maintenant ce qui regarde l’âme des bêtes. Comme, d'après l'Ecriture, l’âme de tout animal est son sang (Lévit. 17. 11), que le sang épaissi se change ordinairement en chair, que la chair corrompue se résout en terre, les bêtes sans doute n'ont qu'une âme matérielle et terrestre. Que la terre produise une âme vivante. Voyez l'affinité qu'il y a de l’âme avec le sang, du sang avec la chair, de la chair avec la terre ; et ensuite revenant, par un ordre inverse, de la terre avec la chair, de la chair avec le sang, du sang avec l’âme, voyez, dis-je, cette affinité, et vous trouverez que la terre constitue l’âme des bêtes. Ne croyez pas que leur âme soit plus ancienne que leur corps, et qu'elle reste après la dissolution de la chair. Fuyez les délires des orgueilleux philosophes, qui ne rougissent pas de confondre leurs âmes avec celles des animaux. Ils disent qu'ils ont été autrefois femmes, arbrisseaux, poissons de la mer.[70] Je ne puis dire s'ils ont été autrefois poissons, mais je soutiens hardiment que, lorsqu'ils écrivaient ces absurdités, ils avaient moins de raison que des poissons.

Que la terre produise une âme vivante.... Plusieurs sont peut-être étonnés que je m'arrête tout à coup au milieu de mon discours, et que je garde le silence; mais les auditeurs attentifs n'en ignorent pas la cause. Et comment l'ignoreraient-ils? eux qui, se regardant les uns les autres, m'obligent de faire attention aux signes qu'ils se font mutuellement, et me rappellent que j'ai omis un article essentiel. En effet, nous avons passé toute une espèce de créatures vivantes, qui n'est pas la moindre ; nous avons presque entièrement oublié d'en parler. Que les eaux produisent des reptiles animés, selon leur espèce, et des oiseaux qui volent sur la terre dans le firmament du ciel Nous avons parlé hier au soir, selon que le temps nous l'a permis, des animaux nageurs ; nous avons passé aujourd'hui à l'examen des animaux terrestres: les animaux volatiles, qui occupent le milieu, ont échappé à notre mémoire. De même donc que des voyageurs oublieux, qui, ayant laissé quelque objet important, sont obligés de revenir sur leurs pas, et trouvent dans cette fatigue la peine de leur négligence : ainsi il est nécessaire que nous-mêmes nous revenions sur nos pas. Car l'objet que nous avons oublié n'est point indifférent; c'est une des trois espèces des créatures vivantes, puisque l’on compte trois espèces d'animaux, les terrestres, les volatiles et les aquatiques.

Que les eaux produisent des reptiles animés, selon leur espèce, et des oiseaux qui volent sur la terre, dans le firmament du ciel, selon leur espèce. Pourquoi l'Ecriture fait-elle sortir des eaux les animaux volatiles comme les animaux nageurs? c'est qu'il y a entre tous les deux beaucoup de rapport. En effet, de même que les poissons fendent les eaux, qu'ils s'avancent par le mouvement de leurs nageoires, et que, par les diverses inflexions de leur queue, dont ils se servent comme d'un gouvernail, ils se dirigent en ligne droite et en ligne oblique ; ainsi l’on voit les oiseaux nager dans l'air avec leurs ailes de la même manière. Comme donc tous deux nagent également, on leur a donné la même origine et on les a fait sortir également des eaux. Seulement aucun des oiseaux n'est sans pieds, parce que tirant tous leur vie de la terre, ils ont tous nécessairement besoin du secours des pieds. Ceux qui vivent de proie, ont des ongles pointus, propres à saisir les animaux dont ils vivent. Les autres ont reçu l'avantage des pieds, qui leur sont nécessaires pour se fournir la nourriture et pour les autres besoins de la vie. Peu d'oiseaux ont de mauvais pieds, qui ne sont commodes ni pour marcher, ni pour prendre la proie. De ce nombre sont les hirondelles et les oiseaux appelés drépanes,[71] lesquels vivent de petits animaux qui volent dans l’air. La faculté de raser la terre en volant sert de bons pieds à l'hirondelle.

Il y a dans les oiseaux une infinité de différentes espèces. Si on voulait les parcourir en détail comme nous avons examiné les poissons, on trouverait qu'ils portent le même nom de volatiles, mais qu'il existe entre eux un nombre infini de différences pour les grandeurs, pour les figures et pour les couleurs ; on trouverait pour la manière de vivre des variétés qu'il serait impossible de marquer. Quelques physiciens ont essayé de forger des mots inconnus et étrangers dans la langue, pour faire reconnaître les espèces particulières. Ils ont appelé les uns schizoptères,[72] tels que les aigles ; les autres dermoptères, tels que les chauves-souris ; d'autres ptilotes, tels que les guêpes ; d'autres coléoptères, tels que les escarbots, et tous ceux qui sont nés dans des espèces d'étuis et d'enveloppes qu'ils rompent et dont ils s'affranchissent pour voler. Mais qu'il nous suffise, pour marquer les divers genres, de l'usage commun et des distinctions apportées dans les livres saints en oiseaux purs et impurs. Il est des espèces carnivores, qui ont une conformation propre à cette manière de vivre, des ongles pointus, un bec recourbé, des ailes rapides, pour pouvoir saisir facilement leur proie, la déchirer et s'en nourrir lorsqu'ils l’ont prise. Ceux qui vivent de grains sont conformés différemment, ainsi que ceux qui se nourrissent de tout ce qu'ils rencontrent. Quelles différences dans tous ces animaux ! Les oiseaux de proie vivent seuls ; ils ne connaissent de lien et de société que pour la génération. Presque tous les autres, dont le nombre est infini, se rassemblent en troupes et vivent habituellement en société, tels que les colombes, les grues, les étourneaux, les geais. Dans cette espèce, les uns ne reconnaissent pas de prince et sont comme indépendants ; les autres, tels que les geais, se rangent sous un chef. Il existe une autre différence parmi les oiseaux. Les uns sont indigènes et restent toujours dans le même pays ; d'autres voyagent fort au loin, et changent ordinairement de contrées lorsque l'hiver approche. La plupart des oiseaux cessent d’être farouches et s'apprivoisent lorsqu'on les élève : il faut excepter ceux qui sont extrêmement faibles, dont l'excessive crainte et timidité les empêchent de souffrir la main, qui les incommode en les touchant. Quelques oiseaux aiment à se trouver parmi les hommes, et choisissent les mêmes demeures que nous ; d'autres habitent les montagnes et les déserts. Les propriétés de la voix sont encore une grande source de variétés. Les uns sont parleurs et babillards, les autres taciturnes ; les uns sont musiciens et ont une voix fort étendue, les autres ignorent absolument le chant et la musique ; les uns sont imitateurs, qualité qu'ils reçoivent de la nature, ou qu'ils prennent par l'exercice ; les autres ont une voix unique et qui ne peut changer. Le coq est fier, le paon est vain ; les colombes et les poules domestiques sont voluptueuses et souffrent le mâle en tout temps : rusée et jalouse, la perdrix aide aux chasseurs à prendre leur proie.[73]

IV. Les actions et les manières de vivre forment, comme nous l'avons dit, une infinité de différences. Quelques-uns de ces animaux ont un véritable gouvernement, puisque le caractère propre d'une administration est que tous les individus réunissent leurs forces pour un intérêt commun. C'est ce qu'on voit dans les abeilles.[74] Leur habitation est commune, elles sortent en commun pour le même objet ; l'occupation de toutes est la même ; et ce qu'il y a de principal, c'est que travaillant sous un roi et sous un chef, elles n'osent point partir pour les prés avant qu'elles voient le roi leur en donner l'exemple. Leur roi n'est pas élu par les suffrages du peuple, parce que l'ignorance du peuple élève souvent à la principauté le plus méchant homme ; il ne reçoit pas son autorité du sort, parce que le caprice du sort confère souvent l'empire au dernier de tous ; il n'est pas assis sur le trône par une succession héréditaire ; parce que, trop ordinairement, les enfants des rois, gâtés par la flatterie et corrompus par les délices, sont destitués de lumières et de vertus: c'est la nature qui lui donne le droit de commander à tous, étant distingué entre tous par sa grandeur, par sa figure, par la douceur de son caractère Le roi a un aiguillon ; mais il ne s'en sert pas pour satisfaire sa vengeance. C'est comme une loi de la nature, une loi non écrite, que plus on est élevé à une grande puissance, moins on est prompt à se venger. Les abeilles qui n'imitent point l'exemple du roi sont punies sur le champ de leur témérité, puisqu'elles meurent en lançant leur aiguillon. Que les chrétiens soient attentifs, eux à qui il est ordonné de ne point rendre le mal pour le mal, mais de vaincre le mal par le bien (Rom. 12. 17 et 21). Imitez le caractère propre de l'abeille, qui forme ses rayons sans nuire à personne et sans piller le bien d'autrui. Elle recueille ouvertement la cire sur les Heurs ; et pompant avec sa trompe le miel qui est répandu sur ces mêmes fleurs comme une douce rosée, elle le dépose dans le creux des rayons. Ce miel est d'abord liquide ; mais se formant avec le temps, il prend enfin la consistance et la douceur qui lui sont propres. Le livre des Proverbes donne à l'abeille la plus belle et la plus convenable des louanges, en l'appelant habile et laborieuse (Prov. 6. 8). Autant elle annonce d'activité en ramassant de toutes parts sa nourriture, activité dont les princes et les particuliers recueillent les fruits salutaires ; autant elles montrent d'art pour façonner et disposer les cellules de son miel. Ces cellules, multipliées et contiguës les unes aux autres, sont faites d'une cire étendue en membrane déliée. Elles sont faibles par elles-mêmes ; mais liées ensemble, elles se soutiennent mutuellement. Chacune tient à une autre par un petit mur mitoyen qui l'unit à elle et qui l'en sépare. Placées les unes au-dessus des autres, elles forment plusieurs étages. Ce petit animal se donne bien de garde de ne construire qu'un seul magasin dans tout l'espace, de peur que la liqueur précieuse ne le rompe par son poids et ne se répande au-dehors. Voyez comment les inventions géométriques ne sont que la copie du travail de l’industrieuse abeille. Les cellules des rayons, toutes hexagones et à côtés égaux, ne portent pas les unes sur les autres en ligne droite, parce qu'alors les côtés non soutenus se trouveraient fatigués ; mais les angles des hexagones inférieurs sont le fondement et la base des hexagones supérieurs ; ils les aident à supporter le poids qui est au-dessus d'eux, et à garder le trésor liquide contenu dans leur enceinte.

V. Pourrais-je vous détailler exactement tous les instincts particuliers des oiseaux? comment les grues font alternativement la garde, pendant la nuit. Les unes dorment ; les autres faisant la ronde, leur procurent toute sûreté pendant le sommeil. Ensuite, lorsque le temps de la sentinelle est rempli, celle qui veillait va dormir, avertissant par le bruit de ses ailes une autre qui vient prendre sa place, et lui rendre la sûreté qu'elle en a reçue. Le même ordre est observé dans les voyages. Chacune à son tour marche à la tête ; et lorsqu'elle a conduit la troupe un temps marqué, elle se retire en arrière et laisse à une autre cette fonction. L'instinct des cigognes approche beaucoup d'une raison intelligente. Elles arrivent toutes ensemble dans nos contrées, elles partent toutes ensemble au même signal. Elles sont accompagnées dans leur départ par nos corneilles,[75] qui les escortent, pour ainsi dire, et qui leur prêtent du secours contre des oiseaux ennemis. Ce qui atteste ce fait, c'est que dans le temps où partent les cigognes, on ne voit nulle part aucune corneille, et quelles reviennent avec des blessures, qui sont des témoignages sensibles de leur attention à escorter et à défendre des volatiles étrangères. Qui est-ce qui leur a prescrit les lois de l'hospitalité? qui est-ce qui les a menacées de les accuser de désertion de service, pour qu'aucune ne se dispense de cette escorte? Que cet exemple instruise ces hommes durs qui ferment leurs portes aux étrangers, et qui refusent de les mettre à l'abri même dans les nuits de l'hiver. Les soins que donnent les cigognes à leur père âgé suffiraient pour engager nos enfants, s’ils voulaient y faire attention, à chérir leurs païens. Car il n'est personne assez peu sensé pour ne pas rougir d'être surpassé en vertu par des oiseaux destitués d'intelligence. Lorsque leur père voit les plumes de ses ailes tomber par la vieillesse, elles l'entourent, réchauffent de leurs propres ailes, et lut fournissent abondamment de la nourriture. Dans les voyages, elles le secourent de tout leur pouvoir, en volant à ses cotés et en le soutenant le plus doucement qu'elles peuvent. Ce fait est si connu et si célèbre, que plusieurs, pour exprimer le mot[76] de reconnaissance, se servent d'un nom pris de celui des cigognes.

Que personne ne déplore sa pauvreté et ne désespère d'avoir de quoi se nourrir, parce qu'il n'a laissé dans sa maison aucune ressource ; qu'il ne craigne pas de manquer en considérant l’industrie de l'hirondelle. Pour construire son nid, elle apporte des pailles dans son bec : mais comme ses pieds ne peuvent enlever de l'argile, elle mouille dans l'eau l'extrémité de ses ailes, s'enveloppe d'une menue poussière, et imagine ainsi de former une argile, avec laquelle, comme avec un ciment, elle lie peu à peu les pailles toutes ensemble. C'est dans ce nid qu'elle nourrit ses petits.[77] Apprenez de là à ne jamais vous permettre de vols par pauvreté, à ne point perdre espérance dans les conjonctures les plus fâcheuses, à ne point vous livrer à l'inaction, mais à recourir à Dieu, qui a tant fait pour l'hirondelle, et qui fera beaucoup plus encore pour ceux qui l'invoquent de tout leur cœur.

L'alcyon[78] est un oiseau maritime. Il dépose ses œufs le long des rivages, et les fait éclore vers le milieu de l'hiver, lorsque la mer agitée par la violence des vents vient se briser sur la terre. Cependant tous les vents s'assoupissent et les flots s'apaisent durant les sept jours que l'alcyon couve ses œufs ; car il ne met que ce temps à faire éclore ses petits. Lorsque ces petits ont besoin de nourriture, un Dieu magnifique accorde, pour les laisser croître, sept autres jours à ce faible animal. C'est ce que savent tous les marins, qui appellent ces quatorze jours, jours alcyonides. Tout cela a été réglé par une providence divine, qui s'étend sur les animaux mêmes pour vous engager à demander à Dieu ce qui vous est salutaire. Quels prodiges ne s'opéreront pas pour vous qui avez été créé à l'image de Dieu, puisque pour un si petit animal un élément aussi étendu que terrible reste calme et tranquille au milieu des rigueurs de l'hiver?

