Les mariages forcés sont une réalité dans le monde entier. Des jeunes femmes et des jeunes hommes, parfois mineurs, sont mariés contre leur volonté.

 Selon l’UNICEF, en 2013, 700 millions de femmes dans le monde ont été mariées alors qu’elles étaient enfants et plus d’un tiers n’avaient pas 15 ans.

« Le terme de victime de mariage forcé recouvre une personne, de sexe masculin ou féminin, majeure ou mineure, à qui un ou plusieurs membres de la famille et/ou de la communauté impose une union maritale en y parvenant ou pas, utilisant pour cela des pressions physiques et/ou psychologiques ».

La pratique de mariage forcé est déclarée comme telle lorsque la personne n’a pas la possibilité de refuser. La célébration ou non du mariage n’est donc pas un élément déterminant dans la désignation de victime de mariage forcé. En effet, une personne ayant réussi à y échapper, n’en reste pas moins une victime de cette pratique, avec toutes les conséquences que cela comporte .

On fait une distinction entre les mariages forcés et les mariages arrangés. Ces derniers sont certes également organisés par des membres de la famille ou des entremetteurs/euses, mais n'ont lieu qu'avec l'accord des futurs époux.

Un mariage forcé n'est pas toujours officiellement scellé par l'état civil. Il est souvent conclu selon des traditions culturelles ou religieuses spécifiques par lesquelles la famille se sentent liées. Un mariage forcé peut être précédé des fiançailles forcées. 

Les mariages forcés violent les droits humains fondamentaux des personnes concernées, à savoir le droit à l’autodétermination, à la liberté, à l’intégrité corporelle et psychique et à l’éducation. Les membres de la famille et l'environnement exercent des pressions par différents moyens tels que des violences physiques, psychiques et/ou sexuelles, mais aussi des violences structurelles comme, par exemple, une dépendance socio-économique. Les victimes n'osent pas s'opposer à leur environnement familial ou leur refus n'est pas entendu. Les mariages forcés peuvent être liés à la prostitution et à la traite des femmes. Ils peuvent également être favorisés par un droit de migration restrictif.

Dans un mariage forcé, le/la partenaire, des membres de la famille ou l'entourage direct portent atteinte pendant une période prolongée à toute une série de droits humains et de lois (violences psychiques, physiques, sexuelles, sociales et économiques).

Les personnes victimes d'un mariage forcé sont obligées, parfois pendant des années, d'accepter des relations sexuelles non consensuelles, des grossesses et des accouchements non voulus, d'effectuer des tâches domestiques ou des activités lucratives non choisies, et de vivre une vie dans laquelle le libre développement de leur personnalité est fortement restreint.

 Différence entre mariage arrangé et mariage forcé

Le mariage arrangé consiste en une union où un tiers généralement les parents présente les parties mais celles-ci sont libres d’accepter ou non de se marier avec la personne qui leur aura été présentée : le refus reste donc possible tout au long du processus, depuis la rencontre des futurs époux au jour du mariage. Parce qu’il implique le libre consentement des époux, ce type de mariage ne pose donc pas problème.

Par opposition, le mariage forcé doit être considéré comme une violence familiale à part entière car il consiste à imposer un mariage contre la volonté de l’un ou des deux époux, soit par contrainte et pression, soit par menace et violence.

Cette différence théorique étant établie, il convient néanmoins de préciser qu’il peut exister différents degrés de coercition dans le mariage arrangé. Ainsi, il existe certaines situations dites de mariage « fortement » arrangé où les futur époux subissent une forme diffuse de pression de la part de la famille et/ou de la communauté et finissent par concéder plus ou moins à contrecœur leur consentement sans pour autant estimer qu’ils ont été forcés.

Le consentement libre et éclairé est donc le critère qui permet de distinguer un mariage arrangé non problématique d’un mariage fortement arrangé problématique ou encore d’un mariage forcé punissable par la loi. L’enjeu pour le-la professionnel-le sera donc de déterminer si les futurs époux consentent librement ou non à l’union, ce qui reste très délicat puisque seuls ces derniers avent s’ils ont donné ou non librement leur consentement.

 


 

Quelques chiffres :

 

 

700 millions de femmes dans le monde ont été mariées alors qu’elles étaient enfants et plus d’un tiers n’avaient pas 15 ans.

25 000 petites filles sont mariées chaque jour.

1 fille sur 3 est mariée de force dans les pays en voie de développement.

1 petite fille sur 9 a été mariée de force entre 10 et 14 ans.

1 petite fille sur 2 met au monde un enfant au cours son adolescence dans les pays en voie de développement.

Les petites filles qui finissent leur scolarité jusqu'au secondaire ont 6 fois moins de risques d'être mariée de force.