VI. On dit que la tourterelle une fois séparée de celui auquel elle s'est attachée d'abord, ne s'unit plus à un autre, mais qu'elle reste veuve et refuse de contracter un second hymen pour rester fidèle à. son premier époux. Femmes, apprenez comment, même chez les brutes, l'honneur de la viduité est préféré à l'indécence de plusieurs mariages. L'aigle est le plus dur des êtres pour sa postérité. Lorsqu'il a fait éclore deux petits, il précipite à terre l'un des deux, en le jetant dehors d'un coup de ses ailes : il ne reconnaît que celui qui reste. Il renonce à son propre fruit par la difficulté de l'élever.[79] Mais l'orfraie, dit-on, ne le laisse point périr, il le reçoit lorsqu'il tombe, et l'élevé avec ses petits. Ils ressemblent à l'aigle ces pères qui, sous prétexte de pauvreté, exposent leurs enfants, ou qui sont trop injustes dans le partage de leurs biens. C'est une justice, sans doute, qu'ayant également donné le jour à chacun, ils leur fournissent également à tous les moyens de vivre. N'imitez pas la cruauté des oiseaux de proie, qui, dès qu'ils voient leurs petits s'essayer à voler, les chassent du nid, en les frappant et les poussant avec leurs ailes, et ne prennent plus d'eux aucun soin. Il faut louer l'amour de la corneille pour ses petits ; elle les suit lorsqu'ils volent déjà, les entretient et les nourrit le plus longtemps qu'elle peut. Plusieurs espèces d'oiseaux n’ont pas besoin, pour concevoir, de l'union avec les mâles ; mais tandis que les œufs des autres sont stériles si cette union n'a précédé, on prétend que les vautours engendrent ordinairement sans elle;[80] et cela, quoiqu'ils vivent fort longtemps, et que souvent leur vie s'étende au-delà de cent années. Je vous exhorte à bien remarquer ce fait dans l'histoire des oiseaux, afin que, lorsque vous verrez des hommes qui se rient d'un de nos mystères, comme s'il était impossible et nullement naturel qu'une vierge enfante, sa virginité restant toujours intacte, vous pensiez que celui qui a voulu sauver les fidèles par la folie de la prédication, nous a ménagé dans la nature mille moyens de croire des mystères surprenants.

VII. Que les eaux produisent des reptiles animés, et des oiseaux qui volent sur la terre dans le firmament du ciel. Les oiseaux ont reçu l’ordre de voler sur la terre, parce qu'ils trouvent leur nourriture sur la terre. Dans le firmament du ciel, c'est-à-dire, comme nous l'avons déjà expliqué plus haut, dans cet air qui est au-dessus de notre tête, qui nous enveloppe et qui est appelé firmament, parce que, vu les exhalaisons qui s’élèvent d'en bas, il est plus épais et plus condensé que l'éther qui le domine.

Vous voyez donc le ciel décoré, la terre embellie, la mer pleine des productions qui lui sont propres, l'air rempli des oiseaux qui le traversent. Auditeur attentif, examinez par vous-même tous les êtres qui ont passé par l'ordre de Dieu du néant à l'existence, tant ceux dont nous avons parlé, que ceux que nous avons omis, dans la crainte de nous arrêter trop longtemps sur ces objets et de passer les bornes; examinez-les, dis-je, par vous-même, et vous pénétrant de la sagesse divine qui éclate dans tous, ne cessez point de l’admirer, ne vous lassez point de glorifier le Créateur par toutes les créatures. Vous avez des espèces d'oiseaux qui vivent la nuit, au milieu des ténèbres ; d'autres volent pendant le jour, en pleine lumière. Les chauves-souris, les hiboux et autres, sont des oiseaux de nuit. Ainsi donc, dans le calme d'une nuit tranquille, lorsque le sommeil ne ferme pas vos yeux, il vous suffira de vous occuper de ces espèces, et de considérer les propriétés de chacune pour glorifier celui qui les a faites. Vous verrez comment, lorsqu'il couve ses œufs,[81] le rossignol veille, et continue toute la nuit ses chants mélodieux : comment la chauve-souris est en même temps un quadrupède et une volatile ; comment, seule des oiseaux, elle a des dents et enfante un animal; comment elle s'élève dans l'air, non avec des ailes de plumes, mais avec une membrane de chair ; comment enfin les mêmes chauves-souris sont unies naturellement entre elles, suspendues l’une à l’autre, et formant comme une chaîne dont tous les anneaux se tiennent,[82] union qu'il est si difficile de rencontrer parmi les hommes, dont la plupart aiment mieux s'isoler et ne songer qu'à eux-mêmes, que de s'attacher à la société et de travailler pour elle. Vous verrez comment ceux qui se livrent à de vaines sciences ressemblent aux yeux du hibou. La vue de cet oiseau est aussi perçante pendant la nuit que faible et obscure quand le soleil brille : l’esprit des faux sages est aussi vif et aussi clairvoyant pour contempler de vains objets, que pesant et obtus pour comprendre la véritable lumière. Pendant le jour, il vous sera fort aisé de recueillir de toutes parts de quoi admirer le Créateur. Vous voyez comment un oiseau domestique vous excite au travail par ses cris aigus qui annoncent de loin le lever du soleil, qui réveillent le voyageur, et appellent le laboureur à la moisson. Vous voyez combien les oies sont une espèce vigilante; combien ils sont subtils pour sentir ce qui se cache, eux qui jadis ont sauvé la ville impériale, en décelant des ennemis[83] qui s'avançaient par de secrets souterrains pour s'emparer de la citadelle de Rome. Dans quelle espèce d'oiseaux la nature ne vous montre-t-elle pas quelque merveille particulière? Qui est-ce qui annonce aux vautours la mort d'un grand nombre d'hommes, lorsque deux armées marchent l’une contre l'autre? Des milliers de vautours alors suivent ces armées, et prévoient l'événement par les préparatifs. Cela approche beaucoup del intelligence humaine. Comment vous raconterai-je les terribles expéditions des sauterelles, qui, partant toutes au même signal et fondant ensemble sur une grande étendue de pays, ne touchent pas aux fruits avant qu'elles aient reçu l’ordre de l'Etre suprême? Elles sont suivies de l'oiseau seleucis, qui remédie à la plaie par la faculté dévorante, continuelle et insatiable, qu'un Dieu bienfaisant lui a donnée pour l'utilité des hommes. Vous dirai-je quelle est la nature du chant des cigales ; comment elles sont plus mélodieuses à midi, parce qu'alors leur estomac se relâchant renvoie un air qui forme un son plus étendu? Mais il semble que je suis plus loin de pouvoir expliquer par mes discours toutes les merveilles des volatiles, que de pouvoir, par mes pieds, atteindre à leur légèreté naturelle. Lorsque vous voyez les volatiles appelées insectes, telles que les abeilles et les guêpes, et qui sont ainsi nommées parce qu'elles offrent des cercles ou anneaux qui semblent les couper en plusieurs parties, songez qu'elles n'ont ni respiration, ni poumon ; mais qu'elles vivent de l'air par toutes les parties de leur corps. Aussi, quand elles sont humectées d’huile, elles tombent presque mortes, parce que leurs pores sont fermés. Si on les arrose sur le champ de vinaigre, elles revivent, parce que leurs pores se rouvrent. Dieu n'a rien fait de superflu, et il a donné à chaque animal ce qui lui est nécessaire. Si vous considérez aussi les volatiles qui se plaisent dans l'eau, vous trouverez une autre conformation. Leurs pieds ne sont, ni fendus comme ceux de la corneille, ni crochus comme ceux des oiseaux carnivores, mais larges et accompagnés de membranes, afin qu'ils nagent aisément, se servant des membranes de leurs pieds, comme de rames pour s'avancer dans l'eau. Si vous remarquez comment le cygne, plongeant son cou, tire du fond de l'eau sa nourriture, vous verrez la sagesse du Créateur, qui lui a donné un cou plus long que ses pieds, afin que le jetant dans l'eau comme la ligne du pêcheur, il y prenne sa nourriture que le fond recèle.

VIII. Les paroles de l'Ecriture lues simplement ne sont que quelques syllabes : Que les eaux produisent des oiseaux qui volent sur la terre dans le firmament du ciel ; mais si l’on cherche le sens des paroles, on voit alors le prodige admirable de la sagesse du Créateur. Que de variétés différentes de volatiles il a prévues ! comme il a distingué les espèces les unes des autres ! comme il les a caractérisées chacune par des propriétés particulières !

Le jour me manquerait si je voulais détailler toutes les merveilles de l'air. Le continent nous appelle pour étaler à nos yeux les bêtes sauvages, les reptiles et les troupeaux, pour nous montrer un spectacle qui ne le cède ni aux plantes, ni aux animaux nageurs, ni à toutes les volatiles. Que la terre produise l’âme vivante des animaux domestiques, des bêtes sauvages et des reptiles selon leur espèce.

Que pouvez-vous dire, ô vous qui refusez de croire le bienheureux Paul sur les changements qui doivent s'opérer dans la résurrection, quand vous voyez nombre d'habitants de l'air changer de formes ; quand vous songez à ce qu'on rapporte du ver à soie qui, étant d'abord une espèce de chenille, devient chrysalide avec le temps, et ne tarde pas à quitter cette forme pour prendre les ailes d'un papillon? Lors donc, ô femmes, que vous êtes assises pour filer leur travail, je veux dire cette soie précieuse qu'une contrée étrangère nous envoie pour fabriquer des vêtements somptueux, rappelez-vous les changements qu'éprouve cet animai ; prenez De là une idée sensible de la résurrection, et croyez les changements que Paul nous annonce à tous.

Mais je m'aperçois que je passe les bornes. Lors donc que je fais attention à la longueur de mon discours, je vois que je me suis étendu outre mesure : mais lorsque je considère cette variété de sagesse qui brille dans les ouvrages du Tout-Puissant, il me semble que j'ai à peine commencé mon récit. D'ailleurs, il n'est pas inutile de vous tenir un peu plus longtemps. Eh ! que feriez-vous jusqu'au soir. Vous n'êtes pas pressés par des convives, de grands festins ne vous attendent pas. Si donc vous le jugez à propos, nous userons du jeûne corporel pour réjouir les âmes. Vous avez souvent obéi à la chair pour vous procurer des plaisirs, prêtez-vous aujourd'hui constamment au service de l’âme. Réjouissez-vous dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre cœur demande (Ps. 36. 4). Désirez-vous les richesses? vous avez des richesses spirituelles. Les jugements du Seigneur sont vrais, et tous également justes. Ils sont plus désirables qu'une grande abondance d’or et de pierres précieuses (Ps. 18. 10). Aimez-vous la volupté et les délices? vous avez les paroles divines, qui, pour un homme dont le sens spirituel est en bon état, sont plus douces que les rayons du miel. Si je vous renvoie et si je dissous l'assemblée, les uns courront aux jeux. Là, sont des blasphèmes, de violentes disputes, et les aiguillons de l'avarice ; là, se trouve le démon enflammant la fureur par les instruments du jeu ; faisant passer l'argent tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, faisant tour à tour triompher de joie celui qui était accablé de tristesse, et rougir de honte celui qui était fier de son gain. A quoi sert que le corps jeûne, si l’âme est remplie de mille maux? celui qui s'interdit le jeu, et qui se livre à l'oisiveté, que de paroles inutiles ne dit-il pas ! que de propos déplacés n'entend-il pas ! Le loisir, sans la crainte de Dieu, est pour ceux qui ne savent pas en user, une occasion de se livrer au vice. Peut-être donc tirerez-vous quelque avantage de mes discours ; vous en tirerez du moins celui de ne pas pécher durant le temps où vous serez occupés à m'entendre. Ainsi plus je vous retiendrai, plus je vous éloignerai de l'occasion de commettre des fautes. Toutefois un juge équitable trouvera suffisant ce que nous avons dit, s'il considère, non les richesses de la création, mais la faiblesse de nos forces, et ce qui doit suffire pour satisfaire des auditeurs assemblés. La terre vous a présenté les productions de son sein, la mer ses poissons, l'air ses volatiles : le continent est prêt à vous offrir d'aussi grandes merveilles. Mais finissons ici le repas du matin, de peur que la satiété ne vous rende moins propres à goûter le festin du soir. Que celui qui a perfectionné tous les objets de la création, et qui nous a donné dans tous des témoignages sensibles de sa puissance merveilleuse, remplisse nos cœurs d'une joie spirituelle, en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE NEUVIÈME.

SUR LES ANIMAUX TERRESTRES.

 

SOMMAIRE.

Nous voici enfin arrivés au sixième jour de la création où ont été créés les animaux terrestres, et l'homme destiné à être leur roi. Dans cette homélie, prononcée le soir, où il sera question des animaux terrestres, l'orateur dit un mot de l'homélie prononcée le matin ; il attaque de nouveau ceux qui, dans tous les passages de l’Ecriture, cherchaient des sens allégoriques ; après quoi, il entre en matière. Il parle d'abord de ce qui est commun aux animaux, de leur génération successive, de leur stature par rapport à celle de l'homme, du défaut de raison qui distingue l'âme des bêtes de l’âme humaine ; il parcourt ensuite les traits principaux qui caractérisent certaines espèces. En faisant remarquer leurs instincts et leurs prévoyances, il fait admirer la sagesse infinie du Créateur. Elle éclate, cette sagesse, dans les différentes parties qui les composent, dans la disposition et dans l'usage de leurs membres : il finit par préparer ceux qui l'écoutent à la création de l'homme, dont il doit les occuper un autre jour. Et Dieu dit : Faisons l’homme. Il s'étend sur ces paroles, dont il tire fine preuve de la divinité du Verbe, et conclut en annonçant qu'il traitera plus en détail la formation de l'homme.

[1] Comment vous a paru le repas que je vous aï servi ce matin? Pour moi, il m'est venu sans l'esprit de comparer mon discours au festin que donne quelquefois un homme pauvre. Jaloux de traiter magnifiquement, ne pouvant se procurer des mets rares et délicats, il fatigue ses convives par une profusion mal entendue d'aliments communs; de sorte qu'avec tout l'appareil qu'il étale, il ne parvient qu'à se donner du ridicule. Il en est de même de nous ; à moins que vous ne pensiez différemment, et que vous ne croyiez pas devoir dédaigner ce que nous vous servons, quel qu'il soit. Les amis du prophète Elisée ne le méprisaient point, parce qu'il ne les recevait qu'avec des herbes sauvages (4 Rois. 4. 39). Je connais les règles de l'allégorie,[84] non pour les avoir trouvées par moi-même, mais pour les avoir remarquées dans certains livres. Ceux qui n'admettent pas les sens les plus simples de l'Ecriture, ne regardent pas l'eau comme de l'eau, mais comme un être d'un autre genre. Ils expliquent, d'après leur imagination, poisson et plante. La création des reptiles et des bêtes sauvages, ils l'interprètent d'après le système qu'ils adoptent, d'après le but qu'ils se proposent, comme les interprètes des songes expliquent les rêves de la nuit. Pour moi, quand je lis herbe, j'entends herbe; plante, poisson, bête sauvage, animal domestique, je prends tout cela comme il est écrit : car je ne rougis pas de l’Evangile (Rom. 1. 16). Des physiciens qui ont traité du monde, ont beaucoup parlé de la figure de la terre, ils ont examiné si c'est une sphère ou un cylindre, si elle ressemble à un disque, et si elle est arrondie de toutes parts, ou si elle a la forme d'un van, et si elle est creuse au milieu ; car telles sont les idées qu'ont eues les philosophes, et par lesquelles ils se sont combattus les uns les autres : pour moi, je ne me porterai pas à mépriser notre formation du monde parce que le serviteur de Dieu, Moïse, n'a point parlé de la figure de la terre, qu'il n'a point dit qu'elle a de circonférence cent quatre vingt mille stades;[85] parce qu'il n'a point mesuré l'espace de l'air dans lequel s'étend l'ombre de la terre lorsque le soleil a quitté notre horizon ; parce qu'il n'a pas expliqué comment cette même ombre, approchant de la lune, cause des éclipses. Quoi ! parce que l'Ecriture se tait sur des connaissances qui nous sont inutiles, préfèrerai-je une sagesse insensée aux oracles de Esprit-Saint? ne glorifierai-je pas plutôt celui qui n'a pas occupé notre esprit de vains objets, mais qui a fait tout écrire pour l'édification et pour la perfection de nos âmes? C'est ce que paraissent n'avoir pas compris ceux qui, tirant de leur imagination des sens détournés et allégoriques, ont voulu relever la simplicité de l'Ecriture en lui donnant un air plus auguste. Mais c'est là vouloir être plus habile que l'Esprit-Saint lui-même, et, sous prétexte d'expliquer ses oracles, ne donner que ses propres idées. Que les choses soient donc entendues comme elles sont écrites.

II. Que la terre produise l’âme vivante des animaux domestiques, des bêtes sauvages et des reptiles. Considérez la parole de Dieu qui s'étend sur toutes les créatures, qui a commencé alors, qui agit encore maintenant, et qui continuera d'agir jusqu'à la consommation du monde. Car de même qu'un corps sphérique, qui, poussé par une force impulsive, rencontre une pente, se précipite tant par sa propre conformation que par la nature du lieu, et ne s'arrête que quand il trouve une surface unie qui le reçoit dans sa course: ainsi le mouvement imprimé à la nature des êtres par un seul ordre de Dieu, se fait sentir également aux créatures dans leur génération et dans leur altération, conserve et conservera jusqu'à la fin la suite des espèces toujours les mêmes. Ce mouvement fait succéder un cheval à un cheval, un lion à un lion, un aigle à un aigle, et par des successions non interrompues, fait passer chaque animal de siècle en siècle jusqu'à la consommation. Aucun temps ne détruit ni n'efface les propriétés des animaux, dont la nature demeure toujours nouvelle dans le cours des âges comme si elle était toute récente. Que la terre produise l’âme vivante. Cet ordre est resté inhérent à la terre, qui ne cesse d'obéir au Créateur. Parmi les êtres, les uns doivent l'existence à une succession suivie; il est prouvé que les autres sont encore à présent engendrés de la terre,[86] non seulement, dans un temps pluvieux, elle enfante des cigales, et cette multitude infinie d'insectes qui volent dans l'air, dont la plupart, vu leur petitesse, n'ont point de nom, mais même elle fait sortir de son sein des rats et des grenouilles. Aux environs de Thèbes en Egypte, lorsque dans la chaleur il pleut abondamment, aussitôt le pays est rempli de rats sauvages. Nous voyons que les anguilles ne se forment pas autrement que de la vase et du limon; elles sont produites de la terre même, sans que ni œuf, ni aucun autre germe en forme la génération successive.

Que la terre produise l’âme vivante. Les bêtes sont terrestres et penchées vers la terre; l'homme, qui est une plante céleste, l'emporte autant sur elles par la stature de son corps que par la dignité de son âme. Quelle est la position des quadrupèdes? leur tête est penchée vers la terre; ils regardent leur ventre, et recherchent de toutes les manières ce qui peut le contenter. Votre tête, ô homme, est tournée vers le ciel, vos yeux regardent les choses d'en haut. Si donc vous vous déshonorez vous-même par des affections charnelles, asservi au ventre et à toutes les voluptés brutales, vous vous rapprochez des bêtes qui n'ont point de raison, et vous leur devenez semblable (Ps. 48. 13). D'autres soins vous conviennent; vous devez chercher ce qui est dans le ciel, où est Jésus-Christ (Coloss. 3. 1), et élever votre âme au-dessus des choses terrestres. Que votre vie réponde à votre conformation. Vivez dans le ciel (Phil. 3. 20). La Jérusalem d'en haut est votre patrie véritable: vous êtes concitoyens des premiers nés dont les noms sont écrits dans les cieux (Heb. 12. 23).

III. Que le terre produise l’âme vivante. L’âme des bêtes n'a pas été mise dans la terre pour paraître au-dehors, mais elle a existé aussitôt que l’ordre a été proféré. L’âme des bêtes est uniforme ; un seul trait la caractérise, le défaut de raison : mais chaque animal est distingué par quelque trait caractéristique. Le bœuf est constant, l’âne tardif, le cheval ardent pour courir après la femelle, le loup inapprivoisable, le renard rusé, le cerf timide, la fourmi laborieuse, le chien reconnaissant et sensible à l'amitié. Chaque être, au moment de sa création, a reçu le caractère qui lui est propre et qui le distingue. A l'instant qu'il a été créé, la fierté a été donnée au lion, cette inclination à vivre seul, à fuir toute société avec les autres animaux. Comme s'il était leur prince et leur monarque, son orgueil naturel ne lui permet point de souffrir d'égal. Il ne recherche point la nourriture qu'il a prise la veille, et ne retourne point aux restes de sa chasse. La nature lui a donné une voix si terrible, que beaucoup d'animaux qui remportent sur lui par la vitesse, sont souvent pris par son seul rugissement. La panthère est prompte et violente dans ses désirs; le corps qu'elle a reçu, par sa légèreté et son agilité, est fort propre à suivre les mouvements de son âme. L'ours est tardif de sa nature; il a un caractère à part; il est profondément caché et dissimulé. Le corps dont il est revêtu convient parfaitement à ces dispositions : lourd, compact, mal formé, il est fait véritablement pour un animal froid et vivant dans un repaire. Si nous examinons en détail tous les soins que les animaux ont de leur vie, sans qu'ils aient d'autre maître que la nature, ou nous serons excités à veiller sur nous-mêmes et à pourvoir au salut de nos âmes, ou nous serons plus condamnables si nous sommes trouvés inférieurs même aux brutes. Lorsque l'ours a reçu de profondes blessures, il se guérit lui-même, en cherchant par tous les moyens à fermer ses plaies avec une herbe[87] dont la vertu est astringente. On voit le renard se guérir avec le suc que le pin distille. Le hérisson, qui s'est rassasié de la chair de la vipère, évite le mal que peut lui faire ce reptile venimeux, en prenant de l’origan,[88] qui est pour lui un contrepoison. Le serpent remédie à son mal d'yeux en mangeant du fenouil.

Les prévoyances que les bêtes ont des changements de l'air ne surpassent-elles pas toute intelligence raisonnable? Lorsque l'hiver approche, la brebis dévore sa pâture avidement, comme si elle se remplissait pour le besoin à venir. Les bœufs qui, durant l'hiver, ont été longtemps enfermés, connaissent, par un sentiment naturel, lorsque le printemps approche, le changement de saison; du fond de leurs étables, ils regardent la sortie des champs, et tournent leur tête de ce côté tous ensemble comme à un même signal. Quelques observateurs curieux ont remarqué que le hérisson de terre dispose dans sa retraite deux soupiraux; que, lorsque l'aquilon doit souffler, il ferme celui du septentrion; et que, lorsque le vent du midi prend la place, il passe au soupirail opposé. Quelle est la leçon que nous donne la conduite de cet animal? elle nous enseigne, non seulement que les soins du Créateur s'étendent à tout, mais encore que les bêtes ont un certain pressentiment de l'avenir, afin que nous ne soyons pas attachés à la vie présente, mais que la vie future fixe nos désirs et occupe notre ardeur.

O homme, ne travaillerez-vous pas pour vous-même avec zèle? ne vous ménagerez-vous pas dans la vie présente un repos pour la vie future, en considérant l'exemple de la fourmi? Elle amasse l’été sa subsistance pour l'hiver ; et parce que les rigueurs de cette dernière saison ne se font pas encore sentir, elle ne se livre pas à l'oisiveté, mais elle s'excite au travail avec un zèle infatigable, jusqu'à ce qu'elle ait déposé dans ses magasins une provision suffisante. Voyez quelle est sa prudence et son activité, comme elle emploie tous les moyens que peut lui fournir une sagesse intelligente pour conserver ses grains le plus longtemps qu'il est possible. Elle les coupe par le milieu avec ses petites serres, de peur que venant à germer, ils ne soient inutiles pour sa nourriture : lorsqu'elle les voit mouillés, elle les fait sécher au soleil; et elle ne les expose pas en tout temps, mais quand elle s'aperçoit que l'air annonce une suite de plusieurs beaux jours. Aussi ne voit-on jamais la pluie tomber du ciel tout le temps que le blé des fourmis est exposé.

Quel orateur pourrait rapporter toutes les merveilles sorties de la main de l'Ouvrier suprême? quel auditeur pourrait les comprendre? quel temps pourrait suffire pour les développer toutes et les détailler? Disons donc nous-mêmes avec le Prophète : Que vos œuvres, Seigneur, sont magnifiques! vous avez tout fait avec sagesse (Ps. 103. 24)

Nous ne saurions dire pour nous excuser, que nous n'avons pas appris dans les livres les connaissances utiles, puisque la loi de la nature, qui n'a pas besoin d'être apprise, nous porte à choisir ce qui nous est avantageux. Savez-vous quel bien vous pourrez faire à votre prochain? c'est celui que vous voulez qu'un autre vous fasse. Savez-vous quel est le mal? c'est ce que vous ne voudriez pas souffrir d'un autre. Aucune étude des plantes et des racines n'a fait connaître aux bêtes celles qui leur sont salutaires: chaque animal peut se fournir naturellement ce qui est nécessaire à sa conservation ; il a en lui-même un rapport admirable avec ce qui est selon la nature.

IV. Il existe en nous des qualités innées, avec lesquelles notre âme a des rapports qui viennent, non de l'instruction, mais de la nature. Car de même qu'aucun discours ne nous apprend à haïr la maladie, mais que nous fuyons de nous-mêmes ce qui nous incommode; ainsi, sans étude, l’âme est portée à fuir le vice. Or le vice est la maladie de l’âme, comme la vertu en est la santé; Quelques-uns ont très bien défini la santé, le meilleur état des fonctions naturelles. Cette définition peut être justement appliquée à la santé de l’âme, qui sans le secours de l'instruction, désire ce qui lui est propre et convenable. C'est pour cela que tout le monde loue la tempérance, approuve la justice, admire le courage, recherche la prudence ; vertus qui sont plus propres à l’âme que la santé ne l'est au corps. Enfants, aimez vos pères: Pères, n’irritez point vos enfants (Eph. 6. 1 4). La nature ne le dit-elle pas? Paul ne prescrit rien de nouveau, il ne fait que resserrer le lien de la nature. Si la lionne chérit ses petits, si le loup combat pour les siens, que dira l'homme qui désobéit au précepte, et qui altère en lui la nature, lorsqu'un enfant déshonore la vieillesse de son père, ou qu'un père, volant à un second mariage, oublie ses premiers enfants? On voit dans les bêles l'amour le plus fort entre les pères et les enfants, parce que Dieu qui les a créées à compensé en elles le défaut de raison par la vivacité du sentiment. Pourquoi, entre mille brebis, l'agneau, au sortir de retable, reconnaît-il la couleur et la voix de sa mère? pourquoi court-il après elle et recherche-t-il les sources de lait qui lui appartiennent? Quand les mamelles de sa mère auraient très peu de lait, il s'en contente, et passe devant d'autres qui en sont pleines. Pourquoi la mère, au milieu de mille agneaux, reconnaît-elle le sien? La couleur et la voix dans tous paraissent les mêmes, l'odeur est semblable, à en juger par notre odorat: mais il est dans ces animaux un sentiment plus subtil et plus vif que notre conception, d'après lequel chaque animal reconnaît ce qui est à lui. Le petit du loup n'a pas encore de dents ; et c'est néanmoins par la bouche qu'il se venge quand on lui fait du mal. Le veau n'a pas encore de cornes; et il sait où lui naîtront des armes. Cela prouve que dans tous les êtres vivants il est une nature qui n'a pas besoin d'étude; que tout en eux a été régie et déterminé ; qu'ils présentent tous des traces de la sagesse du Créateur, en montrant qu'ils ont été créés avec tout ce qu'il faut pour veiller à leur conservation.

Le chien n’a pas la raison en partage, mais il a un sentiment qui tient lieu de la raison. Ce que les sages du siècle ont trouvé avec peine et après de longues études, je veux dire les détours du raisonnement, le chien l'a appris de la nature. Lorsqu'il cherche les traces de la bête et qu'il trouve plusieurs voies, il les examine, et par sa conduite il semble faire tout haut ce raisonnement syllogistique : Voici trois endroits par où a pu tourner la bête; elle n'a tourné ni par celui-ci, ni par celui-là : il reste donc qu'elle se soit élancée de ce coté. C'est ainsi qu'en écartant le faux, il trouve le vrai. Que font de plus ces géomètres qui sont gravement assis pour démontrer un théorème, qui tracent des lignes sur la poussière, qui, de trois propositions en écartant deux, trouvent la vérité dans celle qui reste? Quels hommes ingrats envers leurs bienfaiteurs ne doit pas faire rougir la reconnaissance de ce même animal? On prétend que plusieurs chiens ont été trouvés morts avec leurs maîtres qui avaient été assassinés dans, un lieu désert. Quelques-uns, lorsque les meurtres étaient récents, ont servi de guide à ceux qui cherchaient les meurtriers, et ont fait traîner au supplice les coupables. Que diront ces hommes qui non seulement ne chérissent pas le Dieu qui les a créés et qui les nourrit, mais qui encore ont pour amis ceux qui outragent par leurs discours ce souverain Maître, qui partagent avec eux leur table, et qui, en prenant de la nourriture, écoutent tranquillement les blasphèmes vomis contre celui auquel ils la doivent?

V. Mais revenons à la contemplation des choses créées. Les animaux les plus faciles à prendre sont les plus féconds. C'est pour cela que les lièvres et les chèvres sauvages enfantent plusieurs petits, que les moutons sauvages en ont toujours deux, de peur que, consumée par les carnivores, l'espèce ne vienne à manquer. Les animaux qui détruisent les autres sont peu féconds. De là, la lionne ne devient mère qu'avec peine d'un seul lionceau. Elle ne le met au monde, dit-on, qu'en déchirant ses flancs avec ses ongles. Les vipères naissent en rongeant le ventre de leur mère qu'elles payent ainsi de leur avoir donné la naissance.[89] Tout a donc été prévu dans les êtres, rien n'a été négligé de ce qui leur convient. Si vous examinez les membres des animaux, vous trouverez que le Créateur ne leur a rien accordé de superflu, ne leur a rien refusé de nécessaire. Il a armé les carnivores de dents tranchantes dont ils ont besoin pour leur genre de nourriture. Ceux qu'il n'a munis que d'un rang de dents, il leur a ménagé pour la nourriture plusieurs réservoirs. Comme leurs aliments ne sont pas assez broyés d'abord, il leur a donné la faculté de remâcher ce qu'ils ont avalé, afin que l'ayant bien digéré en le ruminant, ils pussent l'identifier avec leur substance. La multiplicité des estomacs,[90] les panses, les grands intestins, ne sont pas inutiles pour les animaux qui les ont, et chaque organe remplit sa fonction convenable. Le chameau a un long cou, afin qu’il réponde à ses pieds, et qu'il puisse atteindre l’herbe dont il vit. Le cou du lion, de l'ours, du tigre, et des autres bêtes de même espèce, est court et tient de près aux épaules, parce qu'ils ne vivent pas de l'herbe, et qu'ils n'ont pas besoin de se baisser à terre, étant carnivores, et subsistant de la proie d'autres animaux.