Près de la moitié des mariages forcés ont eu lieu en Asie du sud, essentiellement en Inde (33%).


 

Mariage forcé : comprendre la victime

 

Avant le mariage forcé

L’une des difficultés majeures que vivent les victimes d’un projet de mariage forcé est l’isolement. En effet, elles se sentent souvent seules face à leur problème, convaincues qu’elles ne peuvent faire confiance à quelqu’une sans risquer de voir leur famille mise au courant de leurs confidences. Ce sentiment d’isolement peut être amplifié quand la victime ne parle aucune des langues nationales. Peu avant leur majorité, les jeunes filles sont fréquemment retirées de l’école ce qui a pour conséquence de restreindre leur éducation, leur épanouissement personnel et une certaine forme d’indépendance et d’esprit critique. Une partie des jeunes filles menacées d’un mariage forcé se sent incapable de s’opposer aux volontés des parents ou des membres de leur famille. Cela est d’autant plus vrai quand la victime a des besoins spécifiques liés à une maladie ou un handicap et dépend des soins donnés par sa famille.

Même quand elles savent au fond d’elles-mêmes qu’elles ne souhaitent pas se marier, les victimes sont ambivalentes car elles ressentent comme chacun-e des sentiments d’amour et de loyauté vis-à-vis de leurs proches et craignent par-dessus tout de perdre leur famille, leurs ami-e-s et/ou d’être exclues de la communauté.

Même quand elles sont décidées à ne pas accepter le mariage, les victimes craignent de faire valoir leur choix par peur des représailles de la part de leur famille ou de leur communauté.

La perspective d’un « après » où elles seront démunies, seules et sans ressources constitue un frein pour les victimes même quand celles-ci s’opposent farouchement au mariage forcé.

 

Après le mariage forcé

La victime d’un mariage forcé subira des viols répétés tout au long de son mariage et ce, avec de lourdes conséquences pour sa santé physique, sexuelle et mentale (problèmes gynécologiques, troubles alimentaires, sentiment de saleté et de honte, baisse de l’estime de soi, dégoût de soi, dépression, troubles obsessionnels compulsifs, automutilations, idées suicidaires,…).

Une ou des grossesses non désirées peuvent découler de ces viols, ce qui peut être hautement traumatisant pour les victimes.

Les victimes de mariage forcé subissent fréquemment des violences entre partenaires, aussi bien sexuelles, physiques que psychologiques. Dans certains cas, il arrive même qu’elles soient exploitées par la belle-famille et forcées à accomplir les tâches ménagères pour toute la famille.

Certaines victimes voient leurs faits et gestes surveillés par la famille et la communauté et ne peuvent quitter la maison que si elles sont accompagnées d’un membre de leur famille.

Dans certaines familles, il est d’usage de renvoyer les victimes dans le pays d’origine de la famille pour des périodes plus ou moins longues afin de les isoler, les empêcher de trouver de l’aide et les inciter à accepter ce mariage comme la seule option viable.

Souvent, parce qu’elles n’ont pas pu faire d’études, les victimes se retrouvent sans emploi et donc entièrement dépendantes de leur famille sur le plan financier. Quand la famille leur permet de travailler, leur choix de carrière reste très limité et leur activité professionnelle est surveillée de près. Il n’est pas rare que de la violence économique se rajoute au tableau, les revenus de la victime étant annexés par son partenaire ou par la famille.

Une fois mariées, les victimes aussi bien féminines que masculines pensent que la fuite est la seule issue possible, une perspective très angoissante pour elles et particulièrement ceux et celles qui ne possèdent pas ou peu d’expérience de la vie en dehors du cercle familial. S’ils sont parents, cette fuite signifie également à leurs yeux la perte de leur(s) enfant(s). Pour les personnes dont le titre de séjour est lié à un regroupement familial, la fuite est encore plus angoissante puisqu’elle les fera basculer dans l’illégalité et dans une extrême précarité.

Lorsqu’elles décident néanmoins de quitter le domicile conjugal, le manque de soutien social peut isoler davantage les victimes spécifiquement les femmes et les amener à regagner leur foyer avec ce que cela va comporter de conséquences. En effet, quitter sa famille (voire dénoncer les faits auprès d’une association ou, pire, porter plainte à la police) sera vécu par le groupe comme une véritable atteinte à « l’honneur » de la famille qui conduira à une forme plus ou moins marquée d’ostracisme social et/ou de violences.