Que veut dire la trompe dans l'éléphant? Cet animal étant le plus gros des animaux terrestres, et fait pour étonner ceux qui le rencontrent, devait avoir une masse de corps énorme. S’il avait reçu un cou fort long et analogue à ses pieds, ce cou aurait été incommode par son extrême pesanteur, et se serait toujours porté en bas. Mais sa tête tient à l'épine du dos par de courtes vertèbres ; et, à la place d'un cou allongé, il a une trompe par le moyen de laquelle il attire à lui sa nourriture et pompe sa boisson. Fermes comme des colonnes et sans aucune articulation, ses pieds sont propres à porter tout le fardeau. S'il eut eu des jambes déliées et flexibles, elles n’auraient pu soutenir le poids, et les articulations se seraient souvent dérangées de leur place lorsque l'animal se serait baissé ou levé. Mais le pied de l'éléphant a très peu de talon; il n'a ni jointure ni genou, parce que des articulations mobiles n’auraient pu supporter un corps immense et tremblant sous lequel elles auraient fléchi. Il fallait donc cette espèce de nez qui descend jusqu'à terre. Ne voyez-vous point dans les combats que les éléphants précèdent les troupes comme des tours animées ; et que, semblables à des collines de, chair, poussés avec une impétuosité insurmontable, ils rompent les bataillons ennemis. Si les parties inférieures ne répondaient pas à la masse, l'animal ne pourrait subsister un moment. Plusieurs rapportent qu'il vit plus de trois cents ans;[91] ce qui n'arriverait certainement pas, si ses jambes n’étaient point fermes et sans articulation. Il saisit en bas, comme nous l'avons dit, et porte en haut sa nourriture avec une trompe qui a la forme et la flexibilité d'un serpent. Au reste, cet animal si gros et si vaste, Dieu nous l'a soumis au point qu'il reçoit nos leçons et souffre nos coups : preuve évidente que le Créateur nous a tout assujetti parce qu’il nous a faits à son image. Il est donc vrai que, dans les êtres créés, il est impossible de rien trouver de défectueux ni d'inutile.

Ce n'est pas seulement dans les grands animaux qu'on peut remarquer la sagesse incompréhensible de Dieu ; mais les plus petits même n'offrent pas de moindres merveilles. En effet, de même que les sommets de ces hautes montagnes, qui, voisines des nues et continuellement frappées par les aquilons, conservent un hiver éternel, ne sont pas pour moi plus admirables que renfoncement des vallées, qui sont à l'abri de la violence des vents et présentent toujours une douce température : ainsi je n'admire pas plus la grandeur de l'éléphant que la petitesse du rat qui lui est redoutable, ou que l'aiguillon délié du scorpion, que l'Ouvrier suprême a creusé comme une flûte, pour qu'il puisse par là lancer son venin sur les êtres qu'il a blessés.

Et que personne ne reproche au Créateur d'avoir produit des animaux venimeux, destructeurs par leur nature, et nuisibles à notre vie. C'est comme si l’on reprochait à un instituteur d'enfants de régler la légèreté de la jeunesse, et de réprimer sa pétulance par des corrections utiles.

VI. Les bêtes féroces et dangereuses éprouvent notre foi. Vous avez confiance dans le Seigneur ! Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, vous foulerez aux pieds le lion et le dragon (Ps. 90. 13). Avec la foi vous pouvez marcher impunément sur les serpents et les scorpions. Ne voyez-vous pas que Paul ramassant des sarments, ne reçut aucun mal d'une vipère qui s’était attachée à sa main (Act. 28. 3 et suiv.), parce que ce saint homme fut trouvé plein de foi? Si vous manquez de foi, craignez moins une bête dangereuse que votre incrédulité, qui vous rend susceptible de toute corruption.

Mais je m'aperçois qu'on me demande, il y a longtemps, de parler de la création de l'homme ; et il me semble entendre mes auditeurs qui, au-dedans d'eux-mêmes, médisent: On nous enseigne bien quelle est la nature des êtres qui nous sont soumis, mais nous nous ignorons nous-mêmes. Il faut nécessairement que nous parlions de l'homme sans être arrêtés par les difficultés du sujet : car il semble réellement très difficile de se connaître soi-même. L'œil, qui voit hors de lui, ne se sert pas pour lui-même de sa force intuitive: ainsi notre esprit, dont la vue est si pénétrante pour découvrir les fautes d'autrui? est fort lent pour reconnaitre les siennes propres. C'est pour cela que notre discours, qui a détaillé avec tant d'ardeur et de vivacité ce qui regarde les autres êtres, est plein de lenteur et d'embarras pour examiner ce qui concerne l'homme. Cependant, si l'on s'étudie soi-même avec intelligence, on peut connaître Dieu d'après sa propre constitution, aussi bien que d'après le ciel et la terre, selon ce que dit le Prophète : La science de votre nature a été en moi admirable d’après l’étude de moi-même (Ps. 138. 6); c'est-à-dire, dès que je me suis connu, j'ai appris à connaître votre sagesse suprême.

Et Dieu dit : Faisons l’homme. Où est ici le Juif, qui, dans ce qui précède, lorsque la lumière de la vérité brillait comme à travers un voile ; lorsque, d'une manière mystique et pas encore évidente, il se manifestait une seconde personne, combattait la vérité, prétendait que Dieu se parlait à lui-même? C’est lui, disait-il, qui a parlé et qui a fait : Que la lumière soit, et la lumière fut. L'absurdité de leur réponse même alors était palpable. Car, quel est l'ouvrier qui, assis au milieu des instruments de son art, travaillant absolument seul, se dit à lui-même : Faisons une épée, fabriquons une charrue, achevons une chaussure? il fait en silence l'ouvrage qui convient à sa profession. C'est en effet un extrême ridicule de dire que quelqu'un est assis pour se commander à lui-même, pour se presser avec force et d'un ton de maître. Mais des hommes qui n'ont pas craint de calomnier le Seigneur lui-même, que ne diraient-ils pas ayant leur langue exercée au mensonge? Toutefois le passage présent leur ferme entièrement la bouche. Et Dieu dit: Faisons l’homme. Diras-tu encore, ô Juif! qu'il n’y a qu'une personne? Tant qu'il ne parois soit pas encore d'être capable d'instruction, la prédication de la divinité était cachée profondément: lorsqu'ensuite la création de l’homme est attendue, la foi se dévoile, le dogme de la vérité se manifeste d'une façon plus claire. Faisons l'homme. Entends-tu, ennemi du Christ, que Dieu s'entretient avec celui qui partage l'ouvrage de la création, par qui il a fait les siècles, qui soutient tout par la parole de sa puissance (Héb. 1. 2 et 3)? Mais nos adversaires n'écoutent point, sans essayer de répondre, les preuves de notre foi : et de même que les bêtes farouches, les plus ennemies de l’homme, lorsqu'elles sont enfermées dans des cages, frémissent contre les barreaux, et manifestent toute la férocité de leur naturel sans pouvoir assouvir leur fureur ; ainsi les Juifs, naturellement ennemis de la vérité, se voyant embarrassés, prétendent que c'est à beaucoup de personnes que la parole de Dieu s'adresse; que c'est aux anges présents qu'il dit : Faisons l’homme. C'est là vraiment une invention des Juifs, une fable, fruit de leur légèreté. Ils introduisent une infinité de personnes, pour n'être pas obligés d'en admettre une seule ; ils rejettent le Fils, et attribuent à des serviteurs la dignité sublime de conseillers du très Haut ; ils rendent maîtres de notre création ceux qui partagent avec nous la servitude. L'homme parfait peut s'élever jusqu'à la dignité des anges ; mais quelle créature peut devenir semblable à Dieu? Considérez la suite, à notre image. Que dit-on à cela? l'image de Dieu et des anges est-elle la même? La forme du Père et du Fils est la même nécessairement. La forme doit être entendue dans un sens convenable à Dieu, non dans le sens de figure corporelle, mais d'attribut propre à la divinité. Ecoutez, ô vous qui vous êtes fait nouvellement Juif, qui, sous prétexte de professer le christianisme, soutenez le judaïsme ! A qui Dieu dit-il : A notre image? à quel autre qu'à celui qui est la splendeur de sa gloire, le caractère de sa substance (Heb. 1. 3), l'image du Dieu invisible? C'est à son image vivante qu'il a dit: Moi et mon Père nous sommes une mime chose ; qui ma vu a vu mon Père (Jean, 10, 13 ; 14, 9) ; c'est à cette image qu'il dit : Faisons l'homme à notre image. Ou est la même image, peut-il y avoir disparité de nature? Et Dieu fit l’homme. L'Ecriture ne dit pas, ils firent. Elle veut éviter ici la pluralité des personnes. Instruisant le Juif par les premières paroles, et rejetant par celles-ci l'erreur des Gentils, elle recourt sagement à l'unité, afin que vous conceviez le Fils avec le Père, et que vous évitiez le danger du polythéisme. Il le fit à l'image de Dieu. Elle introduit de nouveau la personne d'un coopérateur, en ne disant pas, à son image, mais, à l’image de Dieu. Or, en quoi l'homme porte l'image de Dieu, et comment il participe à sa ressemblance, c'est ce que je montrerai par la suite avec la grâce du Seigneur. Qu'il me suffise maintenant de dire à nos adversaires : S'il n'y a qu'une seule image, comment vous est-il venu dans l'esprit de débiter une impiété aussi horrible, de dire que le Fils n'est pas semblable au Père? ô ingratitude ! vous refusez à votre bienfaiteur la ressemblance que vous avez reçue de lui ! vous prétendez devoir conserver une prérogative qui est pour vous une pure grâce ; et vous ne permettez pas que le Fils ait avec le Père une ressemblance qu'il tient de sa nature !

Mais le soir qui nous a conduits au coucher du soleil, et qui est déjà fort avancé, nous impose silence. Finissons donc ici notre instruction avec le jour, et contentons-nous de ce que nous avons dit. Nous n'avons touché le sujet du discours suivant qu'autant qu'il fallait pour réveiller votre ardeur. Nous l'examinerons bientôt plus en détail avec la grâce de l'Esprit-Saint. O vous, amis du Christ et son Eglise chérie, retirez-vous. Que le souvenir de ce que nous vous avons dit vous serve d'un repas honnête, préférable aux festins les plus magnifiques et aux mets les plus délicats. Que les Juifs et les hérétiques ennemis de Jésus-Christ rougissent ; que le fidèle triomphe des dogmes de la vérité ; qu'il glorifie le Seigneur, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

HOMÉLIE DIXIÈME.

SUR LA CRÉATION DE L'HOMME.

 

SOMMAIRE.

On trouve dans les œuvres de saint Basile, et dans celles de saint Grégoire de Nysse son frère, deux homélies sur la création de l'homme, qui ne sont certainement ni de l'un ni de l'autre. Saint Grégoire de Nysse, dans un traité sur la création de l'homme, dit en termes formels que Basile son frère a laissé imparfait l’hexaëméron, et qu'il a composé son traité pour y suppléer. Ce traité, où il y a de belles choses, annonce qu’il n'est pas l'auteur des deux homélies. L'autorité de saint Grégoire de Nysse suffirait seule pour convaincre que saint Basile n'en est pas non plus l'auteur : une ancienne version latine de l’hexaëméron, où les deux homélies ne sont pas traduites, le témoignage tacite de saint Ambroise, qui a mis en latin l’hexaëméron grec, et qui traite de lui-même la formation de l'homme, sans rien prendre des deux homélies, ces deux nouvelles autorités portent la chose au dernier degré de démonstration. J'ai lu cependant les deux homélies ; j'y ai trouvé bien des choses opposées à la manière de St. Basile, et peu dignes de ce grand orateur ; mais j'y en ai trouvé aussi beaucoup qu'il n’aurait pas désavouées. En général, elles offrent plus de beautés oratoires que le traité de saint Grégoire de Nysse. J'ai donc supprimé tout ce qui m'a paru être peu intéressant, ou ralentir la marche du discours, et des deux homélies je n'en ai fait qu'une seule telle que je la publie aujourd'hui en français. En voici le sommaire.

L'orateur se met à la place de saint Basile ; il annonce qu'il vient s'acquitter d'une ancienne dette dont la maladie lui a fait différer le payement. Il se plaint que l'homme ne s'étudie pas lui-même, et qu'il ne cherche pas à admirer l'Ouvrier suprême en admirant les merveilles que lui offre sa propre existence. Il explique ces paroles : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Dieu semble délibérer avant de créer l'homme, ce qui annonce l'importance de cet être. Nous avons été faits à l'image de Dieu. Qu'on écarte toute idée de figure corporelle, qui est incompatible avec l'idée de Dieu. Comment donc avons-nous été faits à l'image de Dieu? les paroles suivantes l'expliquent : Faisons l'homme à notre image, et qu'il commande aux poissons…. C'est par la raison, c'est par les lumières de son intelligence, et non par les forces de son corps, que l'homme commande aux animaux. Il est né pour commander, qu'il prenne garde de s'asservir aux passions. On montre comment l'homme commande aux poissons, aux bêtes sauvages, aux oiseaux du ciel ; tout ce morceau renferme de grandes beautés. On explique avec autant de solidité que de subtilité en quoi diffèrent ces deux expressions : A notre image et à notre ressemblance. Dieu prit du limon de la terre et forma l'homme. Dieu nous travaille de sa propre main, ayons une grande idée de nous-mêmes ; il nous forme du limon de la terre, n'ayons que des sentiments modestes. Ces deux idées sont développées avec éloquence. Le mot forma annonce un certain art dont use l'Ouvrier suprême en créant l'homme. L'homme est vraiment un petit monde qui offre au contemplateur attentif un nombre infini de merveilles. L'orateur s'arrête surtout à la stature droite du corps humain, et à la beauté de l'œil dont il donne une description fort étendu qui termine l'homélie.

Je viens m'acquitter d'une ancienne dette, dont la maladie, et non la mauvaise volonté, m'a fait différer le paiement : dette indispensable, et dont je suis justement redevable à ceux qui m'écoutent. Serait-il juste qu'après nous être instruits de ce qui concerne les bêtes sauvages, les animaux domestiques, les poissons, les volatiles, le ciel et les astres qui le décorent, la terre et ses productions, on nous vît négliger de chercher dans les divines Ecritures des lumières sur notre origine? Nos yeux aperçoivent les objets extérieurs sans se voir eux-mêmes, à moins qu'ils ne rencontrent une surface dure et polie, qui réfléchisse les rayons visuels, et qui les faisant, pour ainsi dire, retourner sur leurs pas, nous fasse envisager même ce qui est derrière nous. Ainsi notre esprit aperçoit tout excepté lui-même, à moins qu'il ne tourne son attention vers les Ecritures, dont la lumière réfléchie fait que chacun de nous peut se voir comme dans un miroir fidèle. En général, nous ne nous étudions pas nous-mêmes, nous négligeons d'examiner notre propre structure, nous ignorons ce que nous sommes, et quels nous sommes ; absolument indifférents sur ce qui nous regarde, nous n'avons aucune connaissance de ce qu'il y a en nous de plus commun et de plus à notre portée. Beaucoup de sciences et d'arts se sont occupés du corps humain, et un grand nombre de savants ont donné tous leurs soins à cette étude. Si l'on parcourt la médecine, on verra combien elle a écrit sur l’usage des diverses parties de notre corps ; combien, en essayant de le disséquer, elle a trouvé dans l'intérieur de routes cachées et de canaux secrets, partout une harmonie parfaite, le cours du sang, les organes de la respiration et la manière de respirer, le foyer de la chaleur générale placé dans le cœur dont le battement est continuel. Les médecins ont fait sur tous ces objets mille recherches dont personne de nous n'est instruit, parce que nous n'avons donné aucun temps à cette science, et que chacun ignore ce qu'il est. Nous sommes plus portés à contempler le ciel qu’à nous étudier nous-mêmes. Ne dédaigne point, ô homme, les merveilles qui sont en toi ! Tu es un être peu important, à ce que tu penses ; mais ce discours te montrera toute la grandeur. C'est pour pela que le sage David, qui savait bien s’examiner lui-même, disait à Dieu : La science de votre nature a été en moi admirable d'après l'étude de moi-même (Ps. 138. 6). C'est-à-dire, j'ai trouvé d'une manière admirable la connaissance de votre nature : comment cela? d'après l’étude de moi-même. La science de notre nature a été en moi admirable d'après l'étude de moi-même ; et considérant tout l'art qui existe en moi, avec quelle sagesse mon corps a été construit, le principe spirituel qui l'anime, la raison qui le gouverne,[92] cette faible mais admirable machine m'a fait connaître le grand Ouvrier.

Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. 1. 26). A la fin de la dernière instruction, nous avons montré suffisamment, quoiqu'en passant, quel est celui qui parle et à qui la parole s'adresse. L'Eglise a des preuves sur la divinité du Verbe, ou plutôt une foi plus solide que toutes les preuves. Faisons l'homme. Apprenez qui vous êtes dès ces premiers mots. Cette parole n'a pas encore été employée pour les autres ouvrages de la création. La lumière a été créée d'après un simple ordre. Dieu dit : Que la lumière soit. Que le ciel existe ; et le ciel a existé sans délibération précédente. Que les grands; corps lumineux paraissent; et ces corps ont paru sans que Dieu ait délibéré. Les vastes plaines de la mer ont été produites d'après un simple commandement de Dieu, ainsi que toutes les espèces de poissons. Il a dit, et tout a été fait : bêtes sauvages, animaux domestiques, animaux nageurs et volatiles. L'homme n'existe pas encore ; et Dieu délibère sur l'homme. Il ne dit pas, comme pour toutes les autres créatures, que l'homme, soit. Apprenez combien vous êtes une créature précieuse.

Votre création n'est pas abandonnée à un simple ordre; mais Dieu établit en quelque sorte un conseil au-dedans de lui pour délibérer sur vous, pour savoir comment il doit donner la vie à un être si excellent. Faisons, dit-il. La sagesse elle-même délibère, l'Ouvrier suprême examine. Est-ce que son art est embarrassé? est-ce qu'il cherche avec inquiétude à produire un ouvrage accompli, auquel rien ne manque? ou plutôt ne veut-il pas vous apprendre que vous êtes parfait à ses yeux?

Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. Il est clair, d'après l'Ecriture, que nous avons été faits à l'image de Dieu? Qu'est-ce à dire, à l'image de Dieu? n'imaginons rien de corporel et de terrestre, purgeons nos cœurs de toute idée grossière, délivrons nos esprits de toute ignorance, de toute opinion fausse sur la divinité, de ces opinions qui font dire à quelques-uns ; Si nous avons été faits à limage de Dieu, Dieu a donc la même figure que nous ; il a donc des yeux, des oreilles, une tête, des mains, des pieds qui portent tout le corps. Aussi est-il dit dans l'Écriture que Dieu s'assied, qu'il a des pieds avec lesquels il marche. Dieu a donc la même figure que nous. Bannissez de vos cœurs ces imaginations absurdes ; chassez de vos esprits ces pensées peu convenables à la majesté divine. Dieu est simple, sans forme, sans grandeur et sans mesure physique. Ne vous imaginez pas une figure dans Dieu ; ne rapetissez pas, comme les Gentils,[93] le grand Etre ; ne resserrez pas Dieu par des idées corporelles; ne circonscrivez point, par lès bornes de votre intelligence, celui qui, par l'immensité de sa grandeur, est incompréhensible. Imaginez quelque chose de grand, ajoutez-y ensuite, ajoutez-y encore de plus en plus, et soyez certain que votre esprit ajoutera toujours sans pouvoir jamais atteindre à l'infini. Ne vous imaginez donc pas une figure dans Dieu en qui tout est puissance, ni une grandeur déterminée, puisqu'il est partout, supérieur à tout l’univers. Il ne peut être ni touché, ni vu, ni conçu, ni terminé par une forme, ni circonscrit par une mesure, ni imité en puissance, ni renfermé dans le temps, ni borné par aucun nombre. Il n'est rien absolument en Dieu tel que dans nos corps existants, ou dans les corps intelligibles.

Comment donc l'Ecriture a-t-elle dit que nous avons été faits à l'image de Dieu? Reconnaissons ce que nous avons en nous qui semble nous approcher de Dieu, et convenons que ces paroles, à notre image, ne doivent nullement être prises dans le sens de figure corporelle. Le corps se toit : or, ce qui est visible ne peut avoir de rapport avec un être invisible ; et ce qui est corruptible ne peut être l'image d'un être incorruptible, Le corps se fortifie, s'affaiblit, vieillit, éprouve des changements. Il n'est pas dans la vieillesse ce qu'il est dans la jeunesse, dans l'adversité ce qu'il est dans la prospérité, dans la tristesse ce qu'il est dans la joie, dans la crainte ce qu'il est dans la confiance, dans l'abondance ce qu'il est dans le besoin, dans la guerre ce qu'il est dans la paix. Il n'a pas, lorsqu'il dort, le même teint que lorsqu'il est réveillée Comment donc ce qui change peut-il ressembler à ce qui ne change pas ; ce qui n'est jamais dans le même état, à ce qui est toujours le même? Le corps humain nous échappe comme une eau courante, il se dérobe à nous avant que nous puissions le contempler, il change continuellement. A notre image. Comment une nature fluide et changeante peut-elle être l'image d'une nature immuable, une nature qui a une forme, de celle qui n'en a pas? Où chercherons-nous le sens de ces paroles : A notre image? dans ce que Dieu lui-même ajoute aussitôt, Si je vous dis quelque chose de moi, ne l'écoutez pas : si je vous offre les paroles mêmes du Seigneur, recevez-les.

Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il commande aux poissons. Par où, je vous le demande, Commandez-vous aux poissons? Est-ce par le corps ou par la raison? votre commandement tient-il à l’âme ou à la chair? Le corps de l'homme est plus faible que celui de beaucoup d'animaux ; et nous ne comparerions jamais notre force avec celle du chameau, de l'éléphant, du taureau, du cheval, ou de chacun des grands animaux, La chair de l'homme est fragile, mise en comparaison avec celle de la bête sauvage, Mais en quoi consiste notre commandement? c'est dans la supériorité de la raison. Tout ce qui sous manque par la force du corps, nous le possédions avec avantage par les ressources de la Raison. Notre âme, douée d'intelligence, a pu se soumettre facilement tout ce qui est dans le monde. Par où l’homme transporte-t-il les plus grands fardeaux? est-ce par la subtilité de l'esprit ou par la vigueur du corps? Ainsi, c'est dans les ressources de la raison, et non dans la figure, du corps, qu'on doit chercher notre commandement, et la prérogative d'avoir été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Faisons l'homme à notre image. L'Ecriture parle de l'homme intérieur, quand elle dit : Faisons l’homme. Mais, direz-vous, pourquoi ne nous parle-t-elle pas de la raison? Elle dit que l'homme a été fait à l'image de Dieu : or, la raison est l'homme. Ecoutez l'Apôtre qui dit : Quoique dans nous l’homme extérieur se détruise, cependant l’homme inférieur se renouvelle de jour en jour. Reconnaîtrai-je donc deux hommes dans le même homme? oui, sans doute ; l'un qui paraît aux yeux, et l'autre qui est caché par celui qui paraît, l’homme invisible, l'homme intérieur, l’homme proprement et véritablement dit. Nous avons-donc un homme au-dedans de nous-mêmes, et nous sommes doubles en quelque sorte. Il est vrai de dire que nous existons au-dedans de nous. Je suis l'homme intérieur ; ce qui est au-dehors n'est pas moi, mais à moi. Je suis l’âme raisonnable, dans laquelle âme raisonnable consiste ma perfection. Le corps est à moi ; le corps est l'instrument de l’homme, l'instrument de l’âme : l'homme proprement est l’âme même. Faisons l’homme à notre image, c'est-à-dire, donnons-lui la supériorité de la raison, et qu'ainsi il commande aux poissons, aux bêtes féroces, et à tous les êtres. Il ne dit pas : Faisons l'homme à notre image ; et qu'il se livre à la colère, à la cupidité, à la tristesse : car ce ne sont pas les passions qui constituent l'image de Dieu, mais la raison qui domine les passions, qui commande à toutes les affections charnelles, qui s'élève au-dessus des choses visibles et trompeuses.

Admirez, les soins et les attentions qu’a eus pour vous, dès l'origine, un Dieu qui en vous créant d'abord, vous a donné un commandement perpétuel et non héréditaire. Un homme qui reçoit la puissance d'un homme, est un mortel qui reçoit d'un mortel, de celui qui ne possède pas vraiment : car quelle autorité un homme peut-il avoir sur l’âme d'un autre homme? aussi ne tarde-t-il pas à perdre cette puissance. Vous, vous avez reçu votre pouvoir de Dieu même : les titres en sont ineffaçables, parce qu'ils ne sont pas écrite sur des tables de bois, sur des tables corruptibles, qui deviennent la pâture des vers, mais gravés dans notre nature par cette première parole de Dieu : Qu’il commande. Dès lors, tous les êtres ont été assujettis à l'empire de l'homme et le seront jusqu'à la fin. Qu'il commande, dit l'Ecriture; aux poissons, aux oiseaux du ciel, aux bêtes sauvages, aux animaux domestiques, aux reptiles qui rampent sur la terre. Dieu ne dit pas : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'il mange des arbres fruitiers qui ont fruit en eux-mêmes : il le dira ensuite lorsque le paradis terrestre aura été planté : c'est pour vous apprendre que les besoins du corps ne doivent occuper que la seconde place, et ne venir qu'après les principaux attributs de l’âme. Ce n'est qu'après que la puissance du commandement nous a été donnée avec l'être, que les délices d'un paradis nous ont été ajoutées comme par surcroît.

O homme ! tu es né pour commander, pourquoi te rendre esclave des passions? pourquoi avilir ta dignité, t’asservir au péché, t'assujettir au démon? Tu as été nommé chef de tous les animaux ; et tu abandonnes les titres augustes de ta nature ! Tu as été élevé au rang de maître du monde ; c'est pour toi un devoir plus étroit de tenir toujours ta raison maîtresse absolue des passions, afin que tu ne serves pas de jouet et de risée à tes sujets, afin qu'ils ne voient pas leur souverain et leur monarque indignement asservi, traîné comme un vil esclave, comme un captif misérable. Tu as été appelé à la foi étant esclave (I. Cor. 7. 21). Pourquoi te mettre en peine d'une servitude corporelle? pourquoi n'être pas fier de la domination que Dieu t'a accordée, si ta raison domine les passions? Lorsque tu vois ton maître esclave de la volupté, et que tu es tempérant, sache que tu n'es esclave que de nom, et que lui il n'est maître qu'en apparence, qu'il s'est mis en effet sous le joug de la servitude. Eh ! lorsqu'il est asservi à une fornication honteuse qui l'entraîne, et que toi, par l'empire de la raison, tu t'es mis au-dessus de ce vice, n'es-tu pas vraiment le maître, puisque tu commandes à la volupté, et n'est-il pas vraiment l'esclave, puisqu'il obéit à une passion que tu as foulée aux pieds? ainsi, où est la puissance du commandement, là est l'image de Dieu : où est l’image de Dieu, là est l'homme qu'il a formé de ses mains.

Qu'il commande aux poissons. Dieu nous accorde d'abord le commandement des poissons. Il ne dit pas, qu'il commande aux animaux qui sont élevés avec lui, mais aux poissons qui vivent sous les eaux. Il nous donne d'abord le commandement des poissons, afin qu'à l'empire sur des animaux plus éloignés et aquatiques, il ajoute aussitôt, et à bien plus forte raison, celui sur des animaux terrestres et proches de nous. Comment donc pouvons-nous commander aux poissons, si nous ne vivons pas avec eux? Si quelquefois vous avez vu votre image dans un étang, si vous avez; observé comment votre ombre seule effraie tous? les poissons qu'il renferme, vous avez pu reconnaître quelle est la force de votre empire. Quel père de famille, quand une querelle trouble sa maison, survenant tout à coup, a ramené la tranquillité et a tout remis en ordre par sa présence puissante, aussi facilement que l'homme par sa seule vue imprime la frayeur à tous les êtres aquatiques, qui dès lors ne sont plus les mêmes, et n’osent plus nager avec la même liberté sur la surface de l'onde? Quoique le dauphin s'annonce comme le roi des poissons, cependant, lorsqu'il sent l'homme près de lui, il est comme pénétré de crainte et de respect ; il ne se livre plus à ses mouvements, et ne bondit plus comme de coutume : tant il est vrai que l'homme est fait pour commander aux animaux nageurs ! Lorsque vous voyez votre raison étendre sur tout son empire, et tout dominer par son industrie, pourriez-vous ne pas avoir le commandement des plus grands poissons? J'ai vu une invention humaine fort subtile. On fait des hameçons assez forts pour prendre des poissons énormes, on y met des appâts proportionnés à la grandeur des animaux ; ensuite, aux deux extrémités des cordes qui tiennent les hameçons, on attache des outres pleines de vent, qui restent suspendues sur la mer. Lorsque des baleines, par exemple, se sont jetées sur les appâts et qu'elles sont bien prises aux hameçons, elles entraînent au fond les outres, qui, par leur légèreté naturelle, les ramènent à la surface. Percées de l'hameçon dont elles ne peuvent se débarrasser, elles s'agitent et se tourmentent pour regagner le fond, changent continuellement de place, se fatiguent inutilement, jusqu'à ce que succombant à la peine et à la faim, un grand et indomptable animal soit pris par un modique hameçon, et que, traîné mort avec les outres, il devienne la proie du pêcheur, d'un être petit et faible, lui qui est si grand et si puissant en force. Pourquoi cela? c'est que l'homme ayant le pouvoir de commander par la supériorité de la raison, amène à l'obéissance, comme de méchants esclaves, les êtres les plus indociles, et qu'il asservit par contrainte ceux qui ne peuvent se soumettre par douceur. Tant il est vrai que le pouvoir de commander donné à l'homme par Dieu est universel! De là les veaux marins, les baleines, en un mot toutes les espèces de poissons les plus redoutables sont soumises à l'homme.