Les victimes qui sont parties, et ce, sans retour, vivent dans la peur de leur famille, cette dernière aidée de la communauté déploiera des moyens souvent impressionnants pour retrouver la victime et la faire revenir. Il arrive même que la famille signale la disparition à la police ou essaie de mobiliser les intervenant-e-s scolaires, sociaux-ales ou médicaux-ales. Si la famille parvient à retrouver la victime, cette dernière peut être en réel danger : selon les familles, les violences infligées augmenteront d’un ou plusieurs crans avec le risque d’un crime dit « d’honneur » dans les cas les plus extrêmes.

Certaines études montrent que les comportements à risque, automutilations et suicides sont significativement plus élevés dans les populations de femmes soumises à un manque de contrôle sur leur vie, à une surveillance excessive, au poids des attentes liées aux rôles traditionnellement attribués aux femmes et à une forte anxiété relative à leur situation maritale.

Notons, enfin, que les enfants nés de cette union forcée en subissent aussi les conséquences. Comme tous les enfants exposés à la violence, ils risquent d’apprendre que celle-ci est un moyen acceptable d’obtenir ce que l’on veut et qu’il est « naturel » d’y recourir lorsque l’on est fâché. De plus, vivre dans un climat violent et stressant risque de les traumatiser, leurs besoins dont celui de sécurité n’étant pas satisfaits. On constate que ces enfants peuvent accuser des retards importants dans leurs apprentissages (y compris scolaires) et présenter à l’âge adulte des signes de dépression, des symptômes du stress post-traumatique et un niveau très bas d’estime de soi.

 


 

Quelle protection pour les demandeurs d’asile victimes de mariages forcés ?

 

Le statut de réfugié (cf. article 1er A, 2 de la convention de Genève de 1951)

Les personnes victimes de mariages forcés peuvent, dans certaines circonstances, être considérées comme appartenant à un groupe social au sens de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève de 1951.

La notion de « groupe social » fait référence à un groupe « constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire, commune ou caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, ou une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions ».

Dans une population dans laquelle les mariages forcés sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les filles /femmes qui s’y soustraient constituent de ce fait, un groupe social.

Jurisprudence CNDA , 05 décembre 2008 Mme B (p.80) : […] Les femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé, c’est-à-dire conclu sans leur libre et plein consentement, dont l’attitude est regardée par tout ou partie de la société de leur pays d’origine comme transgressive à l’égard des coutumes et lois en vigueur, et qui sont susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions contre lesquelles les autorités refusent ou ne sont pas en mesure de les protéger, doivent être regardée comme appartenant à un groupe social au sens de l’article 1erA,2 de la convention de Genève…

 

La protection subsidiaire ( cf. article L712-1b du CESEDA)

Jurisprudence CRR (ancienne CNDA) 11 janvier 2007, Mlle S : […] lorsque le comportement des victimes n’est pas perçu comme transgressif de l’ordre social, elles n’en demeurent pas moins susceptibles d’être exposées à des traitements inhumains et dégradants au sens des dispositions de l’article L712-1b du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Pour le bénéfice de la protection subsidiaire, la victime devra démontrer que, du fait de son opposition au mariage imposé, elle serait exposée en cas de retour dans son pays d’origine, de la part de ses proches , à des atteintes graves à son intégrité physique, sans pouvoir se réclamer utilement, dans le cadre de ce conflit d’ordre familial et privé, de la protection des autorités de son pays.

 

Éléments à prendre en compte sur le fond du récit de persécution lorsque cela concerne un mariage forcé

Rédaction du récit de persécution / préparation à l’entretien OFPRA / argumentaire pour recours CNDA

  • Expliquer comment le mariage a été conclu par les deux familles
  • Expliquer les raisons de l’impossibilité de s’y opposer
  • Indiquer avec précision le quotidien dans le foyer conjugal
  • Expliquer s’il s’agit ou pas d’une pratique généralisée au sein de la société ou du groupe ethnique d’appartenance
  • Préciser s’il existe ou non des organismes qui militent contre la pratique des mariages forcés
  • Indiquer si vous avez connaissance ou non de protection effective de la part des autorités du pays

 

Attention particulière :

L’asile interne peut être opposé aux demandeurs d’asile. La notion de l’asile interne (Cf. article L.713-3 du CESEDA) implique pour la personne la possibilité de bénéficier d’une protection dans une autre partie de son pays. Dans le cas des femmes victimes de mariages forcés, vérifier si l’intéressé peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine, à laquelle elle est en mesure, en toute sûreté d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale.

Source : 1er Girl Summit, le 22 juillet 2014 au Royaume-Uni : un rassemblement visant à inciter les institutions nationales et internationales à mettre un terme aux mutilations génitales féminines (MGF) ainsi qu’aux mariages forcés d’enfants. - ET - Site de la CNDA