Qu’il commande aux poissons de la mer et aux bêtes sauvages de la terre. Ne voyez-vous pas le lion, cet animal rugissant et terrible, dont le nom seul épouvante nos oreilles, dont le rugissement fait trembler la terre, dont l'impétuosité ne trouve rien qui lui[94] résiste?.... parmi les plus grands animaux, il n'en est aucun qui ait assez de confiance en ses forces pour entreprendre de tenir tête au lion : nous le voyons cependant enfermé dans une cage étroite. Qui est-ce qui l’a mis dans cette cage? qui est-ce qui a imaginé une si petite prison pour un si puissant animal, une prison ont les barreaux lui permettent de respirer librement sans qu'il puisse nuire à personne? N'est-ce point l'homme, dont l'intelligence se joue des plus redoutables animaux? ne se fait-il pas un jeu des panthères, lorsqu’il élève un homme en carton que la panthère déchire, tandis que lui, placé plus bas, rit de la fureur de cet animal? L'homme, par la supériorité de sa raison, ne domine-t-il pas sur tous les êtres? Comment cela? je vais parler des oiseaux. L'homme ne peut s'élever dans l'air puisqu'il n'a point d'ailes ; mais par la force de son esprit, il suit dans l’air les oiseaux et vole avec eux. Non, rien ne peut arrêter la raison de nomme ; elle fouille dans les abîmes de la mer; elle prend sur la terre les animaux qui y marchent; ceux qui traversent les airs, elle les arrête dans leur vol, et, les attirant en bas, elle s'en rend maîtresse. Avez-vous vu quelquefois un oiseau perché sur une branche, et qui, se confiant dans la légèreté de ses ailes, semble se moquer des hommes qui marchent sur la terre au-dessous de lui? Cependant on le verra bientôt pris par un enfant qui s'amuse. Cet enfant joint les uns aux autres plusieurs chalumeaux dont il frotte les extrémités d'une glu tenace; ensuite il les dispose adroitement dans les branches et parmi les feuilles, de façon que l'aspect de la glu échappe à l'œil volage de l’oiseau. Un léger contact le rend maître de l’animal volatile ; et celui qui traversent rapidement les airs, pris par la glu, devient son captif. L'homme est couché par terre, ses pieds et ses mains sont en bas ; mais son esprit s'élève en haut avec les êtres qui parcourent une région supérieure; il atteint, et prend, par les inventions de l'art, les animaux qui ont des ailes. Des rets sont tendus par lui aux oiseaux, ses flèches les percent lorsqu'ils volent ; les plus gourmands se laissent prendre aux appâts qu'il leur présente. N'avez-vous pas vit encore l'aigle qui se précipite sur sa proie, et qui se trouve arrêté dans des toiles disposées à terre Ainsi ce qui s'élève s'abaisse, attiré par les appâts que Monime apprête. Car Dieu a tout mis sous sa main, il lui a donné toutes les créatures pour son héritage, et lui a communiqué son autorité suprême. Ne dites donc pas ; Que m'importent les êtres qui volent dans l’air? car votre raison vous les a soumis eux-mêmes. Et aux reptiles qui rampent sur la terre. Voyez-vous en quoi consiste le privilège d'avoir été fait à l'image de Dieu et est, sans doute, dans le pouvoir du commandement, dans la raison et dans l’intelligence de l’âme.

Et Dieu fit l’homme (Gen. 1. 27). Qu'est-ce donc que l’homme? nous allons le définir d'après ce que nous lisons dans les Livres sacrés ; car nous avons plus besoin d'emprunter des définitions étrangères, et d’introduire dans les raisonnements de la vérité les paroles d'une vaine philosophie. L'homme est l’ouvrage de Dieu, doué de raison, fait à l’image de son Créateur. Que ceux qui ont consumé bien des années dans l’étude d'une sagesse frivole, examinent si cette définition est défectueuse ; pour nous, avançons, et continuons d’étudier les sens de l'Ecriture dans ce qu'elle dit de la formation de l'homme...

Et Dieu fit l'homme ; il le fit à l'image de Dieu (Gen. 1. 27). Ne remarquez-vous point que Dieu n'exécute pas tout ce qu’il s'est proposé. Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. La délibération renferme deux choses, à notre image et à notre ressemblance. La création n'en offre qu'une, à son image. Est-ce que Dieu changeant d'avis, exécute autrement qu’il n'a projeté: s'est-il repenti en créant? ou bien peut-être serait-ce impuissance dans le Créateur, qui ne peut accomplir tout ce qu'il s'est proposé de faire? ou encore, y aurait-il redondance dans les premières paroles, et l'addition du second mot serait-elle inutile, les deux signifiant absolument la même chose sans aucune différence? Parmi toutes ces explications, quelle que soit celle qu'on adopte, elle ne peut que tourner au grand désavantage de l'Ecriture. Si l’on prétend que l'addition à notre ressemblance est inutile, et que c'est dire deux fois la même chose, le mot est donc oiseux; et c'est blasphémer l'Ecriture qui n'emploie jamais de mots oiseux. Les deux mots, à notre image et à notre ressemblance, sont donc nécessaires, et ont chacun leur signification propre. Pourquoi donc, lorsque l'homme est créé, l'Ecriture ne dit-elle pas que Dieu l’a fait à son image et à sa ressemblance, mais seulement à son image? Que si l’on dit que le Créateur a été impuissant, c'est un discours aussi impie qu'absurde. Il n'y a pas moins d'impiété à dire qu'il s'est repenti de sa première résolution, et qu'il l'a rétractée comme l'ayant mal prise. Mais ni l'Ouvrier suprême n'est impuissant, ni le Dieu souverainement bon, qui connaît tout, ne peut se repentir, ne peut différer à remplir ses promesses, ni la sagesse par essence ne change d'avis; l'Ecriture ne dit rien de semblable. Pourquoi donc le divin Moïse, dans la création de l'homme, dit-il seulement que Dieu le fit à son image, sans ajouter, et à sa ressemblance, quoique les deux mots aient été réunis dans la première délibération?

La solution de la difficulté est facile, pour peu qu'on examine attentivement les choses. Etre fait à l'image de Dieu, c'est un avantage qui nous est donné par notre nature, avantage qui a toujours été le même dès l'origine et qui le sera jusqu'à la fin. Etre fait à sa ressemblance, tenait à notre volonté, et c'est nous qui devions l'accomplir par la suite. Ainsi, lorsque, dans la première délibération, Dieu disait : Faisons l'homme à notre image, il a ajouté et à notre ressemblance, annonçant qu'il nous donnerait une volonté libre, par laquelle nous pourrions devenir semblables à Dieu. Et nous le sommes déjà devenus, suivant l'oracle du très Haut; car plusieurs se sont déjà montrés et se montreront encore semblables à lui, quoique nous ne marchions pas tous vers le même but, mais que le plus grand nombre, par lâcheté, prenne une route contraire. Dans la création même de l'homme, l'Ecriture dit seulement que Dieu le fit à son image, parce que c'est le seul privilège parfait et immuable qu'il ait mis dans la nature humaine : elle supprime et à sa ressemblance, parce que, sans doute, Dieu n'a ajouté cet avantage dans l'homme qu'en puissance, et qu'il avait besoin, pour le réduire à l'acte, de l'opération de la créature qui recevait de lui la volonté. Si donc, sans avoir dit d'abord dans sa délibération, et à notre ressemblance, Dieu nous eût accordé sur le champ de devenir semblables à lui, nous n'aurions pu par la suite nous procurer nous-mêmes cette insigne faveur par un heureux effet de notre libre arbitre, et en conséquence nous l'aurions possédée dans l'origine nécessairement. Mais qu'est-il arrivé? lorsque nous avons passé du néant à l'être, ce que le Créateur avait mis dans notre nature, comme faisait partie de notre substance, et qui était parfait dès lors, nous l'avons possédé sur le champ et on en a formé notre nom, sans doute: l'avantage, d'avoir été faits à l'image de Dieu : quant à ce qui n'a pas été perfectionne sur le champ en nous, ce qui n'a pas accompagné naturellement: notre formation, mais ce qui devait être le fruit de notre volonté libre et agissante, je veux dire la ressemblance avec Dieu, nous ne l'avions pas encore, et notre nom ne pouvait pas en être composé. C'est avec dessein que le Créateur l'a laissé imparfait; c'est afin que, la pratique de la vertu vienne aussi de nous, que nous en avons le mérite, et que nous en puissions recevoir la récompense ; c'est afin que nous ne soyons pas comme des tableaux inanimés, qui, placés au hasard dans l'atelier d'un peintre, sont perfectionnés par lui, et ne contribuent en rien par eux-mêmes à leur beauté. Celui qui les contemple et qui les trouve parfaitement peints, loue avec raison et admire l'artiste ; pour ce qui est des couleurs en elles-mêmes ou de la toile sur laquelle elles sont posées, il n'en fait aucun cas. Afin donc que l'admiration fut aussi pour moi, et que je partageasse avec Dieu la louange d'une création parfaite, il m'a abandonné le soin de la ressemblance avec lui. J'ai donc en moi, et une raison intelligente, capable de faire le bien, comme l'annonce le privilège d'avoir été fait à l'image de Dieu; et l'exercice de cette même faculté, la pratique de la vertu, l'avantage de devenir semblable à Dieu par des mœurs sûres et de bonnes œuvres. Ainsi être fait à l'image de Dieu, est la source et le principe du bien, et ce qui a été mis sur le champ dans ma nature au moment même de ma création : être semblable à Dieu, c'est la perfection de l'homme, et ce que j'ai ajouté en moi par mes propres actions, par les soins et les peines que j'ai pris pour rendre toute ma vie vertueuse. Le Créateur ne devait donc point me gratifier d'abord, en me créant, de l'avantage d'être fait à sa ressemblance. Ecoutez les paroles mêmes de l'Evangile : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ; ressemblez-lui, parce qu'il fait lever son soleil sur les bons et sur les médians, qu'il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Matth. 5. 45 et 48). Vous voyez par où et pourquoi le Seigneur veut que vous soyez semblables à lui : parce qu’il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qu'il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Si vous ne détestez que le vice, si vous oubliez le mal qu'on vous a fait, si vous ne vous vengez pas de votre ennemi, si vous lui pardonnez du fond de votre cœur, si vous ne vous souvenez pas de la haine d'hier, si vous aimez vos frères, si vous êtes touché de leurs maux, vous êtes semblable à Dieu. Si vous êtes pour votre frère qui vous a offensé, tel qu'est Dieu pour vous pécheur qui lui résistez tous les jours, cette charité parfaite et cette tendresse pour votre prochain vous rendent semblable à Dieu. Ainsi vous êtes fait à son image, parce que vous êtes doué de raison; vous lui êtes semblable, parce que vous prenez la bonté. Prenez donc des entrailles de tendresse et de bonté (Col. 3. 12), afin de vous revêtir de Jésus-Christ. C'est en prenant la bonté que vous vous revêtez de Jésus-Christ : c'est vous identifiant, pour ainsi dire, avec le Fils de Dieu, que vous vous identifiez avec Dieu son Père. L'histoire de la formation de l'homme est donc une leçon qui nous apprend à bien régler notre vie. Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Qu'il tire le premier avantage de la création même, et le second de son propre travail;[95] puisqu'il trouve dans sa volonté propre la faculté de devenir semblable à Dieu. Si Dieu, dès le commencement, vous eût fait à sa ressemblance, où serait votre mérite? comment seriez-vous couronné? si le Créateur eut tout donné à la nature, comment le royaume des cieux vous serait-il ouvert? mais il lui a donné une partie, et il a laissé l'autre imparfaite, afin que vous perfectionnant vous-même, vous vous rendiez digne de la récompense divine. Comment donc prenons-nous là ressemblance avec Dieu? c'est en pratiquant l'Evangile. Qu'est-ce que le christianisme, sinon une ressemblance avec Dieu autant que le permet la nature humaine? Voulez-vous être vraiment chrétien; hâtez-vous de devenir semblable à Dieu....

Continuons à expliquer ce qui regarde la création de notre espèce. Dieu prit du limon de la terre et forma l'homme (Gen. 2. 7). Dieu daigne former notre, corps de sa propre main. Il n'emploie pas pour cet ouvrage le ministère d'un ange ; il n'abandonne pas à la terre; le soin de nous produire d’elle-même comme les cigales;[96] il ne charge pas des puissances à ses ordres de faire telle ou telle partie ; mais il nous travaille de sa propre main en prenant du limon de la terre. Si vous considères la matière qui est employée, vous direz avec raison : Qu'est-ce que l'homme? Si vous examinez l'Ouvrier qui opère, et si vous faites réflexion qu'il opère lui-même, vous vous écrierez sans balancer: Que l'homme est grand !....

Dieu prit du limon de la terre et forma l'homme. Quelques-uns ont cru qu'il fallait entendre du corps le mot forma et le mot fit de l’âme : explication qui n'est peut-être pas hors de la vérité. En effet, après avoir dit: Et Dieu fit l’homme, l'Ecriture ajoute : Et il le fit à l'image de Dieu. Mais lorsqu'ensuite elle nous parle de la substance du corps et de sa construction, elle dit : Il forma. Le Psalmiste nous apprend lui-même la différence des deux expressions : Vos mains, dit-il, m'ont fait et m'ont formé (Ps. 118. 73). Elles ont fait l'homme intérieur, elles ont formé l'homme extérieur. L'un convient au limon, l'autre à ce qui a été fait à limage de Dieu. Ainsi, la chair a été formée, l’âme a été faite. Après nous avoir entretenus de la substance de l’âme, l'Ecriture nous parle de la formation du corps.

On peut donner une autre explication à ce passage ; comment cela? on peut dire que l'Ecriture parle d'abord de la création en général, et ensuite de la manière dont chaque chose a été créée. Elle a dit plus haut qu'il a fait, sans s'arrêter à la manière dont il a fait ; si elle eût dit simplement qu'il a fait, on aurait pu penser qu'il nous a faits comme les animaux sauvages et domestiques, comme l'herbe et les plantes. De peur donc que vous ne vous confondiez avec les bêtes féroces et avec les êtres inanimés, elle rapporte l'art particulier avec lequel Dieu vous a fait : Dieu prit, dit-elle, du limon de la terre, et forma l’homme de ses propres mains. Songez, ô homme, comment vous avez été formé : réfléchissez sur la construction de votre nature. C'est la main de Dieu qui vous a fabriqué. Prenez donc garde que l'ouvrage formé par Dieu même ne soit souillé par le vice, ne soit corrompu par le péché ; prenez garde de vous arracher par force à la main de Dieu qui vous conserve. Vous êtes un vase façonné de la main divine ; glorifié celui qui vous a fait, et qui ne vous a fait que comme un instrument propre à sa gloire. Car tout ce monde entier est comme un livre écrit qui vous prêche la gloire de Dieu, qui, par des beautés frappantes, vous annonce cette grandeur cachée et invisible, à vous qui êtes doué d'intelligence, pour vous faire connaître le Dieu de vérité. Ne perdez donc point le souvenir de ces réflexions.

Dieu prit du limon de la terre, et forma l’homme. A ce mot de limon, apprenez à n'avoir que des sentiments modestes. N'ayez pas de grandes idées de vous-même. S'il vous survient des pensées propres à élever votre cœur, à le livrer aux enflures de la vaine gloire, ou parce que la fortune vous favorise, ou parce que vous avez quelques talents et quelques vertus, opposez sur le champ à ces pensées le souvenir de votre formation ; rappelez-vous que vous n'êtes que poussière, la production de cette terre que vous foulez aux pieds. Si donc, vivant sur la terre, vous faites quelque chose de grand ou de médiocre, vous avez près de vous un mémoratif de votre bassesse. Si la colère vous trouble, parce que peut-être vous avez été outragé, parce que quelqu'un vous a reproché votre naissance ; si vous êtes excité à lui renvoyer des reproches plus injurieux, jetez les yeux sur la terre, songez d'où vous êtes sorti ; et votre colère sera bientôt apaisée. La réflexion vous fera comprendre sur le champ que celui qui vous a reproché votre naissance, loin de vous outrager, vous a honoré. Car enfin cet être obscur dont il vous reproche de tirer votre origine, quand ce serait un esclave, est toujours un homme animé : or, vous avez été proprement formé, vous êtes proprement composé d’une terre inanimée et insensible. C'est donc moins un outrage qui vous a été adressé, qu'un honneur qui vous a été rendu. Et si un mouvement charnel vous domine, vous engage à satisfaire les désirs de la concupiscence, tournez aussitôt les yeux vers la terre ; rappelez-vous que, comme vous en êtes sorti, vous ne tarderez pas à y retourner ; que ces passions brutales, cette chair qui vous sollicite, ces membres qui brûlent aujourd’hui d'une flamme impure, ne seront plus demain, que votre corps disparaîtra avec les désirs qui l'agitent. Ainsi la considération que la terre est notre mère, et les regards que nous portons sur elles sont propres à nous affranchir de toutes ces passions furieuses qui nous tourmentent sans relâche, et dont il paraît si difficile de nous délivrer.

Dieu prit du limon de la terre. Si nous avions été formés du ciel, comme nous ne pouvons le regarder toujours, nous n'aurions pu nous souvenir sans cesse de notre nature ; mais nous avons continuellement sous notre main et sous nos yeux l'élément qui nous rappelle notre bassesse et notre faiblesse. Le limon dont nous avons été formés, nos pieds le foulent, nos mains le louchent, nos yeux le voient, nous en sommes souillés à chaque instant. Quoi de plus vil et de plus infect que la terre et la boue dont vous ayez été formé? quoi de plus propre à vous inspirer des sentiments modestes et un mépris raisonnable de vous-même? lors donc que vous voyez quelqu'un qui a une grande idée de lui-même, revêtu d'habits somptueux sur lesquels flotte une longue chevelure artistement arrangée, portant au doigt une pierre précieuse et autour du cou un cercle d'or, assis sur une chaire d'or, avec une contenance fière et un langage imposant, faisant écarter la multitude par la foule d'esclaves, de parasites et de flatteurs qu'il traîne à sa suite ; paraissant dans la place publique, où mille personnes le saluent, viennent au-devant de lui, raccompagnent par honneur, lui rendent hommage de toutes les manières : lorsque vous voyez un magistrat précédé par un héraut qui l'annonce à haute voix et qui écarte le peuple ; lorsque vous voyez un homme prononcer contre ses semblables la confiscation des biens, l'exil, la mort; ne soyez pas frappé de ce que vous voyez, n'en soyez pas humilie, que tout ce faste ne vous étonne pas : songez que Dieu a formé l'homme en prenant du limon de la terre ; et si ce que vous voyez dans l'homme est tout autre chose que de la terre, soyez saisi de crainte, soyez ravi d'admiration ; mais si celui qui étale tout cet appareil n'est que boue et poussière, n'ayez que du mépris pour toute cette vaine apparence.

Dieu forma l’homme. Le seul mot forma annonce un certain art dont use l'Ouvrier suprême en créant l'homme. Est-ce le même art qu'emploient les artistes qui font des figures en argile, des statues en airain, ou quelque autre ouvrage, et qui ne peuvent imiter que la surface des choses? Par exemple, ils représentent un homme avec l'extérieur du courage et de la bravoure, ou de la crainte et de la lâcheté : ils donnent à Une femme l'expression de l'amour, de la pudeur, ou de quelque autre passion naturelle à son sexe, que peut rendre un habile artiste. L'opération de Dieu est bien différente ; pénétrant jusqu'à l'intérieur pour former le caractère original de l'homme, la vertu de la création a distribué au-dedans du corps des organes qui produisent en un moment une ouïe d'affections et de pensées diverses, qui se mêlent et se confondent pour tendre toutes à une même fin. Je voudrais avoir assez de temps pour vous expliquer dans le plus grand détail toute la construction de l’homme. Vous auriez appris d'après vous-même quelle est là sagesse merveilleuse du Créateur et son intelligence souveraine. L'homme est en effet un petit monde, et c'est d'après de justes remarques qu'on, l'a décoré de ce titre. Que de sciences, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, ont consacré tous leurs soins à l'étude de cet ouvrage admirable ! les considérations de la physique, les recherches de la médecine, les observations de la gymnastique sur chaque membre en particulier et sur le rapport de tous les membres entre eux, toutes ces sciences et arts se réunissent pour étudier et pour enseigner la formation de l'homme.

Quel discours pourrait développer avec exactitude tout ce que renferme cette seule parole : Dieu forma? Vous connaissez, sans qu'il soit besoin que j'en parle, les objets extérieurs et visibles. Dieu vous a fait, comme vous voyez, avec une stature droite ; il vous a donné cette conformation qui vous distingue de tout le reste des animaux. Pourquoi cela? c'est qu'il devait ajouter des qualités activée qui tiennent essentiellement à cette forme, et qui en sont comme une dépendance nécessaire. La plupart des bêtes ne sont que des animaux paissants, et ont une conformation propre à leur destination naturelle. Telle est la brebis : comme elle est née pour vivre de pâturages, sa tête tournée en bas regarde le ventre et les organes des passions animales. Le bonheur des bêtes consiste à remplir leur ventre et à jouir des voluptés charnelles. La tête de l'homme, élevée au-dessus de toutes les autres parties du corps s'élance en haut, afin qu'il regarde les choses d'en haut, avec lesquelles il a de l'affinité. Ne prenez donc pas des inclinations contraires à votre nature, ne soyez pas occupé des choses terrestres ; ne vous penchez pas vers la terre ; mais contemplez sans cesse les choses célestes, et regardez-vous comme dans un miroir, dans ce ciel pour lequel vous êtes destiné et où vous devez vivre. La manière dont est conformé votre corps vous apprend pour quelle fin vous avez été créé. Ce n'est point pour ramper sur la terre comme les reptiles, que vous avez été formé droit, mais pour regarder le ciel et Dieu gui l’habite ; ce n'est point pour courir après les voluptés brutales, mais pour mener une vie céleste dont vous avez l'intelligence.

C'est pour cela que les yeux du sage ont été placés dans sa tête (Eccl. 1. 14), dit le sage Ecclésiaste. Pourquoi les yeux n'ont-ils pas été places dans les parties inférieures du corps, mais dans la tête? c'est afin qu'ils se portent en haut. Celui qui ne tourne pas ses regards vers les objets élevés, mais qui les abaisse aux objets terrestres, jette ses yeux en bas comme les reptiles, et se traîne comme eux sur la terre. Placée au-dessus des épaules, la tête domine sur tout le corps : elle n'est point enfoncée dans les épaules, qui en effacer aient la beauté ; mais elle repose sur la longueur du cou comme sur un soutien convenable, et sur une espèce de base mobile. Les yeux y sont attachés comme deux lampes brillantes. Un seul ne suffisait pas ; il en fallait deux qui se prêtassent un mutuel secours, afin que si l'un venait à manquer, on eut du moins la ressource de l'autre. D'ailleurs, la faculté visuelle d'un seul est beaucoup plus faible;[97] au lieu que cette même faculté sortant comme de deux sources et se réunissant, forme un ruisseau plus abondant et plus serré. Les rayons qui partent des deux côtés des narines, s'y reposent en même temps, s'avancent en même temps, et, ne tardant pas à se réunir, ils se terminent en un faisceau de lumière qui a plus de vertu et de force. Les vieillards sont une preuve de ce que nous disons. Ils voient moins bien les objets qui sont proches, et beaucoup mieux ceux qui sont éloignés, parce que, sans doute, la faculté visuelle des deux organes, plus longtemps divisée, est plus faible d'abord; mais après la réunion, elle se fortifie, acquiert plus d'abondance et d'activité pour recueillir les objets visibles. La prunelle de l'œil a plusieurs gardes qui la défendent. C'est une première membrane, qui en est la plus voisine, laquelle ne suffit point : elle ne doit pas être fort épaisse, autrement elle serait un obstacle à la vue ; et ce qui couvre la prunelle devait être léger et diaphane. La première membrane est donc transparente, la seconde est déliée : l'une est la vitrée, l'autre la cornée ; celle qui couvre est plus solide, celle qui est couverte est plus mince, pour ne pas empêcher le passage. Il en est une troisième, la cristalloïde, aussi transparente, pour ne pas nuire à la transparence des deux autres. La paupière sert de rempart à l'œil : elle en est l'enveloppe, la couverture, la maison, pour ainsi dire, et le domicile. La main aurait pu le couvrir et le défendre ; mais avant quelle s'y fût portée, il eût été souvent exposé à recevoir quelque blessure : au lieu qu'il a près de lui sa défense et sa garde ; et dès qu'il sent quelque objet qui peut lui nuire, il y oppose aussitôt son enveloppe. Aussi la prunelle de l'œil est-elle pour l'ordinaire à l'abri de tous les objets extérieurs qui pourraient l'incommoder, parce qu'elle repose tranquillement sous sa paupière comme sous une tente, et que presque seule de tous nos membres elle ne peut souffrir le moindre contact. Les paupières sont défendues par des poils ou cils qui sont des espèces de pointes. Pourquoi cela? c'est afin que la paupière supérieure et la paupière inférieure puissent se fermer plus exactement, par le moyen de ces cils, qui sont comme des liens qui les unissent plus étroitement lorsqu'elles se rapprochent. Ces mêmes cils éloignent les petits animaux, et ne permettent pas la poussière de venir molester la prunelle, qui est si délicate, si facile à être blessée par tous les objets qu'elle rencontre. Une autre défense est placée au-dessus des yeux, ce sont les poils des sourcils, qui, tracés en arc, font en même temps la beauté de l'œil et sa sûreté. Les sourcils encore, par la place qu'ils occupent, sont propres à diriger la vue. A preuve de cela, c'est que lorsqu'on veut regarder quelque objet éloigné, on courbe la main et on la met au-dessus des sourcils. Et pourquoi le fait-on? c'est afin qu'une partie de la faculté visuelle qui se porte en haut, ne se dissipe pas en vain et ne se perde pas dans la vaste étendue de l’air, mais que dirigée à la fois, et par le creux de la main, et par l'arc des sourcils, elle recueille plus exactement tout l'objet visible. Ainsi les sourcils placés au-dessus de l'œil, en même temps qu'ils dirigent sa vue, arrêtent la sueur qui coule d'en haut, l'empêchent de se répandre sur la prunelle et de nuire à sa force intuitive, sans compter qu'ils sont un rempart suffisant pour le garantir de toute injure du dehors. Quel vigneron peut enfermer aussi sûrement sa vigne, et l'environner d'un mur qui la mette à l'abri de toute insulte, comme l'Ouvrier suprême a fait l'arc des sourcils pour défendre l'orbe des yeux, traçant ces sourcils en demi-cercle, les étendant de l’une et l'autre part, et les réunissant à la naissance du nez, afin que la sueur qui coule du front n'incommode pas l'homme lorsqu'il travaille, et ne l'oblige pas de porter sans cesse la main à ses yeux pour essuyer l’eau qui les mouillèrent, mais afin que cette eau coule d'elle-même des deux côtés le long des sourcils comme par ses canaux naturels, et que les yeux remplissent leur fonction sans que rien ne les inquiète.

Si nous voulions examiner en détail les autres membres de notre corps, expliquer et célébrer, la sagesse du très Haut dans chacun d'eux, le jour ne pourrait nous suffire. Considérez donc, d'après un seul membre, toutes les attentions de Dieu pour l'homme, et l'art infini du grand Ouvrier. Nous allons entreprendre un voyage indispensable ; accompagnez-nous par vos prières, afin que de retour au plus tôt nous puissions continuer nos instructions, par la grâce de celui dont la bonté nous a créés, et a tout disposé pour notre avantage : à lui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

[1] L'orateur parle ici du système de Straton de Lampsaque, disciple d'Aristote. Suivant ce philosophe, les éléments du monde étaient animés, et avaient en eux un principe de mouvement, dont il était résulté, sans aucun concours d'une intelligence suprême, un monde et des êtres tels que nous les voyons. Son système avait quelque rapport avec celui des atomes d'Epicure dont il est parlé ensuite ; mais il n'était pas tout à fait le même.

[2] Ce mot est epoiésen. Quand un peintre ou sculpteur avaient fait un ouvrage, ils mettaient au bas epoiei, par modestie, pour faire entendre qu'ils pouvaient retoucher à leurs ouvrages et leur donner plus de perfection. Saint Basile dit, il a fait epoiésen, parce qu'il parle de Dieu, de l'Ouvrier suprême.

[3] Saint Basile attaque sans doute ici le très mauvais raisonnement de quelque physicien de son temps, ou de quelque ancien philosophe.

[4] Tous les philosophes qui ont raisonné sur la physique, ont admis l'éternité de la matière; plusieurs même, entre autres Aristote, ont soutenu que ce monde visible était éternel.

[5] La constitution qui leur est propre, une constitution telle que celle dont il sera parlé tout à l’heure, une constitution convenable à des êtres célestes.

[6] Puissances célestes, les anges et les archanges, comme saint Basile le dira lui-même tout à l’heure.

[7] Il n'y a qu'un mot en grec, archê, commencement, principe. J'ai été obligé d'ajouter ou principe, pour traduire et faire entendre ce qui suit.

[8] Tout ce qui suit sur l'affermissement de la terre est ce que saint Basile pouvait dire de plus ingénieux et de plus solide, n'étant pas instruit du mouvement de la terre autour du soleil.

[9] Le corps céleste, qui est d'une matière plus déliée et plus légère.

[10] Les autres, tels qu'Aristote et ses disciples, qui composaient le ciel d'une cinquième nature ou élément, qu'ils appelaient quintessence. Saint Basile explique assez au long la raison pour laquelle ils admettaient un cinquième élément.

[11] Si la matière est incréée. Nous avons observé plus haut que c’était l'opinion de tous les anciens philosophes qui avaient raisonna sur la physique.

[12] L'opinion qui opposait la naît au jour, la lumière aux ténèbres, l'être bon à l'être mauvais, était bien plus ancienne que les Manichéens : saint Basile la détruit avec beaucoup de force et de subtilité.

[13] Longin, dans son Traité du sublime, cite cet endroit de la Genèse. Il admire la précision noble et sublime avec laquelle l'écrivain sacré peint la puissance d'un Dieu qui crée.

[14] L'éther est un air plus subtil et plus délié, au-dessus de l'air qui enveloppe notre globe.

[15] L'huile que le plongeur souffle de sa bouche, éclaire vraiment l'endroit où il est placé. Quelques-uns prétendent qu'elle l'aide aussi à respirer, et qu'elle peut calmer les flots dans la place où il-est s'ils étaient agités.

[16] Saint Basile dit : La lumière qui est simple par sa nature. Nous verrons plus particulièrement dans l’homélie sixième quelle était l'erreur de saint Basile sur la lumière.

[17] Moïse, comme l'on voit, distingue la lumière du soleil, avant lequel elle fut créée. St. Basile expliquera par la suite cette distinction. Il explique ici comment, avant la création du soleil, le jour succédait à la nuit et la nuit au jour. Son explication me paraît plus raisonnable que celle de l'abbé Batteux, dans son Histoire des causes premières. Ce savant littérateur prétend que les ténèbres et la lumière circulaient sur les deux hémisphères et se chassaient mutuellement : comme si les ténèbres étaient un être réel, comme si elles étaient autre chose que l'absence de la lumière.

[18] Le premier jour de la semaine chez les chrétiens, que nous appelons dimanche. Ce qui précède est un peu subtil dans l'orateur ; j'ai tâché de l’expliquer le plus clairement qu'il m'a été possible.

[19] D’un coopérateur du Fils de Dieu, Dieu lui-même, éternel comme son Père.

[20] D'un mystère vénérable, du mystère de la sainte Trinité.

[21] Il en est qui supposent ... Tels que Démocrite et d'autres philosophes.

[22] De presque tous les philosophes, et surtout des Pythagoriciens. Cicéron parle, dans le songe de Scipion, de ces cercles, de leur mouvement, et des prétendus sous mélodieux qu'ils rendent.

[23] Le grec cite quelques passages que je n'ai pas traduits, parce que la traduction n'aurait pu taire sentir ce que l'orateur veut prouver.

[24] C’était la pierre spéculaire dont il est parlé dans Pline, autrement la Sélénite.

[25] D'une puissance… sans doute, du Fils de Dieu lui-même, qui a créé le monde avec son Père.

[26] Saint Basile ne fait pas attention que le feu ne détruit pas l'eau, mais ne fait qu'en décomposer les parties qu'il volatilise, comme il le dira lui-même par la suite. L'imagination de l'orateur, d'après un faux principe, a donc augmenté à l’excès la quantité des eaux qui étaient dans le monde au moment de la création.

[27] Fronton-du-Duc, dans une note sur tout cet endroit, observe que saint Basile, pour la géographie des fleuves, a suivi Aristote qui doit être redressé d'après Ptolémée et Strabon. Par exemple, la source de l'Ister, ou Danube, n'est pas au pied des monts Pyrénées, mais au milieu de la forêt Hercynienne. Le Rhône, dit Strabon, sort des Alpes, parcourt les campagnes des Allobroges, reçoit la Saône près de Lyon, et va se jeter dans la Méditerranée non loin de Marseille. Il serait trop long d'examiner les uns après les autres les fleuves dont parle l'orateur.

[28] Les parties de l'huile sont décomposées, mais ne sont pas perdues.

[29] Non, sans doute, parce que cet humide volatilisé s'élève dans l’air pour retomber bientôt sur la terre.

[30] Le mot grec ouranos, ciel, vient du verbe orasthai, être vu.

[31] C’était le sentiment d'Héraclite et de Zénon, chef de l'école stoïcienne.

[32] Saint Basile attaque ici et attaquera encore par la suite, sans les nommer, Origène et ceux qui, à son exemple, voulaient expliquer presque partout l'Ecriture par des sens allégoriques.

[33] La voix divine produit la nature, c'est-à-dire, donne aux êtres les caractères qui doivent les distinguer. Saint Basile aurait pu dire que Dieu en créant les eaux, leur avait donné une qualité fluide ; mais, qu'étant répandues également sur toute la terre, elles restaient tranquilles; que dès qu'on leur eut creusé des réservoirs, elles coururent d'elles-mêmes les remplir.

[34] C'est d'après Aristote que St. Basile dit que l'Egypte est plus basse que la mer Rouge : Strabon prétend le contraire.

[35] Saint Ambroise, dans son Hexaméron, prétend que ce furent les eaux elles-mêmes qui se creusèrent ces réservoirs. Mais que Dieu lui-même les ait creusés, ou que les eaux se les soient creusés par son ordre, c'est la même chose.

[36] La broche, ou obèle, dans le texte de l'Ecriture, annonçait des paroles ajoutées par les Septante, lesquelles pouvaient être retranchées.

[37] Il paraît qu'ici l'orateur assigne les eaux de la mer pour cause unique des fontaines. Les physiciens ont reconnu que les neiges qui séjournent continuellement sur le sommet des plus hautes montagnes, étaient la principale cause des eaux qui sortent du sein de la terre. Ils rapportent en preuve que les grands fleuves ont ordinairement leur source au pied de ces montagnes. Quant à ce que dit le même orateur, que l'eau acquiert une qualité chaude en passant par les mines, il est reconnu aujourd'hui que c'est en passant près des feux souterrains qu'elle acquiert cette chaleur.

[38] J'ai tâché d'éclaircir le plus qu'il m'a été possible cet endroit de saint Basile qui était un peu obscur.

[39] Et leur sûreté, parce qu'elle les sépare du continent : mais comme elle est aussi un lien qui rapproche les contrées les plus éloignées, elle rapproche ceux qui peuvent aller attaquer ces iles.

[40] C'était une erreur des anciens, que le sang de taureau était un poison : on a reconnu, au contraire, qu'il est sou— vent utile dans la médecine.

[41] Ce nom en grec était mischos.

[42] Quelques personnes ont observé… Erreur populaire; rejetée par les naturalistes.

[43] Les naturalistes parlent de cette opération extraordinaire, quoique commune, et la nomment caprification.

[44] Fut sur le champ une nature universelle, c'est-à-dire, produisit sur le champ tous les êtres avec leurs caractères distinctifs.

[45] 0 Nous savons que chez les Romains on assistait aux spectacles la tête couverte ; mais nous voyons ici dans saint Basile, et nous, pouvons voir dans St. Jean-Chrysostôme, que chez les Grecs, au moins du temps de ces Pères, on y assistait la tête nue.

[46] Une double personne, la personne du Père et celle du Fils.

[47] C'est une erreur de saint Basile d'avoir dit que la lumière est pure, simple et immatérielle. La lumière frappe pos yeux, les réjouit et les blesse. Ou fait des expériences par lesquelles on la décompose. C'est donc une vraie matière, très subtile, il est vrai, mais toujours matière. Il est dit un peu auparavant que le soleil sert de véhicule à la lumière créée avant lui. L'orateur dira bientôt plus raisonnablement que cette lumière a été mêlée à la substance du soleil, et qu'il ne la dépose plus. Il de voit s'en tenir là, sans se perdre dans des raisonnements subtils, qui n’étaient pas nécessaires, quoiqu'ils annoncent de la sagacité.

[48] Ces images du soleil s'appellent parhélies.

[49] Saint Basile aurait pu ajouter à toutes ses réflexions, que lès noms donnés aux signes du zodiaque étaient des noms arbitraires; que les signes, par exemple, qu'on a appelés taureau, bélier, auraient pu être appelés également crocodile, rhinocéros.

[50] Hétérosciens, les peuples qui à midi jettent toujours l'ombre du même côté.

[51] Contrées odoriférantes, l'Arabie. Il est vrai de dire qua tous les peuples placés au-delà de l'Arabie peuvent jeter leurs ombres vers les régions australes ; mais il ne serait pas vrai d'ajouter que tous les jettent, tantôt vers le midi, tantôt vers le nord. Les peuples placés au-delà du tropique le plus loin de nous, ne voient jamais leurs ombres à midi que vers les régions australes.

[52] Il reste près de six heures, comme on sait, et voilà pourquoi tous les quatre ans on ajoute un jour. L'année qui compte ce jour de plus est appelée bissextile.

[53] Suivant la bonne physique, ce n'est point la faiblesse de notre vue qui nous empêche de voir les objets éloignés tels qu'ils sont: nous les voyons plus petits, parce que l'angle sous lequel leur image se trace dans l'œil diminue à mesure que les distances augmentent.

[54] Saint Basile tombe ici dans l'erreur des personnes peu instruites en physique, qui croient que la rosée tombe au lever du soleil. Les physiciens savent que la rosée n'est autre chose que les vapeurs aqueuses volatilisées par la chaleur du jour, et qui, condensées par le froid de la nuit, retombent sur la surface de la terre.

[55] Ces « effets de la lune » ainsi que tous ceux qui suivent, crus par quelques personnes, sont regardés comme faux par les bons physiciens.

[56] St. Basile parle ici de l'Euripe proprement dit, et des autres bras de nier qu'on appelait aussi Euripes, dont on sait que les flux et reflux sont très irréguliers. Il serait trop long et trop pénible de suivre l'orateur dans toutes ses observations.

[57] Saint Basile semble faire entendre que les poissons n'ont pas besoin d'air pour vivre ; cependant il est démontré qu'ils en ont besoin, et qu'ils sont construits de manière à pouvoir extraire de l'eau l'air nécessaire à leur respiration.

[58] On appelle en général cétacées, des animaux d'une grandeur démesurée ; mais on a restreint la signification de ce mot, à désigner de grands poissons de mer qui s'accouplent et se reproduisent à la manière des quadrupèdes. — On prétend… Ce fait n'est point confirmé par les naturalistes.

[59] Et en fait un animal, sans cloute lorsque la semence du mâle l'a fécondé. Le mâle répand la semence sur les œufs à l'instant où la femelle les dépose dans l'eau, et c'est cette semence qui les féconde.

[60] Je n'ai point vu ce fait du scare ruminant confirmé par les naturalistes. — Tous sont munis.... Des naturalistes ont observé le contraire, ils parlent de poissons, tels que l'alose et autres, qui n'en ont que de presque imperceptibles.

[61] Saint Basile parle, sans doute, ici d'un polype d'eau douce, qui a le corps transparent, qui s'attache aux rochers, et qui dévore les insectes aquatiques qui viennent tomber sur lui. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, à l'article polypes d'eau douce.

[62] Cela était vrai du temps de saint Basile ; mais depuis on a navigué sur cette mer.

[63] Ces poissons voyageurs sont les morues, harengs et autres.

[64] Ce mariage de la vipère avec la lamproie maritime est une erreur des anciens, démentie par les nouveaux naturalistes.

[65] Les uns ont regardé le corail comme une plante, les autres comme une pierre ; St. Basile prétend qu'il est plante dans la mer, et qu'il devient pierre quand il est dehors. De nouvelles observations ont montré qu'il était formé par de petits animaux qui s'attachent à un corps, et qui y établissent leur habitation.

[66] Ce poisson méprisable est une espèce d'huître qu'on appelle huître nacrée. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article nacre de perles ; et pour la note précédente, article corail. — Certains coquillages, les pinnes-marines. — Une laine d'or, le plus beau byssus, espèce de soie d'un beau jaune ou couleur d'or, que l'on trouve dans la pinne-marine, très grand coquillage bivalve, du genre des moules. — D’autres enrichissent… Tout le monde sait que l'on trouve la plus belle couleur de pourpre dans le murex, coquillage univalve.

[67] Remore ou rémora, poisson long d'un pied et demi environ, qui s'attache aux vaisseaux, mais qui n'a pas, comme l'ont prétendu les anciens, la faculté de les arrêter. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article remore.

[68] Trygone marine, poisson venimeux dont parlent Elien et Aristote. — Lièvre de mer, poisson aussi venimeux, autrement appelé, et avec plus de raison, limace de mer.

[69] Manichéens, hérétiques assez connus par les deux principes bon et mauvais qu'ils admettaient dans la nature. On voir ici qu'une de leurs erreurs était de donner une âme à la terre.

[70] Il s'agit ici de la métempsycose, admise par Pythagore et ses disciples, lesquels prétendaient que les aines passaient d'un corps dans un autre.

[71] Pline le naturaliste nomme le drépane parmi les oiseaux qui n'ont point de pieds, ou qui n'ont que de mauvais pieds.

[72] Schizoptères, qui ont des ailes divisées en plusieurs parties, tels que les aigles et la plupart des oiseaux. Dermoptères, qui ont des peaux au lieu d'ailes. Ptilotes, qui ont des ailes minces et d'une seule pièce. Quant aux coléoptères, l'exemple que cite saint Basile est juste; mais l'explication qu'il donne ne l'est pas. Les escarbots ne naissent pas dans des étuis dont ils s'affranchissent ; mais leurs ailes, ainsi que celles d'autres insectes volants, sont renfermées dans des étuis d'où ils les tirent et les développent pour voler. Je ne crois pas non plus qu'on soit satisfait de sa distinction, d'après les ivres saints, dit-il, en oiseaux purs et impurs. Au reste, d'après d'anciens naturalistes, il met les insectes volants au nombre des oiseaux.

[73] Saint Basile donne à la perdrix une qualité que lui ont donnée d'autres savants, c'est d'aider les chasseurs à prendre des perdrix dont elles sont jalouses.

[74] Nous venons de remarquer que saint Basile, d'après d'anciens naturalistes, mettait les insectes volants au nombre des oiseaux.

[75] M. Valmont de Bomare paraît loin d'adopter ce fait : il compte les corneilles parmi les ennemis des cigognes.

[76] Ce mot est antipelargosis, formé du nom que les cigognes ont en grec.

[77] J'ai supprimé après ce mot une petite phrase qui m'a paru une recette un peu cruelle, et rompre la liaison des idées : Si on leur crève les yeux, on aura un remède naturel pour guérir la vue de ses enfants.

[78] Comme on ne sait pas au juste quel était l'alcyon des anciens, on ne peut savoir si les merveilles qu'ils en rapportent sont véritables.

[79] Saint Ambroise, dans son hexaëméron, contredît ce fait rapporté par Aristote et appuyé par d'autres naturalistes. Au reste, quoiqu'il puisse être vrai que l'aigle quelquefois rejette un ou plusieurs de ses petits, les observateurs cependant ont trouvé jusqu'à trois aiglons dans l'aire de cet oiseau.

[80] Je ne crois pas qu'aucune histoire naturelle moderne confirme le fait que saint Basile rapporte d'après l'autorité d'Elien.

[81] C'est la femelle du rossignol qui couve les œufs ; et le mâle chante tandis qu'elle couve, jusqu'à ce que les petits soient éclos.

[82] Les chauves-souris restent engourdies pendant l'hiver, accrochées les unes aux autres, et suspendues aux voûtes des souterrains.

[83] Ces ennemis étaient les Gaulois, qui, s'étant rendus maîtres de la ville, voulaient s'emparer de la citadelle. Personne n'ignore ce trait de l'histoire romaine.

[84] Saint Basile attaque ici, sans les nommer, Origène, et ceux qui, à son exemple, donnaient des explications allégoriques à presque tous les passages de l'Ecriture.

[85] Cent quatre-vingt mille stades, en supposant avec quelques savants qu'il faille vingt stades pour faire une lieue, font les neuf mille lieues qu'on donne encore à présent de circonférence à la terre.

[86] Sont engendrés de la terre. Voilà ce qu'on pensait du temps de saint Basile et avant lui ; mais des observations postérieures ont démontré que rien ne s'engendrait sans un germe ou un œuf que la chaleur développait ou faisait éclore.

[87] Cette herbe est appelée en grec phlomos.

[88] Origan, plante dont il y a plusieurs espèces. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare.

[89] Les deux faits de la lionne et de la vipère sont reconnus faux par les naturalistes. On a observé que la lionne a quelquefois quatre petits et même six. On a cru longtemps qu'elle n'en avait jamais qu'un.

[90] Les animaux vraiment ruminants, tels que le bœuf et autres, out quatre estomacs. Voyez le dictionnaire de M. Valmont de Bomare, article taureau.

[91] La durée de la vie de l'éléphant n'est pas connue. Les uns le font vivre jusqu'à cent vingt et même cent cinquante ans, d'autres, ont prolongé sa vie jusqu'à cinq cents ans.

[92] Le principe… gouverne. J'ai ajouté de moi ces paroles, qui sont, comme on le verra par la suite, dans l'esprit de l'auteur de cet ouvrage.

[93] Comme les Gentils, grec, comme les Juifs. Il m'a semblé qu'en général les Juifs n’avaient pas été accusés de donner à Dieu une forme corporelle : j'ai donc cru devoir substituer le nom de Gentils.

[94] Il y a ici une irrégularité dans la construction qui m'a paru faire un bon effet en grec, et dont je n'ai pas cru devoir m'écarter en traduisant.

[95] De son propre travail, sans doute aidé et secondé par la grâce ; c'est ce qu'il faut sous-entendre dans tout ce morceau, et ce que sous-entendait l'orateur. En général, les Pères grecs de ce temps s'observaient moins dans leurs ex pressions en parlant du libre arbitre; ce n'est pas qu'ils ne pensassent très bien, mais c'est qu'il n'y avait pas encore en d'erreur et de contradiction sur cet objet.

[96] Nous avons déjà parlé, dans une homélie de saint Basile, d'une erreur des anciens, qui croyaient que la terre produisait quelquefois des animaux sans œuf et sans germe.

[97] Dans tout cet article de la faculté, visuelle, c'est la même erreur que nous avons remarquée dans l'homélie sixième de saint Basile. L'œil ne va point chercher les objets, comme on se l'imaginait alors ; ce sont les objets qui viennent se peindre au fond de l'œil.